Évaluer les projets pour améliorer l’efficacité de l’aide au développement : entretien avec Jean-Claude Pires (AFD)
Depuis plus de 40 ans, l’Agence française de développement (AFD) évalue l’efficacité de ses actions, en mesurant la cohérence et les effets des projets qu’elle soutient. A l'occasion du Sommet de la mesure d'impact, explications par Jean-Claude Pires, directeur du département Évaluation et apprentissage du Groupe AFD.
- Quel est le rôle de l’Agence française de développement (AFD) ?
Le Groupe AFD rassemble trois entités. L’Agence française de développement, d’abord, c’est-à-dire la banque publique de développement française, qui finance des projets de développement dans 115 pays, portés par des acteurs publics ou des organisations non gouvernementales (ONG). Proparco, ensuite, qui finance des projets de développement portés par le secteur privé. Expertise France, enfin, une agence de gestion de projets et de coopération technique.
Nous avons deux mandats : la lutte contre la pauvreté et les inégalités, mais aussi la protection des biens communs, par exemple le climat, la biodiversité, la paix, la santé, l’éducation, etc.
En 2022, nous avons soutenu plus de 1 000 projets à travers le monde, pour des investissements de 12,3 milliards d’euros. Ces investissements correspondent majoritairement à des prêts. Mais dans le cas des pays les plus pauvres, il peut aussi d’agir de subventions, financées par le budget d’aide publique au développement de la France.
- Vous dirigez le département Évaluation et apprentissage de l’AFD. Quelles sont vos missions ?
Notre rôle est d’évaluer les projets soutenus par l’AFD.
Nous distinguons trois grands types d’évaluations. Les évaluations de projets d’abord, qui sont parfois réalisées en cours de projet, parfois à la fin, parfois quelques années après, en fonction de ce qui est le plus pertinent. La plupart du temps, ces évaluations sont faites par des consultants indépendants, sous le pilotage de l’AFD. Ces évaluations se font selon les principes d’évaluations du Comité d’aide au développement de l’OCDE, en tenant compte de six critères : la pertinence du projet, sa cohérence (par exemple avec la politique nationale, avec l’intervention d’autres investisseurs, etc.), son efficacité, son efficience (les objectifs ont-ils été atteints avec des moyens raisonnables et dans les délais prévus ?), sa durabilité et son impact.
Mais nous menons aussi des évaluations « au champ large », par exemple sur un portefeuille de projets intervenant sur une même thématique (l’adaptation au changement climatique, l’énergie, l’éducation…), ou sur des projets soutenus dans un même pays.
Enfin pour certains programmes nous menons des évaluations scientifiques d’impact, qui font intervenir des chercheurs issus à la fois des pays du Nord et des pays du Sud. Très poussées, ces études servent à mesurer les effets d’un projet sur les populations et les écosystèmes, à expliquer les mécanismes ayant permis ces impacts et à analyser de manière rigoureuse le lien de causalité entre l’intervention et ces effets. Dans ce cadre, il peut nous arriver d’utiliser des données satellitaires, par exemple pour mesurer l’effet de nos actions sur la reforestation de certaines régions.
Entre 2020 et 2023, nous avons ainsi évalué 52 % des projets soutenus par l’AFD. Nous choisissons les programmes évalués pour que la sélection soit représentative de l’ensemble des projets soutenus.
- Pourquoi est-ce important d’évaluer les projets que vous soutenez ?
D’abord pour des exigences de redevabilité : nous devons rendre compte de l’utilisation que nous faisons de l’argent public. C’est pourquoi toutes nos évaluations sont publiques et disponibles sur le site de l’AFD.
Mais nos évaluations ont aussi une visée d’apprentissage, pour tirer des leçons de ce qui a fonctionné ou n’a pas fonctionné dans un projet, afin de faire évoluer nos pratiques si besoin.
Enfin, ces évaluations sont pour nous des outils d’aide à la décision sur les suites à donner à tel ou tel programme. C’est pourquoi l’AFD a récemment souhaité renforcer ses pratiques d’évaluation, à travers une nouvelle politique de suivi et d’évaluation. Nous souhaitons ainsi améliorer nos stratégies et nos programmes, et finalement les résultats de l’aide au développement, grâce aux enseignements tirés de l’expérience.
Dans ce cadre, nous allons développer le caractère « sur mesure » de nos évaluations. Celles-ci sont plus utiles lorsqu’elles sont menées au bon moment, par les bonnes personnes et avec les méthodes les plus adaptées. Nous souhaitons donc garantir la diversité des types d’évaluation et de leurs formats.
- Pouvez-vous nous donner des exemples de projets soutenus par l’AFD et de leur évaluation ?
L’AFD finance par exemple un projet autour de l’hygiène menstruelle en Éthiopie. Mis en œuvre par l’ONG Care Éthiopie, ce projet vise à sensibiliser les populations à l'hygiène et à la santé menstruelles, à produire et distribuer des produits sanitaires, et à construire ou réhabiliter des infrastructures sanitaires dans la ville d’Adama. Il a la spécificité d’être mené dans le cadre d’un « contrat à impact » : un investisseur, en l’occurrence une banque, finance le programme, et n’est remboursé par l’AFD que si les objectifs d’impact de l’action sont atteints.
Dans le cadre de ce projet, nous évaluons ses résultats tout au long de sa mise en œuvre, pour l’ajuster au fur et à mesure si besoin. Cette évaluation permet de piloter le projet et de le réorienter au fur et à mesure si nécessaire.
Autre exemple, depuis quelques années l’AFD finance des projets liés au sport comme vecteur de cohésion sociale. Ainsi, au Sénégal, nous soutenons le programme « Escrime et justice réparatrice » de l’ONG Pour le sourire d’un enfant, qui propose une pratique de l’escrime, associée à un accompagnement psychologique, à des jeunes incarcérés à la prison de Thiès. Notre évaluation de ce programme a montré que, sur les 600 jeunes qui en ont bénéficié depuis 2015, aucun n’a récidivé. Cela permet d’apporter la preuve de son efficacité.
Propos recueillis par Camille Dorival