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Par Carenews PRO - Publié le 19 mai 2023 - 09:52 - Mise à jour le 19 mai 2023 - 10:10
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Elisabeth Elkrief (Fondation AlphaOmega) : « Notre impact vise à avoir une amélioration du capital humain à l’échelle d’une nation »

Méthode inspirée du capital-investissement, transposée au secteur du non lucratif, la « venture philanthropy » est le modèle qu’a adopté la Fondation AlphaOmega depuis 2010, pionnière en France. Nous avons rencontré Élisabeth Elkrief, directrice générale de la fondation pour évoquer les spécificités de ce mode de mécénat et ses impacts.

Entretien avec Elisabeth Elkrief de la Fondation AlphaOmega. Crédit : Fondation AlphaOmega
Entretien avec Elisabeth Elkrief de la Fondation AlphaOmega. Crédit : Fondation AlphaOmega

 

  • Quelles sont les spécificités du modèle de « venture philanthropy » choisi par votre fondation ?

 

Nous sommes les pionniers de ce modèle en France. Plusieurs éléments définissent notre mode d’actions. Nous sommes la plus importante fondation axée sur l’éducation. À travers les associations soutenues, nous accompagnons 400 000 jeunes à l’école et près d’un million qui ont décroché, par le biais des missions locales. Ensuite, nous avons fait le choix d’être focalisés sur l’éducation et particulièrement sur l’éradication du décrochage scolaire.  

Pour résoudre ce problème social très particulier, nous utilisons le modèle de la venture philanthropy. Le prérequis est d’agir précisément sur les moments charnières des risques de décrochage scolaire pour les élèves, en intervenant à l’école, par le biais des associations, aux côtés des parents et des enseignants. Notre pari est qu’en accompagnant le maximum d'élèves avec cette alliance éducative, nous pourrons résoudre le problème à grande échelle. 

 

  • Sur quels leviers agissez-vous précisément ? 

 

Nous identifions l’association ayant l’action la plus efficace sur chaque moment charnière identifié. Elle doit couvrir au moins 10 % de la cible. Notre objectif est de passer à 50 % de personnes touchées. 

Une fois les bons acteurs choisis, nous apportons financement et compétences pour massifier l’action de ces grandes associations. Nous mobilisons d’autres financeurs pour accompagner l’association. Nous mettons à disposition notre équipe de douze personnes à la fondation, plus des cabinets de conseil et des personnes externes, pour la structuration des associations pour qu’elles passent à l’échelle, en digitalisant les processus, créant des divisions régionales, engageant des managers et des intermédiaires de haut niveau comme des fundraisers, des responsables institutionnels, etc. 

Ce sont des postes de dépenses qui ne sont pas financés habituellement par les philanthropes qui accompagnent plutôt des projets. Nos financements portent sur la structuration et un temps long, sans lesquels les associations ne pourraient pas croître pour espérer réaliser un impact conséquent. 

 

 

  • Comment s’opère votre accompagnement des associations ? 

Nous accompagnons certaines associations sur cinq ans, mais cela peut durer dix ans pour réellement massifier leurs actions. Chaque année, nous définissons avec l’association des priorités d’accompagnement sur des chantiers de développement, comme le recrutement des bénévoles, la levée de fonds, la définition de la stratégie de développement régionale, la mise en place d’une politique RH. 

Ensuite, notre équipe travaille étroitement avec la direction générale, les différents pôles pour apporter son expertise et un suivi de la réalisation des chantiers. À la mi-année, nous faisons un bilan d’étape avec la direction de l’association pour ajuster les grandes orientations de notre accompagnement.

 

  • Comment choisissez-vous les associations ? 

 

Nous réalisons un mapping des principales associations qui interviennent sur le moment charnière du décrochage scolaire. Nous faisons des due diligence (des recherches) sur les deux ou trois associations identifiées pour couvrir les 10 % de la cible. 

Actuellement, nous accompagnons sept associations. Notre budget annuel est de 4 millions d’euros, et nous voulons passer à 7 millions d'ici peu. Notre objectif est de multiplier par cinq le nombre d’enfants soutenus par association grâce à notre investissement. 

 

 

  • Dans ce modèle, le don est considéré comme un investissement, quelles sont les répercussions pour l'association ?  

 

Nous pensons que pour résoudre le problème social du décrochage scolaire, nous devons accompagner un maximum de jeunes. Un décrocheur coûte, selon une récente étude, environ 230 000 euros par an, donc nos actions préventives permettent d’éviter des coûts conséquents à la société.

Quand vous investissez dans une association, vous visez une augmentation du nombre de ses bénéficiaires sans dégradation de la qualité de l’accompagnement, mais aussi une amélioration à terme du service rendu pour les jeunes en risque de décrochage.

C’est pourquoi, il est très important, à l’échelle d’un pays, d’investir dans les associations qui apportent des solutions sociales performantes, s’appuyant sur des méthodes scientifiques, avec un impact prouvé sur les jeunes. L’éducation est plus qu’un investissement, elle est un moyen de transformer la société à la racine. Notre impact vise à avoir une amélioration du capital humain à l’échelle d’une nation.  

 

  • À votre avis, pourquoi la mesure d’impact devient-elle si importante dans le secteur de la philanthropie ? 

 

Je pense qu’on ne peut pas financer à 80 % l'innovation. Il faudrait financer à 80 % ce qui fonctionne déjà et 10 % d'innovation pour qu'il y ait des choses mieux qui se fassent. La question est celle de la quote-part. Pourquoi ne pas financer en priorité ce qui fonctionne déjà pour avoir un impact significatif ? Beaucoup d’associations proposent des solutions innovantes, mais dont l’impact n’est pas toujours vérifié. 

 

Ces solutions qui fonctionnent sur un petit nombre d’élèves peuvent être séduisantes et les philanthropes qui ont des réactions émotionnelles, le plus souvent, ont envie d’aider ou de participer à un projet dès qu’une personne leur plaît. Je suis plus partisane de plus de rationalité en finançant ce qui fonctionne pour avoir plus de chances de résoudre le problème.

 

 

  • Où est-on en France sur la venture philanthropy ?

 

Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de fondations qui en font. Nous sommes l'une des seules. Il faut une équipe assez conséquente, être constamment en relation avec les associations pour les aider à assurer une relation et un suivi constant avec les associations dans une démarche de structuration. 

 

Suivre les associations sur du temps long représente un budget important. C’est une approche très différente de ce que font les fondations d’entreprise qui ne se concentrent pas sur un unique sujet et renouvellent chaque année leur portefeuille d’associations. Je constate en tout cas que ce modèle de venture philanthropy est très adapté pour régler un problème sociétal.  

Je pense qu’il faudrait que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières. Il pourrait y avoir dix fondations qui s'allient et se regroupent pour avoir un impact fort sur un sujet précis. Je crois qu’il faut repartir du besoin et s’organiser à plusieurs pour résoudre le problème et apporter des ressources plutôt que d’être une goutte dans l’océan.  

 

Christina Diego 

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