Santé mentale : une formation aux premiers secours pour déstigmatiser
La formation aux premiers secours en santé mentale permet de mieux connaître les troubles psychiques, et d’apprendre comment agir dans un contexte personnel et professionnel. Reportage lors d’une matinée de formation destinée aux particuliers, qui s'est déroulée le 15 décembre à Paris.
Deux participants sont assis face à face. Sur leur buste, une petite étiquette indique leurs prénoms fictifs, Lucie et George. Ils se lancent dans une conversation sur les repas de Noël. Pendant ce temps, Ana Dejanovic souffle des voix à l’oreille de Lucie à l’aide d’un tube en carton. En assistant à cette scène, les participants à la formation aux premiers secours en santé mentale peuvent avoir une idée de l’expérience vécue par une personne atteinte de troubles psychotiques vivant des hallucinations.
Ce vendredi 15 décembre, 14 personnes suivent cette formation dispensée par Ana Dejanovic à Paris. Comme elle, 1 300 formateurs indépendants la proposent en France, sous l’égide de l’association Premiers secours en santé mentale (PSSM) France. Pendant deux jours, des participants découvrent trois grandes familles de troubles de santé mentale : les troubles anxieux, dépressifs et psychotiques. Après les avoir présentés, Ana définit des « plans d’action » en présentant les moyens d’aider une personne ayant des pensées ou des intentions suicidaires, connaissant des crises de panique ou encore sous le choc après un événement traumatique.
Une formation qui « résonne systématiquement »
L’apprentissage repose sur plusieurs exercices. La journée commence par exemple avec un « réveil pédagogique ». Ana divise la salle en deux groupes et demande à chacun de poser cinq questions relatives aux sujets abordés la veille à l’autre. À la clé pour le groupe ayant trouvé le plus de bonnes réponses : une boîte de chocolats. Le tutoiement est généralisé entre les participants, les blagues fusent quand les sujets le permettent, l’esprit de compétition s’anime, même pour parler des troubles psychiques.
Ana s’appuie aussi beaucoup sur les questions et les témoignages des participants. « Vous avez déjà vécu des attaques de panique ? », demande par exemple Magali aux autres participants qui l’entourent lorsque les troubles anxieux sont abordés. Certains racontent qu’ils ont fait face à des personnes vivant une crise, d’autres expliquent qu’ils en ont vécu eux-même. C’est le cas de 25 % de la population. « La formation, peu importe qui la suit, résonne systématiquement, on a tous quelqu’un dans notre famille, nos amis ou sur notre lieu de travail qui connaît des troubles », confirme Ana, elle-même concernée par des troubles psychiques.
Deux fois dans la matinée, des témoignages vidéos de personnes atteintes de troubles sont diffusés. Ils racontent leur diagnostic et leur parcours de soin. Comme l’exercice consistant à simuler des troubles hallucinatoires – qu’Ana recommande de ne pas reproduire chez soi –, ces moments peuvent susciter beaucoup d'émotions parmi les participants, parfois concernés dans leur vie personnelle. C’est le cas d’Élodie, 29 ans, qui travaille « dans la santé numérique ». Elle estime que « la journée d’hier était difficile sur le plan émotionnel ». Alors Ana s’assure de détendre l’atmosphère. Après la simulation par exemple, elle incite les participants à décrire les plats qu’ils cuisineront lors des fêtes de fin d’année.
Mieux faire face aux situations personnelles et professionnelles
La formation vise aussi à déstigmatiser ces troubles. Au cours d’un exercice, Ana énonce des affirmations comme « les personnes atteintes de troubles psychotiques sont forcément dangereuses », et les participants se placent d’un côté ou de l’autre de la salle, selon s’ils pensent qu’elle est vraie ou non. Beaucoup ne connaissent pas les réponses. En effet, les troubles sont encore très mal connus et réduits à des cas comme la bipolarité et la schizophrénie, pourtant moins répandus et mal compris.
« Toutes les mauvaises représentations qu’on a de ces troubles ont un impact direct sur le rétablissement des personnes. »
Ana Dejanovic, formatrice indépendante.
« Toutes les mauvaises représentations qu’on a de ces troubles ont un impact direct sur le rétablissement des personnes », déplore Ana. Deux tiers d’entre elles ne se soignent pas auprès d’un professionnel. Cela a des conséquences sur leur santé et leur vie personnelle : une personne atteinte de dépression peut par exemple développer des problèmes de consommation de drogue, ou des troubles du comportement alimentaire. Leur rétablissement est donc plus long et plus difficile.
Toutes les personnes majeures – et bientôt les adolescents –, peuvent suivre la formation PSSM partout en France, moyennant 250 euros. 92 000 personnes sont formées à ce jour, soit 32 000 de plus que l’objectif fixé par le gouvernement pour cette année.
Agir en entreprise
Souvent, des entreprises sollicitent l’association pour organiser la formation en interne, à destination de leurs collaborateurs. Ce jour-là, si certains participants sont venus pour des raisons personnelles ou par curiosité, la plupart viennent par obligation de leur employeur ou dans le cadre professionnel.
C’est le cas de Magali et Isabelle, qui travaillent à l’antenne de Fontainebleau de l’Université Paris-Est Créteil. Beaucoup d'étudiants connaissent des difficultés en santé mentale et s’adressent à elle. « On ne sait pas comment réagir et jusqu’où aller », raconte Magali, directrice de la scolarité de l’université. Une infirmière de l’université leur a parlé de la formation.
Comme les autres participants, elles saluent une formation utile pour reconnaître les troubles et agir. Encore faut-il pouvoir le faire. Un autre exercice consiste à se mettre à la place du supérieur hiérarchique de Karen, salariée fictive atteinte de troubles. Les participants, réunis par groupe de quatre, écrivent sur des feuilles quoi faire dans cette situation. Mais à la suite de cette activité, la discussion porte sur les facilités à mettre en œuvre ces actions : par exemple, au-delà de l’écoute, il peut être utile d’accorder aux personnes concernées du repos ou des RTT. « C’est plus difficile dans les grandes entreprises », observe l’une des participantes. La parole commence à se libérer sur les troubles en santé mentale, y compris dans un cadre professionnel, mais « il y a encore du pain sur la planche », abonde Ana.
Célia Szymczak