La responsabilité territoriale : nouvel enjeu central pour les entreprises
Apparue il y a quelques années, la notion de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) insiste sur l’idée que l’entreprise doit chercher à avoir un impact positif sur son territoire, grâce à la coopération avec les acteurs de l’écosystème local.

On connaissait la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Voici désormais la responsabilité territoriale des entreprises (RTE). La différence ? « La RTE, c’est l’idée que l’entreprise se questionne sur son impact sur un territoire, et se doit de contribuer positivement à son territoire », précisait l’économiste Maryline Filippi lors d’une table ronde organisée dans le cadre des Journées métropolitaines de l’économie sociale et solidaire (ESS), à Lyon, le 14 mai dernier.
« Avec la RTE, l’entreprise sort de ses frontières habituelles pour travailler en étroite collaboration avec les acteurs du territoire sur lequel elle est installée, ajoute-t-elle. On passe d’une logique individuelle à une logique collective : l’entreprise collabore avec l’ensemble des partis prenantes du territoire pour coconstruire de la valeur. On passe aussi d’une logique de l’offre à une logique de la demande : l’entreprise regarde les besoins identifiés sur le territoire et conçoit son offre en fonction de ces besoins ».
Recherche du bien commun et action collective
Comme l’explique Timothée Duverger, responsable de la chaire Territoires de l’ESS à Science Po Bordeaux, « la RTE opère deux bascules par rapport à la RSE. D’abord elle comporte l’idée d’une recherche du bien commun par l’entreprise, quand la RSE vise plutôt à gérer et réduire les externalités négatives de l’entreprise. Ensuite, la RTE repose sur l’action collective, la coopération avec les acteurs du territoire, alors que la RSE est plutôt une approche de type managériale, centrée sur l’entreprise ».
En 2022, ESS France avait mené, avec Harris interactive, un sondage autour de la notion de RTE. Il en ressort que 96 % des Français estiment que les entreprises se doivent d’avoir une responsabilité territoriale, et 64 % jugent même que cela est essentiel. Ils jugent aussi que les acteurs de l’ESS sont les mieux à même de porter cette RTE, notamment parce que ce sont des entreprises démocratiques.
« La RTE ne concerne pas que les acteurs de l’ESS, souligne néanmoins Antoine Détourné, délégué général d’ESS France, également membre de la Plateforme RSE de France Stratégie. Elle est intégrée dans la plupart des référentiels de RSE. Néanmoins, les acteurs de l’ESS y ont naturellement un rôle central, par leur lien étroit avec le territoire, leur capacité à identifier les besoins sociaux sur un territoire, mais aussi par leur culture de la coopération. »
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Associer acteurs de l’ESS, entreprises conventionnelles et acteurs publics
Il cite plusieurs exemples de dispositifs qui illustrent bien ce que peut être la RTE, et dans lesquels les acteurs de l’ESS ont un rôle important. Ainsi, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) sont des regroupements d’acteurs d’un territoire, issus aussi bien de l’ESS que d’entreprises plus classiques, collectivités territoriales, centres de recherche ou organismes de formation, qui collaborent autour d’un projet visant un développement durable de ce territoire. De même, les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) sont des dispositifs qui visent à supprimer la privation durable d’emploi, par la création d’activités utiles au territoire, grâce à la coopération entre plusieurs types d’acteurs.
Sur le territoire de la métropole lyonnaise, la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Iloé, consortium d’acteurs de l’économie circulaire, illustre également bien la notion de RTE. Même si comme le note Simon Mirouze, directeur général de la Scic et directeur général délégué d’Envie Rhône-Alpes, « en réalité, comme Monsieur Jourdain, nous faisons de la RTE sans le savoir ».
Comme il le raconte, « en 2019, nous avons identifié une difficulté sur le territoire : les déchets encombrants finissaient le plus souvent enfouis ou incinérés, sans être réemployés ou recyclés même s’ils étaient en bon état. Nous n’avions pas de solution technique pour collecter, traiter et valoriser ces déchets. Alors nous avons rassemblé tous les acteurs du territoire et réfléchi ensemble pour mettre au point une solution. »
C’est ainsi qu’est née la Scic Iloé, qui associe la Métropole de Lyon, des bailleurs sociaux, des opérateurs de collecte et industriels des déchets, des acteurs du réemploi solidaire (notamment Envie Rhône-Alpes), ou encore des éco-organismes. La Scic gère des centres logistiques de traitement et valorisation des déchets encombrants, adossés à des tiers-lieux. Le dispositif a déjà permis de créer huit emplois en insertion et de consolider 35 autres emplois.
« Pour que chaque habitant du territoire trouve une réponse à ses besoins, il est nécessaire de notre point de vue, parallèlement aux politiques publiques, d’activer la coopération économique entre les différents acteurs » estime Émeline Baume, vice-présidente de la Métropole de Lyon. Sa collectivité mène donc une politique active d’animation de la coopération sur son territoire. Cela peut se faire par plusieurs leviers, note Émeline Baume : par la politique d’achat public (favoriser les consortiums d’acteurs dans les marchés publics), par l’accompagnement des collectifs d’acteurs, mais aussi par la valorisation de ce que font les acteurs en leur donnant de la visibilité – ce qui s’est fait à Lyon via la création d’un Observatoire de l’économie à impact.
Coopérer pour repenser son modèle d’affaires
La notion de coopération territoriale est également très présente à la Convention des entreprises pour le climat (CEC), qui accompagne des dirigeants d’entreprises à réfléchir sur leur modèle d’affaire et à les repenser pour les rendre compatibles avec les limites planétaires. « Nous sommes persuadés que les entreprises ne pourront pas revoir leurs modèles d’affaires et s’en sortir si chacune agit dans son coin. Elles ont intérêt à coopérer avec leur écosystème et notamment avec les acteurs de leur territoire », explique Marianne Coudert, copilote de la CEC du Bassin lyonnais et de la CEC des Alpes. Au sein du parcours, une session est consacrée à la question de la coopération territoriale et les entreprises participantes sont incitées en permanence à coopérer.
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Dans le Bassin Lyonnais, la CEC a ainsi permis de donner naissance à plusieurs exemples de coopération territoriale. Ainsi, les Hospices civils de Lyon et deux entreprises du territoire travaillent ensemble autour de la renaturation de leurs espaces fonciers. Autre exemple : plusieurs entreprises du BTP ayant participé à la CEC, de tailles diverses, ont créé ensemble une plateforme logistique de réemploi de matériaux.
Camille Dorival