Face à la perspective du RN, les associations déterminées à rester fidèles à leurs principes
Entre montée des interdictions et modification des politiques sociales, la perspective de l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir suscite l'inquiétude des associations. Face à ce contexte, Médecins sans frontières, le Secours catholique et Utopia 56 réaffirment le principe d’universalité qui guide leurs actions.
« Nous n’accepterons pas la fin de l’accueil des mineurs non accompagnés. Nous n’accepterons pas la précarisation des personnes étrangères. Nous n’accepterons pas la dégradation de l’état de santé des plus vulnérables. Nous n’accepterons pas la criminalisation des personnes sans-domicile fixe. Après le 7 juillet, fidèles au principe d’humanité qui guide notre action, nous continuerons à soigner toutes les personnes qui en ont besoin, sans aucune distinction », déclarait ce lundi 1er juillet l’association Médecins sans frontières dans un post publié sur le réseau social LinkedIn.
Depuis l’arrivée en tête du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et au premier tour des élections législatives, de nombreuses associations prennent la parole pour exprimer leurs inquiétudes face à certaines mesures défendues par Jordan Bardella et ses alliés.
Malgré la crainte de voir leurs possibilités d’action considérablement réduites, voire d’être prises en porte-à-faux par les autorités, ces dernières réaffirment leur détermination à continuer leurs activités selon leurs principes directeurs.
La « préférence nationale », un principe inapplicable pour les associations
« On ne va pas se renier parce que la famille politique qui gouverne change », pose d’emblée Jean Merckaert, directeur du plaidoyer France et Europe du Secours catholique. Pour le responsable associatif, la première inquiétude en cas de victoire du Rassemblement national aux élections législatives est que les associations soient entravées dans leur projet d’accueil inconditionnel.
Les associations rejettent en particulier la notion de « préférence nationale » mise en avant dans sa politique par le RN, qu’elles considèrent incompatible avec leurs modes d’action. « L’aide à toutes les personnes, quelles qu’elles soient, est gravé dans nos statuts. Cela fait partie de notre raison d’être », appuie Jean Merckaert .
Le chargé de plaidoyer du Secours catholique craint qu’un gouvernement RN subordonne les financements des associations à des conditions de nationalité ou de régularité des bénéficiaires, ainsi que des interventions des forces de l’ordre à l’entrée des distributions alimentaires ou des intrusions dans les lieux d’accueil.
« Cela serait inacceptable pour nous », dénonce-t-il vivement.
Des affiches du secours catholique pour réaffirmer ses principes
Si le budget du Secours catholique repose à plus de 90 % sur des financements privés, l’association est en lien avec des acteurs de l’hébergement et de l’insertion qui fonctionnent grâce à des subventions publiques, notamment l’association Cité Caritas qu’elle a créé et qui agit pour l’inclusion des personnes en situation de précarité, d’exclusion et de handicap.
En cas d’arrêt des financements ou de suppression de l’abattement fiscal sur les dons, il y a un risque de disparition des structures et de retour à la rue pour de nombreuses personnes en situation irrégulière, appuie Jean Merckaert.
« On anticipe des situations de grande détresse, de grande misère et un afflux de demandes vers nous », déplore-t-il.
Pour réaffirmer son principe d’accueil inconditionnel, le Secours catholique a envoyé cette semaine dans ses antennes des affiches, sur lesquelles est inscrit l’article 1 de ses statuts. Ce dernier fonde l’objet de l’association, celui d’apporter un secours et une aide « partout où le besoin s'en fera sentir, à l'exclusion de tout particularisme national ou confessionnel ».
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Chez Utopia 56, tenir face à la montée des tensions
« Il est évident que l’on va continuer nos actions », certifie quant à lui Yann Manzi, cofondateur et coordinateur de l’association d’aide aux personnes en situation d’exil et de migration Utopia 56.
En cas de gouvernement RN, « je pense que cela va être très compliqué pour les associations non mandatées », met néanmoins en avant le responsable de l’association. Le contexte politique lui fait redouter une hausse de la violence civile ainsi qu’une augmentation des confrontations de bénévoles par les forces de l’ordre.
« Nous subissons déjà des attaques depuis quelque temps, mais là on sent que c’est en train de s’accélérer », témoigne-t-il. À Calais, à Tours ou encore à Toulouse il y a quelques semaines, les locaux de l’association ont fait l’objets de tags par des groupes d’extrême droite, les qualifiant « d’association immigrationniste ».
