Laurent Boyet : la force tranquille
Président-fondateur de l’association Les Papillons Laurent Boyet, 54 ans a été victime d’inceste entre ses 6 et 9 ans. Pour aider les enfants victimes de violences, il puise dans l’écrit et dans une étonnante force intérieure.

« Mon but est d’aider les enfants victimes de violences sexuelles et de violences de toutes sortes à libérer leur parole afin qu’ils puissent se reconstruire et peut-être même retrouver un semblant d’insouciance. Et je ne peux pas les aider si je suis en colère face à mon propre vécu », explique Laurent Boyet, président-fondateur de l’association Les Papillons.
Ce mercredi 4 juin, il est vêtu d’un t-shirt blanc floqué d’une petite couronne noire. A travers l’écran, le quinquagénaire arbore une certaine sérénité malgré un emploi du temps très chargé. En parallèle de son métier de capitaine de police, il consacre en effet six heures quotidiennes à son association « Les Papillons » créée en 2022. Cette dernière fonctionne via un système de boîte aux lettres qui recueillent les mots d’enfants victimes de violences. Il a également été membre de la Ciivise.
Dernier d’une fratrie de cinq enfants, il grandit dans la région Auvergne Rhône-Alpes. De 6 à 9 ans, il est violé par son frère de dix ans son aîné. De ce vécu traumatique, il publie le livre « Tous les frères font ça...» en 2017. « J’ai écrit cet ouvrage en l’espace de quelques heures. Grâce à lui j’ai apprivoisé ma colère et sorti véritablement, viscéralement la hargne que je ressentais. L’éditeur n’a pas changé un seul mot », relate-t-il.
Mais le chemin a été long avant que Laurent n'évoque les sévices de son enfance cabossée et qu’il trouve cette paix intérieure qui détonne. Sur ce point, il évoque un « engrenage du silence » auquel sont confrontés les enfants victimes de violences sexuelles. Cette spirale des non-dits qui l’empêchait d’avancer paisiblement, il la rompt en 2006, peu de temps avant son mariage avec sa femme Sandrine, par le biais d’une lettre qu’il lui adresse. « Avant cet épisode, il m’était impossible de trouver les mots. La présence de Sandrine m’a permis d’enlever le masque que je tentais de garder tant bien que mal et qui ne tenait plus droit », se remémore-t-il. « Je te crois et je serai là », a été sa réponse.
L’écriture pour exorciser les traumatismes et aider les victimes
Par la suite, il adresse d’autres lettres à différents membres de sa famille. Inattendue, la réaction maternelle le laisse dans l’incompréhension. « Elle a dit : “je te crois car je m’en suis toujours doutée”. C’est pour ça qu’il y a eu un certain temps entre cette réaction et la sortie de mon livre. J’en voulais presque plus à ma mère qu’à mon frère », se remémore-t-il.
On comprend rapidement que l’écriture est centrale dans la guérison de Laurent. Ce moyen d’expression fait d’ailleurs partie intégrante du concept des boîtes aux lettres qui voit le jour après sa participation à l’émission Le Monde en face en 2019. Cette dernière diffuse alors le témoignage de Lily, une enfant victime d’inceste. La petite fille apprécie les papillons. « À ce moment, tout a pris sens. Depuis la sortie de mon livre, j’avais fait des plateaux de télévision, mais je voulais aller plus loin et cette envie de viser plus haut a pris forme dans l’association fondée trois ans plus tard », raconte-t-il.
Au fil du temps, la place qu’occupe l’écriture a évolué. Depuis la création de l’association, il poste quasi quotidiennement de longs billets sur les réseaux sociaux. « Par ce biais, je souhaite aider les victimes, leur faire comprendre que ce qu’elles ressentent est normal », souligne-t-il.
Le militantisme « serein » pour « plus d’impact »
L’un des événements marquants suivant la création de la structure est la condamnation pour inceste du grand-père d’une petite fille également nommée Lily. L’enfant avait déposé un mot dans l’une des boîtes aux lettres pour dénoncer ce qu’elle vivait. « Ce que j’ai vécu n’a littéralement pas de sens. Mais aider des enfants qui ont vécu la même douleur que moi donne un certain sens. Sans tout ça, je n’aurais pas compris l’importance de l’écrit et je n’aurais pas créé les boîtes papillon », argue-t-il.
Par ailleurs, il souligne l’importance que revêt pour lui une action non vindicative. « Le fait que je ne sois pas en colère me rend peut-être plus audible par rapport à d’autres qui mènent le combat le poing levé. Ces actions-là sont aussi légitimes, mais ce n’est pas mon mode de fonctionnement », explique-t-il. « À mes yeux, interrompre des conférences de presse sur l’affaire Bétharram ne fait pas avancer les choses car le public ne retient alors que l’agitation. Ce qui compte vraiment est de proposer des choses pour que plus jamais cela n’arrive », précise Laurent Boyet.
Une première « Maison Papillons » a ouvert ses portes à Saint-Estève (Pyrénées-Orientales). Son objectif est d’offrir un accompagnement psychologique aux enfants victimes de violences. Des ateliers de sensibilisation et des groupes de paroles sont également mis en place.
Laurent Boyet porte une grande importance à la relation qu’il a avec les salariés de cet établissement. Béatrice Piromalli, coordinatrice du pôle psychologique de l’association évoque sa grande écoute sur les problématiques que rencontrent les salariés. « Il prend le temps de manger avec nous tous les midis et accorde une grande importance à nos échanges. Il fait tout pour apporter des solutions aux problématiques que nous rencontrons », observe-t-elle.
De son côté, Amandine Boulay, responsable des partenariats mais aussi belle-fille de Laurent Boyet, note son grand sens de l’humour et une « grande capacité à relativiser ».
Léanna Voegeli