Comment les musées prennent-ils le virage écologique ?
Écoconception des expositions, mutualisation des œuvres, impact carbone des visiteurs internationaux… La transition écologique est-elle en marche dans le monde muséal ? Éléments de réponse.
« La stratégie nationale bas carbone, c'est zéro émission nette de CO2 d'ici 2050. Nous n'avons pas le choix : tout le monde doit bouger ». C’est ainsi qu’a ouvert Bruno Maquart, président d'Universcience (Cité des Sciences et Palais de la Découverte à Paris), le workshop de travail intitulé « Construire la durabilité de nos musées », en janvier dernier au Palais des Beaux-Arts de Lille, en présence de tout.e.s les représentant.e.s des grands musées nationaux.
Qu’en est-il vraiment ? Comment les musées peuvent-ils conjuguer la notion de durabilité avec les grandes expositions « événements » qui font venir des millions de visiteurs du monde entier ? Une révolution écologique du monde de la culture est-elle en cours ? Deux axes émergent depuis ces dernières années : l’écoconception des scénographies et la mutualisation des œuvres. Autre grande tendance, inclure le sujet de notre rapport à l’environnement au cœur des expositions.
Mutualiser les oeuvres pour réduire l’empreinte carbone
Le milieu culturel, dans son ensemble, prend conscience de l’importance des risques du changement climatique. Les musées ont compris qu’ils avaient cette capacité à agir, notamment dans l’économie de leur empreinte carbone. Mais selon les institutions culturelles, leurs tailles, les choses sont encore hétérogènes d’un territoire à l’autre.
« Il n’y a pas encore un véritable mode opératoire de comment réussir la transition écologique de son musée. Il y a bien Universcience qui a publié un guide d’éco-conception, d’autres circulent. Cependant, c’est très technique. À Rouen, nous voulions sortir du côté purement technique », explique Sylvain Amic, directeur de la Réunion des Musées Rouen-Caen. Ces équipes ont déjà enclenché une démarche responsable notamment sur la mutualisation des œuvres présentées, bien en amont. « Nous avons réussi à faire baisser la part des œuvres provenant du lointain. Sur les quatre dernières grandes expositions du Normandie Impressionniste, nous sommes passés de 50 à 3 % de prêts hors France », précise-t-il.
En effet, la plus grande partie de l’impact, dans la collecte des œuvres, provient de leur acheminement par camions. L’exposition qui se termine sur le Cirque est à 98 % composée de prêts d’une collection privée sur le territoire métropolitain. Idem, pour le dernier Normandie Impressionniste en 2020, « seuls 3 % des œuvres étaient issues de l’étranger, d’Allemagne et Suisse. Donc très proches d’ici », indique-t-il. La clé de la transformation passerait aussi « par une coopération entre plusieurs musées sur un même territoire. » Sylvain Amic prône le retour à une sobriété, et donc, à une inventivité.
C’est une autre façon de travailler ensemble. Pour monter une exposition, nous allons d’abord regarder ce qui se trouve dans nos musées. À partir de l’existant, nous réfléchissons à une exposition. »
Ce qui demande plus de collaboration, de mieux connaître les collections. « Il y a un effort de mutualisation à faire, et les pouvoirs publics doivent nous aider là-dessus », explique-t-il.
Privilégier l’écoconception de la scénographie
Autre solution déjà expérimentée, celle de l’écoconception de la scénographie. Les équipes en charge des expositions au Palais des Beaux Arts de Lille prennent, depuis ces dernières années, les considérations écologiques dès la conceptualisation du projet. Inspiré de l’écolomuseology (prendre en compte le lieu et les personnes environnant le musée comme parties prenantes de ce dernier), un concept qui se développe en premier lieu en Amérique du Nord, l'écoconception correspond aux impacts environnementaux et sociaux des activités muséales, y compris en tant que producteur économique, qu’employeur ou producteur de contenu.
Dans le musée lillois, cette « éco-responsabilité » se décline en la responsabilité sociale et économique, tout en protégeant l’environnement et en contribuant à l’amélioration des conditions de travail des salariés. Les conséquences directes de ce changement de paradigme résident dans le fait que le musée n’est plus uniquement un lieu de conservation des œuvres, mais devient une référence citoyenne et sociale.
Par exemple, pour l’exposition sur Goya, 65 % des éléments structuraux de la scénographie ont été réexploités pour la suivante. « L'objectif est de pouvoir le faire deux ou trois fois de suite. Auparavant, c’était moins pris en compte, même si nous essayions de réutiliser le plus de matériaux possible. Aujourd’hui, ce qui a changé, c’est que cela soit systématique. C’est même considéré en amont du projet », précise Régis Cotentin, commissaire d’exposition et responsable en art contemporain au Palais des Beaux Arts de Lille.
L’exposition actuelle, la Forêt Magique a entièrement été conçue en tenant compte de sa durabilité, autant dans le choix des œuvres et de la scénographie que pour le catalogue, réalisé en papier recyclé. « Cette notion de durabilité est véritablement inscrite dans les projets des expositions du Palais. C’est une considération faite par toutes les équipes du musée », indique Régis Cotentin.
Et la thématique du rapport aux enjeux écologiques est également de plus en plus présente dans les expositions.
Des thèmes d'expositions engagés
Le musée a d'ailleurs prévu, à la mi-mai, une prochaine exposition tout aussi écologique et engagée. « La Terre est une architecture », imaginée par le cabinet d’architecture VTK est un projet artistique et scientifique qui présente une vision de l’effet de l’action des hommes sur la terre.
La question du changement climatique et des conditions terrestres est liée à l’action des hommes sur la planète. Il faut pouvoir le reconnaître et en être conscient. C’est le propos de l'œuvre La Terre est une architecture », détaille Antoine Viger-Kohler, cofondateur de l’agence TVK.
Cette installation monumentale, en trois dimensions, représente la terre, et ses couches géologiques, définie par une région commune où l’on appréhende la transformation organisée par les humains, comme les villes, les routes, les infrastructures, etc… « Cela fait plusieurs décennies que dans le champ social et artistique, les acteurs nous rappellent que nous ne sommes pas seuls et que nous appartenons à un environnement et que la Terre réagit à l’action humaine », explique-t-il.
L'œuvre reprend les différentes couches géologiques et leur datation illustrée par une couleur pour chacune. « Une façon de rendre visibles toutes les actions de l’homme. Le grand propos de notre époque est de reconnecter l’action humaine avec l'environnement terrestre, et de nous dire que dans les 50 ou 100 prochaines années, nous aurons réussi à retrouver une voie pour continuer à habiter la planète », espère Antoine Viger-Kohler.
Le Palais de Tokyo s’essaie au mécénat responsable
Autre parti pris intéressant, celui du Palais de Tokyo à Paris. Engagé dans un changement durable, le musée d’art a fait des enjeux écologiques et sociétaux des priorités de son fonctionnement et de sa programmation. Pour ce faire, il s’adresse aux entreprises qui veulent devenir mécènes d’une programmation responsable et durable.
Via le programme « Cercle Art & Écologie », les entreprises peuvent s'engager sur deux ans, via un mécénat de 50 000 euros par an, plus un apport en nature (en compétences par exemple) pour un double impact : soutenir le rôle de la création dans la prise de conscience environnementale et agir pour rendre le Palais de Tokyo plus durable.
Pour cette saison estivale, les visiteurs pourront découvrir « Réclamer la Terre », une exposition qui invite à repenser notre relation au vivant et qui inscrit véritablement le musée dans la transition environnementale.
Christina Diego