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Par Carenews PRO - Publié le 15 décembre 2022 - 10:00 - Mise à jour le 15 décembre 2022 - 10:21
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Fini le pétrole, le Louvre en pince pour le nucléaire

Privé du soutien contesté de TotalEnergies, le musée du Louvre reste au cœur d’enjeux géostratégiques dans le domaine de l’énergie, aussi bien pour ses mécènes que pour l'État.

Crédit : Bernard Hasquenoph
Crédit : Bernard Hasquenoph

 

L'exposition Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan et ses mécènes

L'Ouzbékistan, ses céramiques chatoyantes, ses dômes bleus… et ses mines d’uranium. Raison pour laquelle la multinationale Orano (ex-Areva) spécialisée dans le combustible nucléaire et détenue à 90 % par l’État français, est mécène de l’exposition du Louvre « Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan ». Fruit d’années de fouilles menées par le musée dans ce pays d’Asie centrale, elle est organisée avec la Fondation pour le développement de l’Art et de la Culture d’Ouzbékistan, organisme d’État. Une nation qui, depuis la mort en 2016 d’un dictateur implacable, s’ouvre lentement aux réformes, sans pour autant être considérée comme une véritable démocratie.

 

Crédit : Bernard Hasquenoph
Crédit : Bernard Hasquenoph

 

Pas sûr que Greenpeace, autant anti-nucléaire qu’anti-pétrole, se réjouisse de voir le mécénat de l’atome remplacer celui des énergies fossiles. Rappelons que la dernière action de l’ONG environnementale contre le Louvre remonte au 6 octobre 2021. Ce jour-là, une dizaine d’activistes érigèrent une tour de forage factice près de la pyramide, tandis qu’une banderole était déployée : « Climat : Total criminel, le Louvre complice ». 

 

À la suite de performances théâtralisées menées depuis 2017 par des militants de la même mouvance, Greenpeace dénonçait le partenariat liant depuis des années le premier musée de France à l’entreprise internationale d’exploitation pétrolière et gazière TotalEnergies (son nouveau nom depuis 2021) à travers de nombreuses opérations de mécénat. Le Louvre refusant de lui fournir les conventions et les montants, l’organisation avait même saisi la justice, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) lui donnant raison en janvier 2022. Au-delà du Louvre, Greenpeace milite pour l’interdiction de toutes publicités, partenariats et mécénats des industries fossiles en Union européenne.

 

Le mécénat de Total en question

 

Taxée de climaticide, Total au Louvre était accusée « de pratiquer la diplomatie culturelle avec les pays dans lesquels elle souhaite s'implanter et développer son activité ». D’où sa présence également au musée du Quai Branly - Jacques Chirac ou à l’Institut du monde arabe, attirée par des expositions avec des pays étrangers à fort potentiel énergétique. « Fantasme » répondait sa fondation au média Novethic fin 2021, affirmant le contraire : « C’est parce que nous sommes présents dans tel ou tel pays que nous choisissons d’être mécène d’une exposition en lien avec la culture de ce pays car pour nous la culture est un vecteur de dialogue entre les peuples ». Elle annonçait avoir mis fin à tout partenariat avec le Louvre depuis 2018, préférant se concentrer sur la jeunesse et les musées de province (sauf à Lyon qui l’en a bannie), sans qu’on sache si la pression militante a pu compter dans ce renoncement.  

Auditionnée en octobre 2021, à un sénateur EELV particulièrement virulent (« Nous savons maintenant que Total nous conduit vers le chaos climatique »), Laurence des Cars, nouvelle présidente du musée, indiquait que « le Louvre n’a[vait] plus de lien avec le groupe Total depuis 2016 », réponse officielle de l’institution (fausse puisqu’on les retrouvait même indirectement encore associés en 2019 pour la restauration de l’arc du Carrousel). Infléchissant la position de son prédécesseur qui défendait le partenariat, elle n’excluait pas de modifier la charte éthique de mécénat de l’établissement (pour exclure le secteur des énergies fossiles) et revendiquait « un devoir d'exigence absolue » dans le domaine.

 

Crédit : Bernard Hasquenoph
Crédit : Bernard Hasquenoph

 

Ainsi se terminait une histoire d’amour d’environ 20 ans. Le soutien de Total, membre fondateur du Cercle Louvre Entreprises, avait largement dépassé les 10 millions d’euros, de la restauration de la galerie d’Apollon à la création du département des Arts de l’Islam puis du Louvre Abu Dhabi, en passant par des projets plus sociaux (Petite Galerie, Semaine de la Femme) et bien sûr des expositions. Les dernières en date - du Louvre à Téhéran et de l’Iran au Louvre-Lens en 2018  - furent de bien mauvaise augure puisque Total fut contrainte d’annuler la même année le méga-contrat gazier signé avec ce pays, sous la menace de sanctions américaines. Les histoires d’amour finissent mal en général, dit la chanson. Plus aucun partenariat ne court aujourd’hui entre eux, le Louvre nous l’a assuré. Ne reste que le nom de Total gravé ici ou là sur ses murs.

 

Une exposition aux enjeux géopolitiques 

 

Revenons au présent. Le 22 novembre 2022, l’exposition du Louvre, bien que de taille modeste et reléguée dans une salle exiguë, fut inaugurée par deux présidents de la République, Emmanuel Macron et son homologue ouzbek Chavkat Mirzioïev, ainsi qu’une autre, à l'Institut du monde arabe, organisée avec la même fondation. Mirzioïev est d’autant plus chouchouté par la France que, dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine, il a pris ses distances avec Poutine. Un conflit qui a impacté jusqu’à notre exposition du Louvre qui a dû se passer d’une vingtaine d’œuvres en provenance de Russie, ce qui explique sans doute un énième report de l’évènement annoncé depuis des années. Dans le catalogue, la présidente du musée parle de « l’organisation particulièrement complexe de ce projet d’ampleur » ayant nécessité « l’aide des réseaux diplomatiques » des deux pays.

 

Parallèlement, d’importants accords commerciaux ont été signés entre les deux États, notamment dans le domaine de l’énergie. Implantée depuis 2019 en Ouzbékistan « pour développer des activités d’exploration et d’exploitation minières dans le domaine de l’uranium », ce fut le cas d’Orano qui annonça donner « une nouvelle envergure » à leur partenariat, signant un accord de coopération stratégique avec deux sociétés d’État. Quant à EDF (bientôt entièrement nationalisée), autre mécène de l’exposition, si elle a signé en mars 2022 un contrat avec le pays pour la construction d’une centrale thermique (au gaz), elle espère pouvoir lui proposer ses services dans les domaines de l'hydraulique et du solaire.

En mars dernier, les deux entreprises ont déjà reçu la visite de Greenpeace. Pas pour le Louvre, mais pour leur demander « de rompre immédiatement leurs contrats avec l’industrie nucléaire russe ». Sans effet, la France ayant fait exempter cette filière des sanctions contre Moscou, contre l’avis du Parlement européen.

 

Quant au solaire, peut-être un jour le Louvre en aura besoin pour gagner en autonomie. Quand l’architecte des bâtiments de France n’aura plus d’autres choix que d’accepter qu’on installe des panneaux photovoltaïques sur ses toits, le musée pourra toujours solliciter Total Eren, « filiale » verte de TotalEnergies, qui exploite depuis peu une centrale solaire qu’elle a construite… en Ouzbékistan.

 

Bernard Hasquenoph

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