Une enquête dénonce les pratiques néocoloniales de l’ONG African Parks en Afrique
L’ONG African Parks administre 23 parcs dans treize pays en Afrique. Pendant plus de trois ans, Olivier van Beemen a enquêté sur cette organisation de conservation de la nature. Le journaliste néerlandais dénonce des pratiques néocolonialistes qui excluent les populations locales de leurs propres terres.

Dans son ouvrage Au nom de la nature : enquête sur les pratiques néocolonialistes de l’ONG African Parks, le journaliste Olivier Van Beemen évoque l’enquête qu’il a menée pendant trois ans auprès d’African Parks. Cette ONG de conservation de la nature gère 23 parcs dans treize pays africains et emploie cinq mille personnes qui travaillent sur vingt millions d’hectares. L’objectif affiché par l’ONG est de protéger les écosystèmes fragiles et sauver de l’extinction la faune et la flore africaines. De son côté, le journaliste néerlandais dénonce des pratiques néocolonialistes de l’organisation, qui exclut les populations locales de la terre de leurs ancêtres.
- Vous avez enquêté sur les pratiques de l’ONG African Parks. Quels sont les liens entre African Parks et les gouvernements quand l’ONG s’empare de la gestion d’une réserve naturelle ?
Lorsque l’ONG s’établit dans une réserve naturelle, le concept de « gestion déléguée » s’applique. Les administrateurs d’African Parks (AP) prennent les décisions concernant cette zone. De leur côté, les gouverneurs nationaux n’ont alors plus de pouvoir sur les terres occupées en raison d'une délégation des pouvoirs régaliens. Ce transfert de gouvernance prend la forme de contrats s’étalant sur des périodes de 20 à 25 ans. Officiellement, les terres ne sont pas privatisées, le gouvernement en est toujours propriétaire, mais dans la pratique, African Parks devient le maître des lieux.
- Quelle forme prend la « gestion déléguée » ?
Ça signifie que l’ONG devient entièrement responsable de la gestion et du financement d’une aire protégée. Elle décide également qui a accès, ou non, à ce territoire. Un contrôle strict est effectué par les gardes du parc ou « écogardes », dont de nombreux sont lourdement armés. Les populations locales se voient ainsi privées de leurs terres en raison du modèle militaire sur lequel s’appuie AP. Parfois, African Parks s’empare même de la surveillance des frontières, voire du contrôle de l’espace aérien. Au Bénin, l’ONG est également engagée dans la lutte contre les jihadistes.
Dans certains parcs, African Parks a érigé des clôtures, pour protéger les riverains contre la faune sauvage, mais aussi pour les empêcher d’entrer dans le parc. Dans de nombreux cas, cela les prive des ressources nécessaires pour leur subsistance.
- L’un des fondateurs d’African Parks, Paul Fentener van Vlissingen, disait vouloir intégrer les populations locales à la préservation de la nature à travers la création d’emplois. Ce que vous révélez entre en contradiction avec ce discours officiel…
Tout à fait. Quand l’ONG annonce son arrivée dans un parc naturel, elle fait souvent des promesses, et annonce des créations d’emplois. Mais dans les faits, peu de postes sont créés, et en général, la reprise ne génère pas de croissance économique considérable dans les environs. AP investit plutôt l’argent de ses donateurs dans la sécurité, dans les avions, les hélicoptères ou les transferts d’animaux. L’amélioration des conditions de vies des populations locales n’est pas leur priorité.
- Dans votre enquête vous évoquez même des cas de violences dont seraient victimes les populations locales…
Exactement. Ces violences prennent la forme d’une « guerre » menée par les gardes armés à l’encontre des braconniers. La majorité de ces « ennemis » sont les habitants vivant à proximité du parc. Il est important de souligner que les braconniers ne sont pas tous de grands criminels qui tuent les éléphants pour leurs défenses ou les rhinocéros pour leurs cornes. Tous ceux qui mènent une activité illégale dans le parc, ou qui y sont présents sans autorisation, sont considérés comme des braconniers. Cela inclut des pêcheurs, des bûcherons, des médecins traditionnels qui cueillent des plantes… Si les gardes des parcs les attrapent, ils auront droit au même traitement que les criminels.
- C’est-à-dire ?
D’anciens éco-gardes m’ont confié que la torture est un moyen utilisé même quand la culpabilité de l’individu n’est pas certaine. Si des braconniers présumés ne veulent pas dévoiler où sont cachées leurs armes ou la bête qu’ils ont tuée, les gardes doivent tout mettre en œuvre pour obtenir des aveux. Certains m’ont dit : « c’est comme ça qu’on travaille ici ». Un autre a déclaré que les droits humains n’existaient pas dans ces parcs et que le rôle des écogardes est d’y garantir l’autorité.
- L’organisation mère est-elle au courant ?
En ce qui concerne le siège situé à Johannesburg, je ne peux pas l’affirmer car il semblerait que la communication avec le personnel de certains parcs ne soit pas optimale. Néanmoins, les cadres d’AP œuvrant dans certains parcs sont au courant et encouragent ces pratiques, selon le personnel que j’ai interrogé. Des membres de la direction d'un des parcs seraient également au courant.
- Quels sont les autres agissements que vous avez découverts et que vous qualifiez de néocolonialistes ?
African Parks est une organisation gérée et financée par des occidentaux qui ont une vision très puriste de ce que doit être la nature en Afrique à l’image du jardin d’Eden. C’est un contrôle de la terre qui est effectué par une direction blanche et des employés blancs. Dick de Kat, l’un des bras droits de Paul van Vlissingen, avait dit à l’époque que « ces Noirs » étaient incapables de financer les parcs. Ces propos en disent long.
- Comment s’est déroulée la communication avec l’ONG pendant votre enquête ?
L’organisation s’est montrée plutôt fermée. Quand je leur ai annoncé mon projet, ils se sont montrés très prudents. À un moment ils ont même cessé tout échange. Aussi, avec une collègue journaliste, nous avons été accusés d’espionnage lorsque nous visitions un parc au Bénin. Nous avons passé quatre jours en détention et j’ai été expulsé du pays. Lorsque j’ai évoqué l’événement avec l’organisation, ils ont déclaré ne pas avoir été mis au courant. Cela est difficile à croire pour moi car la direction du parc du Bénin est proche du pouvoir. Au Rwanda je n’ai pas eu d’accréditation de presse, il était donc compliqué de travailler dans ces conditions. Avant la sortie du livre aux Pays-Bas, African Parks m’a également menacé de poursuites judiciaires.
Ma précédente enquête portait sur les activités africaines de Heineken, le géant de la bière néerlandais. On me demande souvent si c’est dangereux d’enquêter sur une multinationale puissante. Maintenant, je sais qu’une enquête sur une ONG qui protège la nature – considérée comme « the good guys » – est beaucoup plus dangereuse.
Propos recueillis par Léanna Voegeli