L’ANTISÈCHE – Au fait, c’est quoi les crédits biodiversité ?
Inspirés des crédits carbone, les crédits biodiversité sont un mécanisme de compensation des dommages causés aux écosystèmes par une entreprise. Si leur développement fait l’objet de discussions au niveau international, ils ne sont pas exempts de critiques quant à leur réel intérêt écologique.
Développé sous le modèle des crédits carbone, le concept de crédits biodiversité est apparu pour encourager la protection et la conservation des écosystèmes par des financements d’acteurs économiques privés.
Son fonctionnement consiste à certifier le fruit d’une action permettant de préserver ou de restaurer un espace naturel en calculant le gain obtenu pour l’écosystème grâce aux moyens mis en œuvre, et à lui attribuer une valeur monétaire. Les crédits biodiversité générés peuvent ensuite être achetés, vendus ou échangés sur un marché dédié, notamment par des entreprises dans le but de compenser leurs propres impacts négatifs sur la biodiversité.
Pour donner lieu à un crédit biodiversité, l’action sur la biodiversité doit être inscrite dans la durée et apporter quelque chose d'additionnel par rapport à ce qui se serait passé naturellement dans l'écosystème. Comme exemples d’actions permettant de générer des crédits biodiversité, se trouvent notamment la restauration d’habitats naturels, la protection des espèces menacées, ou encore la mise en place de pratiques de gestion durable des terres.
L’absence de norme internationale
Le concept de crédit biodiversité a vu le jour dans les années 1990 aux États-Unis lors de la création de « banques de compensation » ou en anglais « mitigation banks ». Ces banques environnementales permettent à des promoteurs de compenser la destruction d’habitats naturels, comme des zones humides ou des habitats d'espèces protégée, en finançant des projets de restauration ailleurs par le biais d’achats de crédits.
Il a ensuite été repris par l’Australie qui a adopté en 2003 le « Native Vegetation Act », visant à réguler le défrichement de la végétation indigène et introduisant un mécanisme de compensation de la biodiversité obligatoire.
Au niveau international, il n’existe pour l’instant pas de normes universelles pour échanger les crédits biodiversité mais le concept se développe au fil des conférences internationales sur la biodiversité.
La création de crédits biodiversité faisait notamment partie des recommandations émises par le groupe de travail des Nations unies en amont de la COP 15 Biodiversité, tenue en décembre 2022 à Montréal. Cette dernière a donné lieu à l’adoption du cadre de Kunming-Montréal qui constitue un plan stratégique pour la décennie 2020 sur la diversité biologique et dont l’objectif 19 portait sur le développement du financement privé. Ils ont également été évoqués lors de la COP 28 sur les changements climatiques, qui s’est achevé le 13 décembre 2023 à Dubaï.
À l’origine, les crédits biodiversité sont pensés essentiellement à destination des grands réservoirs de biodiversité des pays du Sud comme le bassin du Congo, l’Amazonie ou les zones du Pacifique. L’objectif y est d’apporter des financements nécessaires pour protéger ces immenses espaces naturels, qui bénéficient initialement de moindres moyens, et ce dans l’intérêt général de la planète et de l’humanité.
Des crédits biodiversités peuvent néanmoins également être générés dans les pays du Nord. Les actions sont alors généralement centrées sur la restauration d’écosystème abimés par un usage intensif de l’agriculture, par l’industrie ou par l’artificialisation des sols.
S’il n’existe pas encore de normes universelles, ce qui rend difficile la comparaison et l’échange entre différentes initiatives de conservation, différentes initiatives voient le jour dans le cadre de certifications privées ou de marchés nationaux limités.
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Une feuille de route mondiale et un comité consultatif international pour la création de marchés
La France et le Royaume-Uni ont ainsi lancé une feuille de route mondiale pour les crédits biodiversité, lors du Sommet pour un nouveau pacte financier qui s’est tenu les 22 et 23 juin 2023 à Paris et dont l’objectif était de financer la transition écologique pour les pays du Sud.
« La feuille de route mondiale se penchera sur cinq défis clés en matière de conception des marchés de crédits biodiversité afin d'obtenir des résultats équitables, positifs et de haute intégrité pour les peuples et la planète », indiquaient les deux États.
Un comité consultatif international sur les crédits biodiversités a été lancé au même moment, qui doit présenter à la COP 16, du 21 octobre au 1er novembre 2024 à Cali, un ensemble de principes et de lignes directrices concernant les crédits biodiversité ainsi que quelques projets pilotes.
Tandis qu’au Royaume-Uni, le lancement d’un marché des crédits biodiversité a été déjà été programmé pour novembre 2024, en France, la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature, et des paysages » de 2016, a renforcé et structuré les mécanismes de compensation écologique. Elle a notamment précisé la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), selon laquelle tout projet ayant un impact environnemental doit d’abord chercher à éviter les atteintes à la biodiversité, puis à la réduire, avant de compenser les dommages causés.
De son côté, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a appelé le 13 septembre 2024 à la création de « crédits nature » dans le cadre d’un marché européen de la biodiversité, sur le modèle du marché carbone européen déjà existant.
Mais l’enjeu dans la structuration de tels marchés est en particulier d’éviter les dérives constatées sur les marchés du carbone depuis sa création.
Un mécanisme critiqué
En effet, comme les crédits carbone, les crédits biodiversité font l’objet de critiques. Certains dénoncent notamment une financiarisation et une marchandisation de la nature qui réduirait sa valeur intrinsèque à un produit économique. D’autres pointent un risque d’accaparement des ressources naturelles par des entreprises ou des investisseurs dans le but de générer des crédits biodiversité ainsi qu’un impact social négatif pour les communautés locales qui dépendent des écosystèmes concernés.
En tant que produits financiers, les crédits biodiversité peuvent également être soumis à une spéculation excessive qui pourrait conduire à une volatilité des prix et à des impacts imprévus sur la nature. Certains, les considèrent en outre comme une « fausse solution environnementale », qui permet aux entreprises d’acheter des crédits pour se dédouaner tout en continuant leurs activités polluantes.
De plus, les crédits biodiversité font face à des défis techniques qui résident dans le fait qu’il est difficile d’évaluer monétairement la valeur de la biodiversité et l’importance d’un écosystème. Des lacunes de transparence et de contrôle ainsi que de suivi des crédits biodiversité dans les mécanismes existants sont également soulevés.
Élisabeth Crépin-Leblond