Comment la guerre en Ukraine a mis en lumière deux défis majeurs ?
Dans le cadre du format La rédaction invite, Cécile Duflot revient sur la guerre en Ukraine et deux enjeux qu’elle a mis en exergue : la lutte contre l’évasion fiscale et la question de la sécurité alimentaire.
Dès le début du conflit, la communauté internationale a mis en place des sanctions graduées pour étouffer l’économie de la Russie. La fortune des oligarques russes très proches du pouvoir a été très vite visée par ces sanctions. La fortune de ces 877 oligarques répertoriés par les autorités financières internationales se chiffre à plusieurs dizaines de milliards d’euros et se compose d’actifs mobiliers et immobiliers.
La lutte contre l’évasion fiscale
Rapidement, à travers le débat autour des sanctions financières de ces milliardaires, s’est posée la question de l'efficacité des outils mis en place pour traquer, geler ou saisir les biens de ces super riches. En effet, une grande partie de ces biens sont très difficiles à tracer, car protégés par des montages financiers opaques composés de sociétés écrans domiciliées dans des paradis fiscaux permettant aux milliardaires un anonymat et donc une grande impunité.
L’enquête publiée le 21 mars 2022 par le Organized Crime and Corruption Reporting Project, un consortium de médias internationaux, a révélé l’ampleur du système mis en place. Après plusieurs semaines d’enquête, plus de 145 biens ont pu être identifiés, pour une valeur supérieure à 17 milliards de dollars (15,4 milliards d’euros) : des villas, des terrains et des biens immobiliers, des yachts et des avions, ainsi que des sociétés et des fonds d’investissement. Pour brouiller les cartes, certains biens sont rattachés à des membres de leur famille, des mandataires ou des proches.
Les mesures préconisées par Oxfam
Les paradis fiscaux participent à l’aggravation des inégalités en favorisant l’évasion fiscale qui prive les États de ressources essentielles pour faire fonctionner les services publics. En France, l’évasion fiscale réalisée par les entreprises et les particuliers représente un manque à gagner pour l’État de 80 à 100 milliards d’euros par an. Par ailleurs, les États n’hésitent pas à augmenter les impôts des ménages pour pallier ce manque à gagner. Pour lutter contre l’évasion fiscale, Oxfam défend plusieurs mesures fortes :
- Sanctionner ceux qui facilitent l’évasion fiscale : une vraie liste noire de paradis fiscaux avec des sanctions effectives ; des sanctions pour les intermédiaires qui facilitent les montages,
- Identifier qui se cache dans les paradis fiscaux : transparence sur les propriétaires réels des entreprises, transparence des multinationales.
- Donner plus de moyens pour l’administration pour enquêter.
- Mettre en place des impôts progressifs qui visent les milliardaires et les multinationales.
La question de la sécurité alimentaire
La guerre a également des répercussions mondiales sur l’approvisionnement en nourriture et le prix de l’alimentation. L’Ukraine et la Russie sont des exportateurs majeurs de denrées telles que le blé et le tournesol. Dès que la guerre a éclaté, les exportations en provenance de ces deux pays ont drastiquement diminué, provoquant un tarissement des denrées disponibles et un emballement des marchés agricoles mondiaux. Certaines prévisions de la FAO estiment que la hausse induite des denrées alimentaires pourrait atteindre 20 %.
En termes de sécurité alimentaire mondiale, la situation est très préoccupante. D’abord, certains États sont extrêmement dépendants de ces deux pays pour leur approvisionnement en céréales et doivent trouver en urgence d’autres sources. L'Érythrée a par exemple importé la totalité de son blé de Russie et d'Ukraine l’an passé. Ensuite, avec cette nouvelle hausse des prix, de nombreuses populations n’auront plus les moyens d’acheter les aliments pour se nourrir.
La guerre en Ukraine ne fait que porter le coup de grâce à des situations déjà alarmantes dans plusieurs régions du globe. En Afrique de l’Ouest, le nombre de personnes en besoin d’assistance alimentaire d’urgence est passé de 7 à 27 millions de personnes entre 2015 et 2022 et 11 millions de personnes supplémentaires pourraient s’y ajouter dans les prochains mois. Ce qu’Oxfam montre dans ses travaux, c’est que l’effet cocktail des conflits locaux, du changement climatique, de la pandémie de Covid-19 rend des millions de personnes vulnérables à la faim et que le système alimentaire mondial est fondamentalement inégalitaire.
L’urgence d’une aide humanitaire
Face à la crise actuelle, nous militons évidemment pour une aide humanitaire rapide et massive, notamment en répondant aux appels du Programme Alimentaire Mondial pour les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique. Il faut également une réponse coordonnée des États, impliquant les premiers concernés, pour assurer une juste répartition des stocks, éviter toute spéculation et maîtriser ainsi le niveau des prix.
Mais plus largement, il est fondamental de repenser enfin les systèmes alimentaires mondiaux. Il n’est plus possible de perpétuer un modèle industriel qui rend les agriculteurs dépendants et accentue les dégradations environnementales. Il faut au contraire soutenir massivement l’agriculture paysanne et agroécologique, produire des réglementations commerciales empêchant la concurrence déloyale de conglomérats agro-industriels qui empêchent le développement d’une agriculture locale. La guerre en Ukraine révèle tous ces enjeux et Oxfam compte jouer un rôle important dans cette prise de conscience collective.
- L'édito de Cécile Duflot
- 1 mot, 1 chiffre, 1 date par Cécile Duflot
Cécile Duflot