TRIBUNE - Pour une garantie publique des investissements dans la transition juste
Des acteurs et des financeurs engagés dans la transition écologique, sociale et démocratique appellent les pouvoirs publics à garantir les investissements dans la transition juste. Une tribune soutenue par des députés et sénateurs de façon transpartisane. Elle est publiée alors qu'Éric Lombard, le ministre de l'Économie et des Finances, réunit ce 29 avril à Bercy une conférence des financeurs de l'économie sociale et solidaire.

La très vive reconfiguration internationale donne à l’Europe et à la France une occasion historique de renforcer le modèle qui est le leur et faire ainsi valoir leur singularité dans le nouvel ordre mondial. Notre volonté collective, notre route, est de bâtir une société résiliente c’est-à-dire démocratique, solidaire, souveraine sur les plans énergétique et alimentaire, écologique, juste, créatrice d’emploi... Or construire une société à la hauteur des enjeux sociaux, écologiques et démocratiques du nouvel ordre mondial, une société ayant mené sa juste transition[1], demande des moyens financiers d’un nouveau type.
Une partie du monde de la finance le sait depuis longtemps : les épargnants engagés cherchent une destination utile et fiable pour leur épargne ; les investisseurs institutionnels s’interrogent sur leur utilité sociale ; les acteurs de la finance solidaire sont mobilisés. Pourtant, sans cadre mieux adapté et sans partage du risque, ils ne peuvent agir à la hauteur des enjeux.
Des ressources financières prêtes à s’engager
Les outils financiers existants ne répondent pas suffisamment aux besoins des organisations et des entreprises engagées dans la transition juste. Durées de financement trop courtes, critères mal adaptés, innovation sociale ou territoriale peu reconnue. Résultat : des projets transformateurs ne trouvent pas suffisamment de capitaux nécessaires pour se déployer. Pire : nombre d’entre eux risquent de mettre la clef sous la porte.
Répondre à la crise écologique sans s’attaquer aux fractures sociales est une impasse ; renforcer notre appareil militaire tout en négligeant notre cohésion économique et territoriale serait un non-sens stratégique. La transition juste conjugue les deux. Elle est une stratégie industrielle, sociale et environnementale de long terme. Et elle a besoin d’une organisation financière à la hauteur des investissements à consentir.
Nous sommes des investisseurs de l’intérêt général, des fondations, des banques coopératives, des entreprises sociales, des associations, aux côtés de plusieurs parlementaires engagés. Ensemble, nous portons une solution concrète : mobiliser massivement des fonds pour accélérer la transition écologique, sociale et territoriale partout en France.
Nous demandons un meilleur soutien public aux instruments de garantie des investissements dans la transition juste
Le gouvernement prépare une stratégie nationale pour le développement de l'ESS et nous formons le vœu que la conférence des financeurs qui lui est liée permette d’avancer sur la question du financement de la transition juste. C’est l’occasion de prendre, nous l’espérons, des résolutions transformatrices.
Nous sommes pour notre part prêts à opérer une mobilisation massive de fonds mais nous avons pour cela besoin d’un meilleur soutien public aux instruments de garantie des investissements dans la transition juste. Garantir les investissements en fonds propres dans les organisations de la transition juste qui encadrent la rémunération du capital, faisant ainsi passer l’intérêt général avant les rendements financiers individuels, permettrait d’amoindrir le risque pour les financeurs. Cela contrebalancerait l’effort qu’ils sont prêts à consentir sur le partage de la valeur financière.
Ce soutien public à la garantie des fonds aurait un puissant effet de levier sur les financements privés. À titre d’exemple, sur des garanties pour de la dette, 1 euro de dotation d’un fonds de garantie génère une capacité de prêt bancaire aux entreprises de 30 euros (rapport du Sénat, 2023). Si l’on ajoute à cet effet levier que le taux de faillite des associations et coopératives est deux à quatre fois moins élevé que celui des entreprises commerciales (étude ESS France, 2023), le ratio coût/bénéfice de la garantie publique est extrêmement intéressant. Des fonds européens dédiés à l’investissement social sont disponibles et peuvent également soutenir les instruments de garantie existants et démultiplier leurs capacités.
