Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 27 mars 2024 - 11:25 - Mise à jour le 28 mars 2024 - 15:39 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

La restauration de la nature, une doctrine à part pour préserver la biodiversité

Le Parlement européen a adopté en février un règlement qui prévoit la restauration d’au moins 20 % des terres et des mers de l’Union européenne d’ici à 2030. Un chantier à la fois important et complexe pour lequel se mobilisent les associations de protection de la biodiversité, et qui pose des questions de définition.

La restauration de la nature est une doctrine qui cherche à restaurer les processus des écosystèmes. Crédits : iStock
La restauration de la nature est une doctrine qui cherche à restaurer les processus des écosystèmes. Crédits : iStock

 

« C’est l’un des textes européens les plus importants en termes d’écologie de ces trente dernières années », estime Lorenzo Arduino. Le coordonnateur du plaidoyer au sein de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) se réjouissait, car le 27 février dernier, le Parlement européen a adopté le règlement sur la restauration de la nature, destiné à enrayer le déclin de la biodiversité en Europe. 

En passe de rentrer en vigueur, le texte vient de faire face à un revers imprévu. Alors que les 27 ministres de l'Environnement des pays membres de l'Union européenne devait apposer leur tampon final lundi, la Hongrie a finalement retiré son soutien, privant le règlement de majorité qualifiée.

Ce texte, pour l’adoption duquel Lorenzo Arduino a participé au lobbying avec d'autres ONG, fait partie du Pacte vert, un ensemble législatif destiné à rendre l’Europe neutre climatiquement d’ici à 2050. Le règlement impose aux États membres de restaurer au moins 20 % des terres et des mers de l’Union européenne d’ici à 2030 et l’ensemble des écosystèmes ayant besoin d’être restaurés d’ici à 2050.

Adopté par le Parlement malgré une forte tension avec les syndicats agricoles, il était jugé capital par les associations de protection de la nature. « En Europe, les habitats naturels sont dans un état de conservation médiocre, voire mauvais. On ne peut pas se permettre de ne pas avoir de réponse », assure Ingrid Vanhée, directrice générale adjointe de l’association de protection de la nature Noé. 

Mais que signifie le terme de « restauration de la nature » adopté par le Parlement dans son règlement ? 

Pour Lorenzo Arduino la restauration de la nature recouvre deux aspects pris en compte par le règlement. Il s'appuie notamment sur la définition de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui distingue la préservation d'un écosystème fonctionnel et en bon état écologique, de l'intervention active où l’humain améliore la gestion d’écosystèmes pour une utilisation durable par les activités humaines, crée un écosystème ou restaure un écosystème dégradé.

Elle recouvre donc des actions de formes diverses comme l’arrêt des pesticides versés sur une prairie humide, la construction de dômes pour que se greffent les coraux sur le littoral, ou la réhabilitation de mares asséchées. Le point commun entre tous ces actes est leur objectif, celui de permettre aux espèces animales et végétales de se développer en réhabilitant les fonctionnalités de leur habitat et en prenant en compte les rôles complémentaires entre les espèces.

 

« Un écosystème est comme un corps humain »

La question est importante dans l’Union européenne, où environ 80 % des habitats naturels connaissent une situation dégradée. 

Ingrid Vanhée les définit comme « des habitats qui ne permettent pas de fournir les services écosystémiques qu’ils sont censés fournir ». C’est par exemple une rivière qui ne permet plus la vie des poissons, des oiseaux ou des végétaux qu'elle connaissait jusqu’alors à cause de la pollution, de l’artificialisation ou de la sécheresse. « Un écosystème est comme un corps humain : à partir du moment où il est malade, il est plus sensible et de moins en moins fonctionnel », explique–t-elle. 

Or, si l’écosystème est affaibli, il ne pourra plus jouer suffisamment son rôle de captation du carbone ou d'absorption de l’eau dans les sols. Les risques de crues ou d'incendies sont accrus, assure Ingrid Vanhée.

 

Restauration versus conservation

Cependant, le terme de « restauration de la nature », adopté par les députés européens, est en réalité peu employé en France et ne trouve pas encore de mise en œuvre importante, explique Victor Dupuy, écologue au sein de la SNPN. « On parle de génie écologique ou de conservation », explique-t-il. Une différence sémantique qui révèle une différence sur le terrain.

Alors que la logique de la conservation a pour objet de réhabiliter des habitats pour permettre le développement de certaines espèces en particulier, la restauration de la nature, développée davantage aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a pour objet de « restaurer le processus d’un écosystème », explique Victor Dupuy.

Restauré selon la philosophie de la restauration de la nature, l’écosystème pourra ainsi fonctionner de nouveau de lui-même sans l’intervention des humains. La doctrine fait écho aux notions de « réensauvagement » et de « rewilding ». Déployée à grande échelle, elle consiste notamment à réintroduire des espèces sauvages pour le rôle spécifique que celles-ci jouent dans l’écosystème.

