Les 10 % les plus riches sont responsables de la moitié des émissions mondiales, selon Oxfam
Un rapport publié le 29 octobre par l’ONG détaille le niveau et la croissance des émissions de gaz à effet de serre en fonction des revenus. Elle formule plusieurs propositions pour lutter équitablement contre le changement climatique.
« Au niveau mondial, les personnes les plus riches sont responsables de la majorité des émissions historiques, actuelles et prévues dans le futur, tandis que les groupes les plus pauvres et marginalisés sont frappés le plus durement par les impacts du changement climatique », peut-on lire dans le rapport publié par l’ONG internationale de lutte contre la pauvreté Oxfam le 29 octobre, intitulé « Pillage climatique : comment une puissante minorité plonge le monde dans le chaos ».
Ce document commence par un constat : « si les émissions [de gaz à effet de serre] se maintiennent au niveau actuel, le budget carbone mondial sera épuisé sous seulement deux ans ». Le terme budget carbone désigne la quantité d’émissions de gaz à effet de serre qu’il reste à l’humanité pour limiter le réchauffement climatique à un certain niveau, ici à 1,5 degré, par rapport à l’ère pré-industrielle. « Les preuves sont claires : il nous reste (...) très peu de temps pour changer le cours des choses », notent les auteurs.
Or, « les émissions des ultra-riches ne sont pas soutenables », affirment-ils : « si nous émettions toutes et tous autant que les 1 % les riches, le budget carbone serait épuisé en moins de trois mois ». Si tout le monde émettait comme les 10 % les plus riches, il serait épuisé en neuf mois.
« Quelques pays riches du Nord global sont responsables de la majorité des émissions historiques de gaz à effet de serre », rappellent les auteurs. Mais les individus les plus riches ont contribué et contribuent significativement à la hausse globale des températures, peu importe leur lieu de vie. Tous doivent donc limiter leurs émissions « le plus rapidement et le plus fortement possible ».

Les émissions des 0,1 % et 1 % plus riches augmentent largement
Au niveau mondial en 2023, selon les niveaux de revenu, les 10 % les plus riches ont été responsables de quasiment la moitié des émissions de gaz à effet de serre (48 %), tandis que les 50 % les plus pauvres ont émis 8 % des gaz à effet de serre.
En 2023 toujours, une personne faisant partie du top 0,1 % des individus les plus riches aura émis 298 tonnes de gaz à effet de serre en moyenne, une personne faisant partie du top 1 % 75 tonnes. En face, une personne faisant partie des 50 % les plus pauvres, aura émis 0,8 tonne de gaz à effet de serre et une personne faisant partie des 10 % les plus pauvres 0,2 tonne. Les personnes appartenant à la classe moyenne auront quant à elles émis 5,1 tonnes de gaz à effet de serre.
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, chaque personne peut émettre 2,1 tonne de gaz à effet de serre par an d'ici à 2030, note Oxfam.
À noter aussi, la part des émissions attribuables au top 0,1 % et au top 1 % ont augmenté de 32 % et de 13 % entre 1990 et 2023. Celle des 50 % et 10 % les plus pauvres a diminué de 3 % et de 10 %. La part des émissions des 10 % les plus riches a aussi diminué, à hauteur, de 8 %, et celle des 40 % de la population mondiale restante a augmenté de 11 %.
Des investissements délétères pour le climat
Ces chiffres ne concernent que la consommation. Or, c’est notamment via leurs investissements que « les ultra-riches ont une responsabilité et un pouvoir d’agir immense pour réduire les émissions », soutient Oxfam. À travers les émissions des entreprises dont ils détiennent au moins 10 % du capital, 308 milliardaires ont émis 586 tonnes de CO2 en 2024, soit l’équivalent du « quinzième pays le plus pollueur au monde », selon Oxfam.
Près de 60 % des investissements des milliardaires sont effectués dans des « secteurs à impact climatique élevé », dans les projets d’extraction minière ou des entreprises pétrolières et gazières par exemple.
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Les Français font partie des plus riches au niveau mondial
« Si les inégalités sont moins fortes en France, notre pays n’échappe pas à cette tendance », prévient Oxfam France. « Entre 2012 et 2022, la part des émissions de consommation des 0,1 % a augmenté de 11 %, tandis que celle des 50 % les plus pauvres a diminué de 17 % ». De plus, « en moyenne, une personne appartenant au 0,1 % le plus riche émet 40 fois plus de CO2 qu’une personne appartenant aux 50 % les plus pauvres ».