Cette amélioration des outils publics de garantie ne serait évidemment pas réservée à un fonds spécifique mais serait par définition accessible à tous les organismes financiers qui le souhaiteraient : elle aurait ainsi un impact majeur sur le système de financement de la transition juste.
Des ressources financières privées sont prêtes à s’engager massivement dans la transition si l’état joue un rôle de catalyseur
Nous sommes prêts à faire notre part et financer, depuis nos organisations privées, la transition juste mais nous avons besoin pour cela que l’Etat joue son rôle et soutienne la garantie de nos investissements. L’État n’hésite pas à activer des outils et leviers puissants lorsqu’un enjeu est jugé stratégique. À titre d’exemple, il existe un ensemble d’outils (fonds d’investissement, prêts, accélérateur…) pour favoriser les investissements dans la défense, outils qui ont été renforcés récemment. Or l’investissement dans la transition juste est, dans le contexte actuel, encore plus stratégique qu’hier.
Les projets sont là. Les investisseurs sont prêts. Les épargnants attendent. Ils ont besoin d’un cadre de financement qui les sécurisent. Sans un meilleur soutien public aux mécanismes de garantie, aucun passage à l’échelle ne sera possible.
Gouverner, c’est aussi orienter l'investissement. Cela peut passer par plusieurs outils - la commande publique en est un puissant par exemple - mais la question de la garantie publique du risque lié aux investissements est névralgique. Garantir la transition juste, c’est garantir notre avenir.
Signataires
Bastien Sibille, président, opération Milliard
Diane Dupré la Tour, porte-parole opération Milliard
Benoît Hamon, président, ESS France
Jérôme Saddier, président, Coop FR
Denis Dementhon, directeur général, France Active
Gérard Leseul, député, co-président du groupe ESS de l’Assemblée nationale
Charles Fournier, député, co-président du groupe ESS de l’Assemblée nationale
Maud Sarda, co-présidente des Licoornes, et co-fondatrice de Label Emmaüs
Frédéric Bardeau, co-fondateur de Simplon et co-fondateur de Join Forces
L’équipe des fondateurs, Team for the Planet
Alexis Marant, investisseur et directeur délégué du Fonds de dotation Yes Futur !
Thierry Petit, fondateur, Made for All
Mathieu Hetzer, président, Centre des Jeunes Dirigeants
Marion Lelouvier, présidente du Centre français des fonds et fondations
Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France
Fatima Bellaredj, déléguée générale, Confédération générale des Scop et des Scic
Olivier Legrain, ancien dirigeant d’entreprise
Guillaume Hublot, associé gérant, KMH Gestion Privée
Ayda Hadizadeh, députée
Antoine Vermorel-Marques, député
Boris Tavernier, député
Pierre-Yves Bournazel, conseiller de Paris et ancien député
Thierry Cozic, sénateur
Alexandre Ouizille, sénateur
Patrick Sapy, CEO, FAIR
Adrien Montagut-Romans, co-président des Licoornes et co-fondateur de Commown
Noah Tot, trésorier, Re.boot
Anne Gerset, manager du Fonds et co-fondatrice, Makesense_invest
Simon Taillard, fondateur, Taurus Invest
Victor Chevallier, gérant Family Office, GMZ & Son’s
Olivia Blanchard, fondatrice et présidente, Acteurs de la Finance Responsable
[1] Le Conseil scientifique de l’opération Milliard définit ainsi la transition juste : la transition juste est une transformation radicale et démocratique de notre société et de son économie, visant à satisfaire collectivement et dignement les besoins humains dans la préservation du vivant et le respect des limites planétaires.