« La restauration de la nature en tant que telle existe en France mais elle est peu développée », explique l’écologue spécialisé dans les mares. Parmi les exemples, on retrouve l’introduction de buffles d’eau prévue prochainement dans le département de la Gironde ou des programmes de la SNPN liés au développement de castors dans les cours d’eau.

 

Éviter « l’effet confetti »

Quelle que soit la philosophie choisie, la restauration d’un écosystème endommagé ou de ses fonctions est une processus qui doit s’appliquer en fonction du contexte.

« Parfois la réponse est de déconstruire ce que l’homme a fait. Parfois elle nécessite d’adapter nos modes de vie et de production », explique Ingrid Vanhée, en s’appuyant notamment sur l’exemple des barrages abandonnés dont la présence continue d’endommager la biodiversité dans les rivières.

Pour atteindre les objectifs européens, chaque État devra détailler un plan national de réparation qui visera à restaurer au moins 30 % des habitats en mauvais état d’ici à 2030, avant d’atteindre un objectif de 60 % d’habitats restaurés en 2040, puis de 90 % en 2050.  

Pour être réussie, la démarche devra prendre en compte les écosystèmes dans leur ensemble et dans les interconnexions qu’ils ont entre eux, plaide Ingrid Vanhée.

La directrice adjointe de Noé met notamment en garde contre les solutions simplistes qui pourraient être apportées et contre un potentiel « effet confettis », c’est-à-dire la multiplication de micro-initiatives « qui, mises les unes à côté des autres, ne permettent pas de répondre aux enjeux de préservation ».

 

Mobiliser les citoyens pour « garder la nature»

« Avant la restauration, il faut se pencher sur toute pratique de non-dégradation et de protection », souligne de son côté Lorenzo Arduino. Le coordinateur de plaidoyer rejette toute idée de compensation qui justifierait une destruction de la biodiversité. « Les écosystèmes sont interconnectés », justifie-t-il.

Le coordinateur réseau et plaidoyer de la SNPN, qui espère obtenir plus de financements auprès des décideurs locaux grâce au règlement européen, argue notamment en faveur d'une mobilisation citoyenne dans les espaces naturels de proximité. « Si on sensibilise, une partie de la population pourrait ensuite devenir gardienne de la nature », met-il en avant.

 

Les agriculteurs, en première ligne de la restauration

Une partie du règlement est également dédiée à la question spécifique des écosystèmes agricoles. Un chantier que connaît bien l’association Noé, qui cherche à régénérer la biodiversité aux abords et au sein des champs, notamment par l’installation de haies.

« Il faut créer plus de liens entre nos activités économiques et la préservation ou la restauration des écosystèmes », soutient Ingrid Vanhée qui regrette une opposition souvent dépeinte de manière « caricaturale » entre impératifs agricoles et environnementaux. 

« Les agriculteurs sont les premiers concernés par la disparition écosystémique», affirme-t-elle, mettant en avant les partenariats de longue date entre son association et les acteurs agricoles.

Le règlement européen pose l’objectif de restauration d’au moins 30 % des tourbières drainées d’ici à 2030, augmenté à 40 % en 2040 et à 50 % d’ici à 2050. 

Il prévoit également des mesures pour augmenter l’indice des oiseaux communs des milieux agricoles et imposent aux États membres de progresser dans deux des indicateurs suivants : l’indice des papillons de prairies, la part des terres agricoles présentant des particularités topographiques à haute diversité et le stock de carbone organique dans le sol minéral des terres cultivées.

L’enjeu de la mise en œuvre

Forêts, rivières, prairies, zones humides, rivières, lacs et fonds coralliens sont également concernés par le règlement européen. La priorité est donnée aux zones Natura 2000, des sites naturels ou semi-naturels classés par l'Union européenne pour la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent, mais qui ne sont pas encore complètement protégées.

L’enjeu du règlement est désormais celui de sa mise en œuvre, notamment des financements qu’il nécessite et de sa potentielle collusion avec d’autres préoccupations politiques. « En France, le rythme d’artificialisation des sols est très élevé. Il s’agit d’aller à l’encontre de cette tendance », soutient par exemple Ingrid Vanhée.

Concernant les écosystèmes agricoles, un mécanisme de « frein d’urgence » a également été introduit permettant, à la demande du Parlement européen, de suspendre les objectifs s’ils entraînent une réduction considérable des terres nécessaires à une production alimentaire suffisante pour la consommation de l’UE. 

Pour les défenseurs de la biodiversité, il s’agit donc désormais de peser pour que les objectifs adoptés soient atteints de la meilleure façon possible et qu’ils fassent l’objet d’un suivi. « On oublie que restaurer la nature est une question de survie pour l’humain. C’est aussi un des outils les plus efficaces pour lutter et s’adapter au changement climatique », appuie la directrice générale adjointe de Noé.

 

Élisabeth Crépin-Leblond

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer