TRIBUNE - Économie sociale et solidaire : où sont les jeunes ?
L'économie sociale et solidaire est une économie d'avenir, et pourtant elle attire peu les jeunes, constate Charles Bozonnet à l'occasion du 40e anniversaire du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale et solidaire (CJDES), qu'il préside. Dans cette tribune, il plaide pour que l'ESS mette en place des mesures pour devenir plus accueillante et désirable pour la jeunesse.

L’économie sociale et solidaire (ESS) est une promesse. Une promesse d’un modèle économique plus juste, plus démocratique, plus résilient. Une promesse d’un travail porteur de sens, où l’engagement collectif prime sur la recherche du profit. Sur le papier, l’ESS représente l’avenir. Dans bien des cas, elle l’incarne même au quotidien. Et pourtant, elle peine à en convaincre celles et ceux qui, demain, devront la faire vivre : les jeunes.
Les chiffres sont sans appel. Les jeunes y sont sous-représentés. Seuls 17 % des salariés de l’ESS ont moins de 30 ans, contre 23 % dans l’économie lucrative (Atlas commenté de l’ESS, édition 2023). Et le constat est encore plus inquiétant lorsqu’on regarde les gouvernances bénévoles. Seulement 4 % des présidents d’associations ont moins de 30 ans (Chiffres clés de la vie associative, 2023) !
Salaire, rapport au travail, rapport à l'engagement et sentiment d'insécurité
Comment expliquer cette fracture entre un champ économique qui se veut progressiste et des réalités structurelles qui freinent l’ascension des nouvelles générations ?
Première explication : le différentiel salarial. Le salaire moyen dans l’ESS est inférieur de 17 % à celui des autres secteurs à poste équivalent. Contrairement aux idées reçues, le salaire reste le premier critère de choix d’un travail pour les jeunes. Dans un monde où l’inflation galope, où se loger est hors de prix, où les jeunes doivent rembourser des prêts étudiants et craignent de voir leur protection sociale sacrifiée, le choix de l’ESS devient un luxe qu’ils ne peuvent pas se permettre.
Deuxième explication : l’évolution du rapport au travail. Au-delà de la rémunération, les jeunes accordent une grande importance à la capacité de peser sur les décisions de l’entreprise, à la reconnaissance au travail par une éthique du management, ainsi qu’à l’équilibre entre temps de vie professionnel et personnel. De leur côté, les organisations de l’ESS ont parfois pu donner le sentiment que renoncer à un salaire élevé, évoluer dans une frontière floue entre bénévolat et salariat, était consubstantiel à la cause pour laquelle les jeunes avaient la chance de travailler.
Les organisations de l’ESS ont parfois pu donner le sentiment que renoncer à un salaire élevé, évoluer dans une frontière floue entre bénévolat et salariat, était consubstantiel à la cause pour laquelle les jeunes avaient la chance de travailler.
Troisième facteur : l’évolution du rapport à l’engagement. Alors que les 15-34 ans sont ceux qui donnent le plus de leur temps pour s’engager (La France bénévole 2024, Recherches & Solidarités, mai 2024), peu d’entre eux prennent des responsabilités (au sens classique) au sein des gouvernances bénévoles. Qu’on le veuille ou non, les jeunes naissent aujourd’hui avec un écran entre les mains, s’engagent de façon plus ponctuelle, dans l’attente de résultats tangibles à court terme. Cette accélération a pris de cours la logique d’organisations de l’ESS presque centenaires qui ont fondé leur modèle sur l’adhésion à un projet de long terme, sur l’engagement pluriannuel de leurs membres et sur la force de conviction de ces derniers pour recruter de nouvelles personnes engagées.
Mais de façon plus profonde, il nous faut regarder en face les mutations des modèles de réussite chez les jeunes. Les influenceurs, les entrepreneurs de la tech, les figures du business, les prosélytismes de toute nature, incarnent un modèle de réussite basé sur l’indépendance et la sécurisation financière ou morale. Dans un monde incertain, où le climat économique et écologique est pesant, après une crise sanitaire qui a eu un impact désastreux sur leur santé mentale, ces discours ont un écho puissant chez les jeunes. Ils sont perçus comme une réponse au sentiment d’insécurité vis-à-vis de l’avenir qu’ils partagent.
devenir une alternative crédible et désirable pour la jeunesse
Dans ce contexte, l’ESS peut-elle réellement rivaliser avec ces modèles de réussite ? Oui, mais à condition de proposer l’alternative crédible et désirable d’une économie protectrice et émancipatrice.
Ouvrons grandes les portes des gouvernances de l’ESS. Instaurons un quota de 20 % de jeunes de moins de 30 ans dans les conseils d’administration des associations qui affichent un budget supérieur à un million d’euros. Dans toutes les organisations de plus de 50 salariés, instaurons un poste d’administrateur chargé des questions de jeunesse, pour se questionner sur la place des jeunes dans leur salariat, leur représentation dans l’entreprise, leur évolution. Afin de démontrer aux jeunes que l’ESS leur permet d’agir sur les décisions prises par leur structure, créons un dispositif d’information sur le fonctionnement et la participation aux gouvernances, à l’occasion des entretiens annuels des salariés âgés de 16 à 30 ans.
Afin de démontrer aux jeunes que l’ESS leur permet d’agir sur les décisions prises par leur structure, créons un dispositif d’information sur le fonctionnement et la participation aux gouvernances, à l’occasion des entretiens annuels des salariés âgés de 16 à 30 ans.
Créons les conditions de la prise de responsabilité des jeunes. Instaurons un congé dédié à la prise de responsabilité pour rendre compatibles le salariat et le bénévolat. Mettons en place une véritable Fabrique de la prise de responsabilité des jeunes, avec une formation dédiée, finançable par le compte personnel de formation, permettant d’acquérir toutes les compétences nécessaires à la gestion associative. Favorisons la transmission aux jeunes, en prévoyant une exonération de la taxe sur les salaires pour les associations, dès lors qu’au moins deux membres du conseil d'administration sont engagés dans un mécénat de compétences intergénérationnel. Systématisons les modules sur la prise de responsabilité et l’éthique du management dans toutes les formations dédiées à l’ESS.
Enfin, rendons visibles les parcours de réussite des jeunes dans l’ESS. Organisons une journée européenne des jeunes dirigeantes et dirigeants de l’ESS, afin de valoriser les parcours et rendre désirables ce mode d’entreprendre. Dédions la campagne de communication grand public, initiée par la délégation ministérielle à l'ESS, à la prise de responsabilité des jeunes.
L’économie sociale et solidaire a toutes les cartes en main pour représenter une économie protectrice et émancipatrice en phase avec les défis de la prochaine décennie. À l’heure où certaines entreprises reculent sur leur responsabilité sociale, elle serait ainsi fidèle à son histoire, en perpétuelle évolution, afin de répondre à cette saine exigence des générations qui viennent. Il est temps d’agir !
Par Charles Bozonnet, président du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale et solidaire (CJDES).
Depuis 1985, le CJDES accompagne l'engagement des jeunes générations de dirigeants associatifs, coopératifs ou mutualistes, engagés en faveur d’une économie démocratique et engagée.