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Par Carenews INFO - Publié le 11 mars 2024 - 14:00 - Mise à jour le 12 mars 2024 - 09:54 - Ecrit par : Camille Dorival
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« Il est nécessaire de chambouler le système économique si nous voulons survivre », entretien avec Éric Duverger

Depuis 2021, la Convention des entreprises pour le climat (CEC) propose à des dirigeants d’entreprises un parcours en six étapes pour prendre conscience de l’ampleur de la crise environnementale et les amener à faire évoluer leurs modèles d’affaires. Son fondateur, Éric Duverger, nous raconte comment cette idée a germé dans son esprit en 2020, et comment elle s’est développée depuis. 

Éric Duverger a fondé la Convention des entreprises pour le climat en 2021. Crédit : DR
Éric Duverger a fondé la Convention des entreprises pour le climat en 2021. Crédit : DR

 

  • Vous avez fondé la Convention des entreprises pour le climat (CEC) en 2021. Comment vous est venue cette idée ? 

 

A l’époque, je travaillais aux Etats-Unis, pour une grande entreprise française. J’écoutais de plus et plus de podcasts sur les enjeux écologiques, et pendant ce temps je continuais à travailler comme si de rien n’était, comme directeur marketing. J’étais comme un hamster qui tournait dans sa roue. Puis au printemps 2020, j’ai eu un choc de conscience, j’ai eu la prémonition d’une catastrophe et je me suis dit que je ne pouvais plus continuer comme ça. Il fallait que je tente quelque chose, à l’intérieur ou à l’extérieur de mon entreprise, pour contribuer à transformer les modèles économiques et de leadership. 

A l’époque avait lieu la Convention citoyenne pour le climat (CCC) en France. Par hasard, en juin 2020, je tombe sur la cérémonie de clôture de la CCC sur les réseaux sociaux. Je trouve que ce dispositif permet de véritables dépassements et je me dis que si on l’appliquait aux entreprises, cela pourrait provoquer quelque chose de puissant. J’envoie un message à Cyril Dion, qui avait été à l’initiative à la CCC, pour lui soumettre rapidement l’idée et il m’encourage dans ce sens avec quelques mots. Cela a suffi pour me booster. 

J’ai longuement réfléchi à qui on pourrait réunir dans cette convention d’un nouveau genre, et je me suis vite dit qu’il fallait que ce soient des dirigeants d’entreprises. Sinon il ne se passerait rien de différent, les modèles ne changeraient pas vraiment. Il fallait faire vivre à ces dirigeants d’entreprises une expérience véritablement transformante pour les amener à prendre conscience de l’ampleur de la crise environnementale et à revoir en profondeur leurs modèles d’entreprises. 

Peu à peu, d’autres bénévoles se sont engagés dans le projet. Nous avons décidé de faire participer deux personnes de chaque entreprise à cette convention : le dirigeant et un « planet champion », par exemple le ou la directeur.rice RSE. Et nous avons scénarisé la progressivité du parcours, en six épisodes de deux jours. La première session était consacrée au constat de l’immense crise environnementale à laquelle nous faisons face ; la dernière à la finalisation d’une feuille de route, dans laquelle chaque entreprise vise à se réinscrire dans les limites planétaires. 

Très vite, nous avons fixé le cap de cette démarche : celui de l’entreprise régénérative, c’est-à-dire de l’entreprise qui se donne pour ambition de régénérer les services écosystémiques et de redonner sa place au vivant. Il s’agit de remettre le monde économique à sa juste place, celle d’organisations qui peuvent exister grâce à des écosystèmes qui ont beaucoup donné et qu’il leur faut maintenant absolument régénérer. 

Depuis, nous avons d’ailleurs défini notre raison d’être avec ces mots : « rendre irrésistible la bascule de l’économie extractive vers l’économie régénérative ». Nous souhaitons nous situer dans une énergie positive, ouvrir des futurs souhaitables et participer à leur concrétisation. Ce n’est pas tous les jours facile, tant les vents contraires sont omniprésents et les résistances de l’ancien monde encore profondément ancrées. Je peux moi-même être parfois découragé. Mais notre objectif est que la bascule culturelle vers l’économie régénérative se fasse avant 2030. En France, je pense que nous sommes dans les temps, cela est encore possible. 

