L’entreprise régénérative : utopie ou réalité ?
Le think tank Lumia vient de publier une étude particulièrement complète sur la notion d’« entreprise régénérative ». À quelles conditions une entreprise peut-elle se qualifier de « régénérative » ? Et existe-t-il déjà des exemples de ce type d’entreprises ? Explications.
À quelles conditions une entreprise peut-elle se qualifier de « régénérative » ? C’est la question que s’est posée le think tank Lumia, qui a consacré une longue recherche-action à ce sujet, s’appuyant à la fois sur une revue de la littérature scientifique, sur des études de cas, des entretiens et des interventions en entreprises. Cette recherche-action a donné lieu à une étude particulièrement fouillée sur ce sujet, intitulée « L’entreprise à visée régénérative », que Lumia vient de rendre publique.
Une entreprise qui contribue à régénérer les écosystèmes et les communautés
Mais d’abord, qu’est-ce qu’une entreprise régénérative ? Lumia la définit comme une entreprise qui, au-delà de réduire ses impacts négatifs sur l’environnement, considère que son développement et sa bonne santé co-évoluent avec les écosystèmes et les communautés humaines dont elle dépend et sur lesquelles elle agit, et qu’elle doit donc contribuer à les réparer, les régénérer.
Face à la destruction du vivant et au réchauffement climatique, il devient urgent, souligne Lumia, de « changer d’ambition » et de passer à ce nouveau modèle d’entreprise. Le think tank alerte cependant sur le risque de récupération du concept : « de plus en plus d’entreprises s’en saisissent (…). Nombreux se réjouissent de cet engouement et des promesses que le concept sous-entend. D’autres, tout aussi nombreux, s’en méfient, voire sont ouvertement critiques de ce qu’ils considèrent être un miroir aux alouettes. Et d’annoncer, après le greenwashing, la grande vague à venir du regen-washing au sein des entreprises ».
Un risque de banalisation
« Le concept d’entreprise régénérative est né avec Patagonia et Vandana Shiva, dont on ne peut remettre en cause les engagements environnementaux, explique Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies. Mais aujourd’hui, le concept est récupéré, souvent pour être vidé de tout ce qui faisait son essence ». En août 2023, elle avait d’ailleurs signé avec une trentaine d’organisations et des personnalités telles que Dominique Bourg ou Cyril Dion, une tribune parue dans Le Monde qui estimait que « Si tout le monde utilise le mot régénératif, le risque est qu’il se banalise et se vide de son sens ».
Pour autant, Elisabeth Laville estime qu’« il est important d’avoir des exemples qui montrent que l’entreprise régénérative peut être une réalité, et qu’on peut décider de limiter sa croissance, de s’ancrer localement, de se préoccuper des écosystèmes, et pour autant prospérer : c’est le cas par exemple de Zingerman’s aux États-Unis ».
Les 11 principes de l’économie régénérative
Pour Lumia, l’entreprise régénérative doit en effet respecter onze principes, parmi lesquels le fait de produire des impacts nets positifs pour ses parties prenantes, les écosystèmes et la société, adopter une vision systémique (qui ne prenne pas en compte que la question des émissions carbone, par exemple, mais l’ensemble des impacts de l’organisation sur la nature et les sociétés), être capable de se limiter, ou être ancré dans le local. « Cela nécessite de revoir totalement le modèle économique des organisations, et notamment de ne plus être dans un modèle de volume », souligne Christophe Sempels, directeur général de Lumia.
Le think tank a ainsi identifié une quarantaine d’entreprises à travers le monde qu’il a jugé intéressantes à analyser, sans qu’elles soient à chaque fois des modèles purs d’entreprises régénératives. Parmi elles, Moët Hennessy, Pocheco (fabricant d’enveloppes dans le nord de la France), Reforest’Action, Playa Viva au Mexique, ou encore Regen Network. « En réalité, une entreprise ne peut être réellement régénérative sur son périmètre propre que si elle a une activité directement liée au vivant, par exemple si elle intervient dans le domaine agricole », prévient Christophe Sempels.
Certes. Mais le modèle peut sans doute inspirer des entreprises issues de secteurs d’activités plus éloignés du vivant, mais soucieux de préserver l’habitabilité de notre planète.
Camille Dorival