Sur la scène du Châtelet, une rencontre au-delà des murs
Les 19 et 22 septembre, au théâtre du Châtelet, à Paris, ex-détenus, hébergés du Samu social et jeunes femmes de la Maison perchée ont partagé la scène. Une opportunité pour les participants de se révéler et de tisser des liens par-delà leurs différences.
« La beauté de ce spectacle tient à sa fragilité », lance Nadir, ex-résident de la prison de Meaux dans les loges du théâtre du Châtelet. Cet ancien boxeur professionnel – avant qu’on ne le « fasse détenu » – avait déjà participé aux précédentes compositions de Paradox Palace. Montée il y a trois ans par le metteur en scène Olivier Fredj, la compagnie repose sur un pari : « Donner une grande scène à des voix qui se rencontrent peu ».
Avec Krush, dernier volet d’une trilogie, la troupe explore les relations humaines en puisant dans des récits de vie marqués par l'enfermement, la précarité ou la maladie. Les jeudi 19 et dimanche 22 septembre, cinq ex-détenus, six hébergés du Samu social, cinq jeunes femmes de la Maison perchée – une association qui intervient auprès des jeunes adultes vivant avec un trouble psychique –, et des acteurs professionnels se sont donné la réplique accompagnés de Jean-Sébastien Bach et de musique électronique.
« J'ai écrit mon premier texte au mitard. J'avais trop de choses à dire », se souvient Sofiane, 14 ans de prison derrière lui et encore quelques mois à tenir. S’il a pu livrer son texte, digne d’un slam à la Grand corps malade, devant 2 000 spectateurs, c’est grâce à une permission de sortie obtenue in extremis, à quelques jours des représentations.
Pour Lison, jeune femme de 25 ans à la chevelure blonde infinie, l’écriture a permis de libérer les souffrances d’un trauma amoureux. « J’ai écrit une lettre à un fantôme qui me stigmatisait à cause de ma maladie », confie celle qui est aidée par la Maison perchée.
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« Le Samu social ça fait mal aux oreilles »
Les textes joués sur scène durant près de deux heures sont le fruit de plusieurs mois de correspondances et d’ateliers d’écriture organisés dans les différentes structures. Vicky, hébergée du Samu social, y a participé par curiosité, mais la scène l’intimidait : « Se dévoiler devant les gens, ça fait peur. Pour beaucoup de gens, le Samu social ça fait mal aux oreilles ». La jeune femme au charisme brut s’est pourtant prise au jeu : « Si on se rabaisse tout le temps, on n'avance pas. Ton parcours c’est toi, il faut en faire quelque chose », affirme-t-elle d’un ton sage.
Bizon, ex-détenu ayant purgé 17 ans de prison au total, a également accordé sa confiance à la compagnie : « On ne m’a jamais promis que j’allais devenir Molière. On m’a simplement dit : “avec ce que t’as en toi, on peut faire quelque chose de beau” », se remémore celui pour qui l'aventure a commencé il y a trois ans.
« Une famille s’est créée »
Cette confiance, c’est ce qui traverse tout le projet Paradox Palace, qui est passé de six membres à ses débuts à plus de 200 personnes aujourd’hui. Donatien, salarié du Samu social, fait partie de ceux qui veillent au bon déroulement du projet. « Ils font un travail énorme en coulisse, affirme Romain, acteur en formation. Les membres du Samu social veillent à ce que chacun ait ce qu’il lui faut et que les acteurs amateurs ne soient pas perdus. » Et parfois ça arrive, car ces novices de la scène ne sont pas encore tous habitués aux cadences des répétitions, aux textes et placements qui s’enchaînent. Alors l’émotion prend le dessus, à l’image de Nassera, hébergée du Samu social qui craque en pleine répétition après avoir oublié une partie de son texte, à deux jours de la première représentation.
Pour les acteurs professionnels aussi, cette aventure est un défi. « On doit être hyper alertes, explique Capucine, jeune actrice en formation. Il faut parfois guider les autres, mais c’est tellement formateur pour nous aussi ». L'équipe fonctionne en synergie : chaque faux pas est rattrapé, chaque hésitation devient une occasion d'aider.
À la sortie du théâtre, Haiss, ancien détenu, tappe sur l’épaule de Romain : « c’est un sacré humain ce type ! », s’exclame-t-il tout sourire. L’équipe, quasi au complet, se dirige vers un bar karaoké pour fêter la fin de sa première représentation. « Une famille s’est créée », rigole Romain avec un sourire contagieux.
Malgré l’euphorie, Vicky reste les pieds sur terre, cette aventure théâtrale restera une parenthèse. « C'est une belle expérience, mais après, il faut bombarder, reconstruire sa vie », reconnaît-elle.
Pour d’autres, comme Nadir, l'aventure ne fait que commencer. Aujourd’hui reconverti en acteur professionnel, il souhaite produire un documentaire sur l’importance de la transmission de l’art dans les milieux clos. Quant à Bizon, il prépare sa première pièce et s'investit dans une association de quartier du XIXe arrondissement de Paris. « Je veux proposer aux jeunes de quartiers autre chose que le foot ou le rap. J’ai grandi face à un théâtre sans jamais y entrer. C’est un comble de devoir aller en prison pour qu’on m’ouvre enfin les portes. »
Quand le rideau tombe, une question s’invite : peut-on reproduire dans notre société ce qui s’est joué dans les coulisses de la pièce ?
Félicité Dussel