Cependant, la moitié des Français appartiennent aux 10 % les plus riches à l’échelle mondiale et jouent donc un rôle important dans le changement climatique. Mais Oxfam France insiste surtout sur la « capacité à influer sur les choix économiques » des « pouvoirs publics ou [des] grandes entreprises ».
Les personnes moins responsables du changement climatique plus impactées
Oxfam international dénonce également le « pouvoir excessif sur l’élaboration des politiques publiques » des plus riches pour défendre leurs intérêts. Elle pointe l’argent dépensé par les grandes entreprises dans le lobbying, et notamment la présence de lobbyistes de l’industrie fossile lors des conférences des parties sur le climat (COP). Par exemple, « 1 773 lobbyistes représentant les secteurs du charbon, du pétrole et du gaz ont pu accéder à la COP 29, soit un contingent plus important que chacune des délégations nationales », illustre-t-elle. Elle recommande d’interdire cette présence, et en règle générale, de contraindre les entreprises à la transparence sur leurs activités d’influence.
Elle déplore aussi les « tentatives » des plus riches « d’influencer le débat public en leur faveur » à travers le financement de médias ou des dons aux partis politiques. Vincent Bolloré, qui détient la chaîne CNews en France, est par exemple qualifié dans le rapport de « milliardaire d’extrême droite issu du secteur des énergies fossiles ». Oxfam rappelle la sanction de CNews par l’Arcom pour des propos climatosceptiques tenus sur la chaîne.
En retour, les « personnes qui ont le moins contribué au changement climatique – les plus pauvres, les femmes, les communautés racialisées et les peuples autochtones – sont les premières et les plus durement touchées par ses effets », tout en ayant le « moins de pouvoir pour influencer les réponses politiques à la crise climatique et à la crise des inégalités, qui se recoupent ». Ces personnes devraient, selon l'association, être intégrées aux processus de prise de décision et de planification liés au climat.
Une mise à contribution équitable au sein des pays
Parmi les autres recommandations d’Oxfam international, il y a la création d’impôts progressifs sur le revenu et la fortune visant le 1 % le plus riche au niveau des États, tout en travaillant à l’échelle multilatérale pour fixer un standard mondial d’imposition des plus aisés. Elle suggère aussi de mettre en place un impôt sur les « les bénéfices excédentaires » des grandes entreprises, à hauteur de 50 % sur les rendements des actifs totaux supérieurs à 10 %, ou encore d’instaurer un impôt sur la fortune avec des taux plus élevés sur les investissements polluants. « L’existence même de richesses extrêmes génère des émissions excessives », justifie l’ONG.
« Il est évident que garantir la satisfaction des besoins fondamentaux et des droits humains de chacun nécessitera une certaine utilisation de carbone, en particulier à court terme pendant que les solutions bas-carbone sont développées et mises en place », indiquent les auteurs. Il faut donc adopter une approche « équitable », entre le Nord et le Sud global, mais aussi au sein des pays, entre les populations les plus riches et les plus pauvres. « Cela signifie que les pays les plus riches doivent réduire drastiquement leurs émissions sans pénaliser indûment les classes populaires », affirme Oxfam, et que « les pays du Sud global doivent utiliser leur part équitable du budget carbone pour assurer le développement et la prospérité de tous, en veillant qu’il ne soit pas consommé par les émissions superflues des plus riches ».
Transformer le système économique ?
Il faut notamment, aux yeux de l’ONG, que les contributions respectives des pays à la réduction des émissions de gaz à effet de serre reflètent « les émissions historiques, la capacité à agir et l’équité au sein des pays ». Les pays riches, par exemple, doivent atteindre la neutralité carbone dans un délai plus rapide que les pays en développement. Ils doivent aussi, avec les créanciers privés, « accorder un allègement immédiat de la dette afin de dégager des marges de manœuvre budgétaire pour les dépenses liées au climat et au développement ».
Enfin, Oxfam appelle à transformer le système économique et au « rejet de l’économie néolibérale dominante », notamment à travers l’adoption d’un rôle « proactif » par l’État, pour « guider l’économie vers la durabilité et l’équité ».
Célia Szymczak 