Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 13 novembre 2023 - 17:53 - Mise à jour le 26 janvier 2024 - 01:16 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Aide médicale de l’État : « Sa suppression serait une erreur éthique, sociale et économique », dénonce une médecin généraliste

3 500 médecins ont signé un appel pour s’opposer à la suppression de l’aide médicale de l’État (AME), votée par le Sénat lors de l’examen du projet de loi «immigration». Parmi eux, Julie Chastang est médecin généraliste au centre municipal de santé de Champigny-sur-Marne, maîtresse de conférences à Sorbonne-Université et engagée dans l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé.

Julie Chastang est médecin généraliste dans le Val -de-Marne. Crédits : DR
Julie Chastang est médecin généraliste dans le Val -de-Marne. Crédits : DR

 

  • Pourquoi avez-vous signé cet appel ? 

 

En tant que médecin, je trouve que l’aide médicale de l’État est un devoir. La supprimer serait un non sens et une erreur politique mais aussi humaine, éthique, sociale et économique. 

Vendredi, j’ai examiné une petite fille qui avait une crise d’asthme. Elle ne bénéficiait pas de l’aide médicale de l’État, car sa maman n’avait pas réussi à avoir de rendez-vous avec l'assistante sociale. Elle y avait pourtant droit. J’ai passé beaucoup de temps gratuitement à lui expliquer comment prendre son médicament pour l’asthme, à l’accompagner pour qu’elle n’ait pas besoin d’aller aux urgences lors d’une crise, à lui remettre des traitements qu’elle ne pouvait pas acheter à la pharmacie et à l’accompagner pour qu’elle puisse faire valoir ses droits auprès de la sécurité sociale. 

Dans la réalité, on observe que les personnes qui peuvent bénéficier de l’AME ont du mal à avoir accès à leurs droits, y compris les plus basiques. 

Pourtant, c’est l’inverse qu’il faudrait faire. C’est-à-dire faciliter l’accès à la santé. C’est une question d'humanité et de capacité à vivre ensemble. Serait-on capable de regarder cette petite fille faire sa crise d’asthme sans la laisser accéder aux soins ? Préfère-t-on qu’elle aille saturer le service d’urgence ? L’accès à la santé est un droit fondamental. On ne peut pas priver les personnes les plus vulnérables de leurs droits. 


À lire aussi : Projet de loi « immigration » : les associations insurgées font entendre la voix des exilés 


 

  • Quelles conséquences craignez-vous en cas de suppression de l’aide médicale de l’État ? 

 

Les rapports européens et internationaux montrent que de ne pas permettre aux étrangers présents sur le territoire d'accéder à la santé, aux premiers recours de soin chez les médecins généralistes, au suivi et à la prévention, a un impact financier extrêmement important. Il faut prendre en compte le coût pour la société des maladies infectieuses qui ne seront pas soignées et celui des maladies chroniques qui n’auront pas été dépistées. Par exemple, ne pas soigner l’hypertension entraîne une surmortalité et une sur-hospitalisation liées à des AVC. Autre exemple, il est beaucoup moins cher de soigner le diabète grâce à l’achat d’un médicament à la pharmacie tel que le metformine que de devoir prendre en charge des diabétiques en réanimation. 

 

  • Seriez-vous prêtes à « désobéir » comme le promet l’appel que vous avez signé et à soigner gratuitement des patients ?

 

J’ai signé cette tribune parce que je suis profondément convaincue que supprimer l’AME est une erreur. Nous les soignants, nous sommes confrontés à plein de problèmes quotidiens. Si on ajoute le problème éthique des patients qui viendraient nous consulter sans bénéficier de l’AME, on ne va pas y arriver.

Mais désobéir soulève des questions. 

Dans mon centre de santé, je suis salariée du service public. Soit j’enfonce encore plus le service public, qui connaît déjà des difficultés financières, en soignant gratuitement, soit je le fais hors de mon temps de travail alors que mon métier est déjà si dur. Les médecins généralistes libéraux sont payés à l’acte. En pratiquant des actes gratuits, cela veut dire qu’ils doivent choisir entre gagner leur vie et soigner des gens. La santé mentale des soignants aujourd’hui fait qu’il est difficile de leur ajouter cette charge-là.  La suppression de l’AME concerne aussi les infirmiers qui sont dans la même situation et pour qui les actes sont encore moins bien payés. 

Je vais donc me retrouver dans un conflit personnel et éthique. Je continuerai sûrement de soigner quoi qu’il arrive, mais ce que j’ai à dire à nos parlementaires, c’est ne nous mettez pas face à ce dilemme.

 

Propos recueillis par Elisabeth Crépin-Leblond 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer