Fortes chaleurs et canicule : quel rôle pour les employeurs ?
La loi oblige les employeurs à mettre en œuvre un certain nombre de mesures en cas de fortes chaleurs. Certains secteurs et travailleurs sont particulièrement à risques, mais la protection doit être pensée dans tous les métiers.

Dès la fin du printemps et tout l’été, travailler sous de fortes chaleurs peut vite devenir un calvaire. Fatigue, maux de tête, nausées, baisse de la vigilance, des capacités physiques et cognitives, causant des difficultés à assurer des tâches nécessitant une forte concentration ou vigilance et une augmentation des risques d’accidents... Les conséquences sont nombreuses et peuvent être graves, voire très graves. En 2024, Santé publique France a identifié sept accidents du travail mortels « en lien possible avec la chaleur ».
Dans ces conditions, quel est le rôle des employeurs ? Il est encadré par la loi, puisque ceux-ci sont tenus par le Code du travail de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Un décret publié le 27 mai dernier précise leurs obligations concernant les fortes chaleurs.
Les obligations des employeurs précisées
Les locaux fermés doivent être « en toute saison, maintenus à une température adaptée », précise désormais la loi. Les risques liés à la chaleur doivent être recensés et évalués dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Si des risques sont identifiés, huit obligations de prévention en cas de fortes chaleurs sont listées :
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La mise en œuvre de procédés de travail ne nécessitant pas d’exposition à la chaleur ou nécessitant une exposition moindre,
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L'aménagement et l’agencement des lieux et postes de travail,
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L’adaptation et l’organisation du travail, et notamment des horaires de travail,
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Des moyens techniques pour réduire le rayonnement solaire sur les surfaces exposées ou pour prévenir l’accumulation de chaleur dans les locaux et aux postes de travail,
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L’augmentation, autant qu’il est nécessaire, de l’eau potable fraîche mise à disposition des travailleurs,
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Le choix d’équipements de travail appropriés,
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La fourniture d'équipements de protection individuelle permettant de limiter ou de compenser les effets des fortes températures ou de se protéger des effets des rayonnements solaires directs,
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L’information et la formation adéquate des travailleurs.
Ainsi, les horaires de travail peuvent être décalés plus tôt dans la journée ; davantage de pauses peuvent être organisées ; les salariés peuvent être informés le matin des risques et précautions à prendre en période de canicule ; des chapeaux, casquettes ou gilets rafraichissants peuvent leur être fournis, illustre Jennifer Shettle, responsable du pôle informations juridiques à l’INRS. Cet organisme constitué de représentants des employeurs et des salariés, chargé de la prévention des risques professionnels, recommande aussi d’éviter le travail isolé pour favoriser une « surveillance mutuelle des salariés », de reporter le travail physique, de prévoir une salle de repos fraiche ou encore de sensibiliser les travailleurs aux mesures individuelles permettant de réduire les risques.
Des profils de travailleurs plus à risque
Selon un arrêté publié le même jour, un épisode de chaleur intense a lieu lorsque les seuils jaune, orange et rouge du dispositif de vigilance canicule de Météo-France sont déclenchés. « Cela permet d’avoir de vrais repères. Les risques dépendent notamment des départements et des conditions climatiques, pas seulement de la température », explique Jennifer Shettle. « Le vent ou l’humidité doivent être pris en compte », illustre-t-elle. L’INRS définit toutefois des températures au-delà desquelles il existe des risques, pour fournir des indications aux employeurs : 28 degrés pour une activité physique et 30 pour une activité sédentaire.
« Il faut aussi regarder l’activité du salarié, l’intensité du travail, son poste de travail et si la personne peut être considérée comme vulnérable », poursuit Jennifer Shettle. Le décret contraint d’ailleurs à l’adaptation des mesures de prévention dans le cas de vulnérabilité particulière des travailleurs, liée à leur âge ou à leur état de santé.
« L’anxiété, la peur de perdre son emploi ou de voir ses revenus diminuer peut favoriser des comportements à risque », note également France stratégie dans une analyse publiée en 2023. Les personnes ayant une activité professionnelle instable, un faible niveau de qualification ou de revenus « cumulent généralement d’autres facteurs aggravants liés à leurs conditions de vie », comme un logement mal isolé ou un lieu d’habitation éloigné du lieu de travail, souligne les auteurs.