Nous resterons des lanceurs d'alerte.
À la frontière anglo-française, le responsable de l’association se prépare à « quelque chose de plus musclé qu’hier » de la part des forces de l’ordre.
Comme les autres responsables associatifs interrogés par Carenews, Yann Manzi fait le constat d’une libération de la parole à l’encontre des personnes étrangères, favorisée par la montée du Rassemblement national.
Au-delà des intimidations, Utopia 56 craint également une dissolution de l’association, déjà évoquée par des membres du Rassemblement national. « Je suis convaincu que tout ce qu’ils vont pouvoir faire contre nous, ils vont le faire », se désole-t-il, tout en refusant de se laisser abattre. « Nous resterons ancrés dans nos actions. On va se battre et on restera des lanceurs d’alerte », affirme-t-il déterminé.
Défendre l’accès universel aux soins à travers l'AME
« Il s’agit de réaffirmer une position de principe », appuie de son côté Xavier Crombé, chef de mission France chez Médecins sans frontières, à l’évocation de la publication de son ONG postée sur LinkedIn. L’association a également signé par le biais de sa présidente un appel des soignants à préserver un accès universel aux soins.
Au cœur de l’inquiétude de l’association, qui reçoit dans ses cliniques mobiles un public à la rue et des personnes exilées, la suppression de l’aide médicale de l’État (AME) voulue par le Rassemblement national.
« En France, une grande partie de nos actions consiste à amener les gens vers le soin et un de nos moyens est de les aider à ouvrir leurs droits à l’AME », s’inquiète Xavier Crombé.
Pour le chef de mission, la suppression de l’AME exclurait du soin les personnes les plus fragiles et mettrait en danger la santé publique dans son ensemble. De plus, l’affaiblissement du dispositif public ferait peser sur l’association, qui ne reçoit pas de subventions publiques, une demande accrue à laquelle elle n’est pas sûre de pouvoir répondre.
« Si le système de santé fonctionne encore, c’est parce qu’il y a beaucoup de soignants étrangers qui y travaillent, dans des conditions parfois dégradées », rappelle également Xavier Crombé, mettant en avant « une vraie angoisse qui traverse le milieu soignant ».
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De la désobéissance civile ?
Pour les associations, le contexte hostile à leurs actions a précédé la montée en puissance du Rassemblement national. « Il y a une forme de continuité, le chemin a été pavé », dénonce Xavier Crombé, pointant du doigt les discours insistants sur la charge financières des étrangers sur le système de santé, « à l’encontre des avis des chercheurs qui montrent l’utilité de l‘AME ».
Du point de vue du responsable associatif, réaffirmer les principes de son association et de l’universalité des soins, « ce n’est pas pousser à la désobéissance mais au contraire demander le respect du droit et de l’éthique médicale », notamment du serment d'Hippocrate et du droit à la santé consacré par la déclaration universelle des droits de l'homme et par le préambule de la Constitution de 1946.
Face à la question de la désobéissance civile, les associations mettent toutes en avant la défense des droits fondamentaux, inscrits dans la Constitution et les traités internationaux, et ce malgré des mesures qui seraient votés par une majorité à l’Assemblée nationale. « La démocratie, ce n’est pas la tyrannie de la majorité sur la minorité. Il y a des principes, du droit, des institutions », souligne Xavier Crombé.
« Tant qu’il y a du droit, nous continuerons à travailler dans les règles du droit », affirme quant à lui Yann Manzi. Pour lui, la réponse est claire. « Mais nous ne demanderons pas une pièce d’identité pour aider les personnes. Et si on nous y oblige, on désobéira, on se battra. S’il le faut, nous deviendrons une association de résistants », assure-t-il.
Pour Jean Merckaert, en cas de désengagement ou d’attaque de l’État sur la solidarité, l’action de terrain des associations devra se doubler d’une action politique et militante accrue. « Il faudra protester car le monde associatif ne pourra pas se substituer à une action publique défaillante ou hostile », considère-t-il.
Le responsable du Secours catholique insiste sur la nécessité de porter la représentation des personnes et de créer des passerelles « entre des mondes qui ne se ressemblent pas ». Face au risque d’être pris à parti pour leurs activités, « nous refuserons de nous laisser enfermer et instrumentaliser », appuie-t-il.
Élisabeth Crépin-Leblond