 

  • Quatre ans après, comment s’est développée la CEC ? 

 

Fin 2020, nous avons lancé des candidatures pour le premier parcours CEC. Nous avons dû en refuser 300. Au final, ce sont les dirigeants et les « planet champions » de 150 organisations qui ont participé, aussi bien des PME que des associations ou de grandes entreprises. 

Au départ, tout s’est fait bénévolement, sans argent, grâce à l’implication de nombreuses bonnes volontés pour faire une œuvre commune. Nous avons imaginé les contenus des sessions au fur et à mesure qu’elles avaient lieu. Nous voulions faire appel au champ de la raison des participants, mais aussi mobiliser leurs émotions, pour que la prise de conscience soit totale et que cela les fasse évoluer en profondeur. 

Cela aurait pu s’arrêter après cette première convention. Mais une multitude d’acteurs, notamment des dirigeants engagés de la première heure, nous ont dit qu’on ne devait pas en rester là et qu’ils voulaient décliner la convention sur leur territoire. Et c’est ainsi que depuis, ont eu lieu des CEC en Provence-Corse, dans l’Ouest, dans le Bassin Lyonnais, dans les Alpes, en Bourgogne-Franche Comté, en Nouvelle-Aquitaine, dans le Massif central, et que se préparent des conventions dans les Hauts-de-France et en Normandie, ainsi que la 2e session des conventions de Provence-Corse, Ouest, Bassin Lyonnais et Alpes. Les candidatures sont ouvertes pour tous ces parcours. 

Nous avons également créé des CEC thématiques : pour le monde du conseil, pour le monde financier. Deux nouveaux parcours, pour les industries et pour les nouveaux imaginaires sont en préparation, et là aussi, les candidatures sont ouvertes. L’objectif est de mettre autour de la table des parties prenantes extrêmement diverses, pour les faire dialoguer et créer une dynamique collective.

 

  • Comment l’association vit-elle aujourd’hui ? Quelles sont vos ressources pour monter ces projets ? 

 

Nous menons tous ces projets encore en partie grâce à du bénévolat, mais nous faisons maintenant appel à des prestataires indépendants, et cette année, nous avons pu recruter nos trois premiers salariés pour inscrire la CEC dans la durée. Nous sommes une association d’intérêt général et à ce titre nous avons vocation à diffuser nos méthodologies le plus possible, pour que la prise de conscience soit la plus large possible. A ce titre, nous sommes également impliqués dans Regen’Ecosytem, un mouvement d’organisations autour de l'économie régénérative. Il est nécessaire de chambouler le système économique actuel si nous voulons survivre. Nous n’avons pas d’autre choix. La RSE classique ne suffira pas.

L’association est financée grâce à des subventions publiques et du mécénat, mais aussi et surtout grâce aux contributions des entreprises qui participent. La contribution est libre ; nous indiquons aux organisations ce que nous coûte le parcours et leur demandons de contribuer à la hauteur de leurs moyens. Certaines petites associations ou structures de l’économie sociale et solidaire ne peuvent quasiment pas contribuer ; mais de plus grandes entreprises contribuent davantage et cela compense. La contribution ne doit pas être une barrière à la participation. 

Notre modèle commence à inspirer des acteurs à l’étranger : la Suisse, la Belgique et le Royaume-Uni sont en train de préparer des parcours CEC sur notre modèle. Pour atteindre les États-Unis, forteresse du « business as usual », nous sommes conscients qu’il nous reste encore un long chemin à parcourir, mais cela fait partie de notre feuille de route. 

 

  • Quel est l’effet de la CEC sur les participants ? 

 

Il peut être variable d’un participant à l’autre, mais l’expérience a toujours un effet puissant. Nombreux sont les participants qui disent qu’il y a un « avant » et un « après » la CEC. Certaines entreprises, comme Mustela, les brasseries Pietra, Rossignol, ou même Renault Trucks, ont profondément revu la manière dont elles fonctionnent à la suite de la CEC. Renault Trucks, par exemple, a assumé la perspective de vendre moins de camions neufs, a beaucoup investi sur le reconditionnement des camions et développe des modes de transports radicalement plus écologiques en ville. Une révolution ! 

 

Propos recueillis par Camille Dorival   

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