La philanthropie chinoise : vers l’émergence d’un géant ?
Au cours des dernières années, les entreprises et les entrepreneurs chinois sont de plus en plus nombreux à annoncer dons, legs et autres initiatives philanthropiques. Mais comment s’organise la philanthropie dans un pays où s’exerce un contrôle particulièrement serré sur les acteurs de la société civile ? Quelles motivations sous-tendent cette nouvelle générosité ?
Une évolution fulgurante de la richesse
Le premier élément qui frappe à la lecture des données économiques de la Chine est le changement radical qui s’opère à partir de 1978 et la mise en place de plusieurs réformes sur les plans économique et financier. L’avènement de l’économie socialiste de marché amène une augmentation rapide des revenus, de la consommation des biens, de l'espérance de vie, de l'alphabétisation…
Mais toute médaille a son revers et cette modification profonde de l’économie chinoise voit émerger une classe moyenne et une classe de très riches. En 2021, on compte ainsi près de 1 000 milliardaires en dollars (pour 662 aux USA).
Une générosité historique revivifiée
Dans l’excellent article qu’ils consacrent au développement de la philanthropie chinoise, Charles Sellen et Fabrice Jaumont pointent ainsi l’héritage confucéen, lequel vient se mêler à une appropriation des pratiques occidentales ainsi que le note le rapport « Values and Vision: Perspectives on Philanthropy in 21st Century China ».
Parmi ces pratiques, on peut notamment noter la mise en place d’un avantage fiscal pour les dons depuis 2016, fonctionnant sur un principe de réduction fiscale (25 % de réduction de la base imposable pour les entreprises). Ce dispositif de déduction vient également amplifier une dynamique déjà bien lancée : en 2009, il existait 1 809 fondations, il y en a 6 332 en 2017. On estime qu’elles sont opératrices à 99 %. Ce chiffre est à mettre en relation avec le manque de confiance dans le secteur associatif chinois.
Un grand donateur et une grande cause
Un autre point saillant de la philanthropie chinoise, c’est le rôle prépondérant des entreprises dans les montants donnés : en effet, on estime à 65 % leur part dans les 24 milliards de dollars donnés en 2017 (vs 21 % pour les individus). Cette générosité des entreprises répond d’ailleurs à des objectifs bien précis comme nous le verrons ensuite.
En ce qui concerne les domaines d’engagement des philanthropes et des fondations, l’éducation arrive en première place que ce soit pour les fondations d’entreprises et d’individuels (14,8 Mds dollars) ou pour les philanthropes individuels (40 % des plus grands philanthropes du pays indiquent s’investir dans ce domaine). La lutte contre la pauvreté, l’insertion sociale et la santé sont les autres principaux domaines d’engagement.
Cette convergence dans les causes soutenues s’explique vraisemblablement par le fait que les philanthropes utilisent leur fondation d’entreprise pour mener leurs actions.
Le poids de l’État chinois dans le mécénat
Bien évidemment, la mise en place et le développement de la philanthropie se font sous le contrôle étroit de l'État. À tel point que le rapport de l’Asian Venture Philanthropy Network notait en 2018 que plusieurs philanthropes créeraient des fonds sous l’égide d’organismes liés à l'État pour se garantir de rester dans les clous.
Le poids de l’État se retrouve également dans les récents méga-dons réalisés par des entreprises. C’est le cas de Pinduoduo, un site de vente chinois en ligne. Cette entreprise a annoncé fin août un don de 1,3 Mds d’euros pour le développement de l’agriculture. Une annonce qui vient à la suite de celle de Tencent (télécommunications) qui prévoit un common prosperity program de 750 millions d’euros.
Ces dons font échos aux récents discours du président Xi Jinping annonçant sa volonté de réduire les inégalités sociales galopantes et de réprimer les hauts salaires comme le dit le Financial Times. Dans le cas de Pinduoduo, l’effet de cette annonce ne s’est pas fait attendre avec une hausse de 22 % du cours de l’action de l’entreprise. Ce don garantirait en effet la capacité de l’entreprise à faire des affaires sur le long terme.
La philanthropie chinoise, un outil de soft power
Un autre avatar de cet encouragement de l’État se retrouve dans les actions des entreprises et philanthropes chinois pendant la pandémie de la Covid-19. Les dons de masques ou de différents produits ont, en effet, été nombreux, des actions qui viennent à la suite d’un engagement de plus en plus important dans la réponse aux catastrophes naturelles.
À tel point que MM. Sellen et Jaumont anticipent dans leur article une projection internationale prévisible pour la puissance philanthropique chinoise. Et d’anticiper deux corollaires : quelles inflexions aux politiques internationales quand les philanthropes chinois auront la main sur une part importante des fonds disponibles ? Et quelles influences étrangères feront leur chemin dans l’écosystème philanthropique chinois ?
William Renaut