Des secteurs particulièrement concernés
Certains travailleurs sont donc plus à risques. Ceux exposés à des fortes chaleurs dans leur activité professionnelle le sont aussi, les cuisiniers par exemple, comme ceux au contact de produits toxiques ou subissant un fort ensoleillement. Six des sept accidents mortels liés à la chaleur identifiés par Santé publique France pour 2024 sont « survenus dans le cadre d’une activité professionnelle de construction et travaux ou d’agriculture ». En effet, ces métiers pratiqués en extérieur sont particulièrement exposés. Depuis la publication du décret, les salariés du BTP peuvent d’ailleurs bénéficier du chômage pour intempéries et être indemnisés en cas de vigilance orange ou rouge.
Mais tous les métiers sont concernés. L’épisode caniculaire de début juillet, en France, a conduit à la fermeture de nombreuses écoles sur décision des municipalités. « Il y a des classes dans lesquelles la chaleur est montée à 36 degrés », témoigne Floriane, professeur des écoles dans le Vaucluse. « La journée, la température devient infernale. J’apportais deux ventilateurs de chez moi, mais nous n’avions pas de prises partout. Il y a des coins dans lesquels il n’y avait pas du tout d’air ». Au-delà des conséquences sur la capacité de travail et le bien-être des élèves, l’institutrice a elle-même constaté les effets de la chaleur une fois rentrée chez elle, sur sa fatigue. « Mon travail ne s’arrête pas à 16h30, nous devons rentrer et corriger après, mais nous sommes crevés », regrette-t-elle. « C’est compliqué pour tout le monde, les personnes qui font le ménage le soir par exemple », ajoute l’enseignante. Dans l’école, il n’y a pas de climatisation ou de ventilateurs au plafond. Des travaux de végétalisation ont commencé dans plusieurs établissements de la commune concernée, mais pas encore dans celui-ci.
La chaleur peut aussi affecter les salariés dans le secteur des services, même si « les bureaux sont quasiment toujours climatisés ou dotés de système de ventilation », comme l’observe Jennifer Shettle. « Sinon, l’employeur doit s’adapter en termes d’horaires de travail. Le télétravail peut être privilégié, si cela a un intérêt pour l’employé. La chaleur est de toute façon à prendre en compte quel que soit le secteur », affirme-t-elle
Les employeurs doivent anticiper la chaleur
« L’employeur doit prévoir les mesures de prévention adaptées et appropriées à sa situation. Les mesures listées dans le Code du travail ne sont pas exhaustives, s’il a d’autres idées, rien ne l’empêche de les rajouter », précise la spécialiste.
Dans les cas où « le salarié estime qu’il est exposé à une situation de danger grave et imminent », il peut exercer son droit de retrait et arrêter de travailler. « Mais en général, cela n’est pas considéré comme légitime s’il y a des mesures prises par l’employeur », constate Jennifer Shettle. « Les années passant, il y a une vraie prise de conscience. Les employeurs agissent de plus en plus, notamment dans le BTP », poursuit l’experte. Elle alerte toutefois sur les calendriers. « Il reste toujours des entreprises qui commencent à mettre en place des mesures en mai ou en juin. Nous appelons vraiment à anticiper, dès février ou mars. Agir la veille, c’est compliqué », soutient-elle. Il est urgent de se mobiliser. Avec le changement climatique, les vagues de chaleur vont s’accélérer.
Pour Solidaires, le décret publié le 31 mai comporte de « sérieuses limites ». Les mesures de prévention doivent exister en dehors des alertes canicules, estime le syndicat. Il demande aussi à l’État de fixer des températures maximales, de raccourcir le délai dans lequel l’employeur doit agir en cas de mise en demeure par l’inspection du travail – il dispose aujourd’hui de 8 jours – et de donner la possibilité à celle-ci d’exiger l’arrêt d’activités en cas de « situations météorologiques extrêmes ». Solidaires milite aussi pour l’extension du dispositif d’indemnisation prévu pour le BTP aux livreurs indépendants. La CFDT appelle également à des mesures de protection de ces derniers.
« La majorité [des] accidents mortels ont eu lieu pendant la période “verte” » et « les températures relevées au sein des locaux de travail ne sont pas toujours en lien direct avec la température extérieure », fait valoir la CGT, qui déplore la référence aux seuils d’alerte canicule pour qualifier les situations de forte chaleur. Le syndicat met aussi en cause le délai de 8 jours accordés aux employeurs pour établir des mesures de prévention.
Célia Szymczak