Un rapport pour accélérer la mesure d’impact territorial des entreprises
Un rapport de l’Impact Tank, piloté par Timothée Duverger, propose une série d’indicateurs pour mesurer l’impact social des entreprises sur leur territoire d’implantation. Il formule également des préconisations à destination des entreprises et des pouvoirs publics pour favoriser un meilleur ancrage territorial des entreprises.
Comment mesurer l’impact des entreprises sur leur territoire ? C’est ce que s’est demandé l’Impact Tank, cercle de réflexion créé en 2020 à l’initiative du Groupe SOS, dans un rapport très complet intitulé « Mesurer l’impact social et l’ancrage territorial des entreprises ». Fruit d’un travail collectif coordonné par Timothée Duverger, responsable de la chaire Territoires de l’ESS à Sciences Po Bordeaux, ce rapport a été remis à Olivia Grégoire, ministre en charge des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire, lors du Sommet de la mesure d’impact organisé par l’Impact Tank le 18 avril dernier.
La notion de responsabilité territoriale des entreprises
Le rapport comporte quatre parties distinctes. « Dans la première, nous avons voulu poser le cadre général de la question de l’impact territorial des entreprises », explique Timothée Duverger. Pour cela, le rapport met en avant deux notions importantes. La première est celle de « responsabilité territoriale des entreprises » (RTE), c’est-à-dire la prise en compte par l’entreprise de l’empreinte qu’elle a sur son territoire d’implantation, et la préoccupation de contribuer positivement au développement de ce territoire, en coopération avec d’autres acteurs.
« La notion de RTE opère une double bascule par rapport à celle de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), explique Timothée Duverger. D’une part, elle repose sur l’idée de contribuer au bien commun et ne se concentre pas seulement sur la gestion des externalités négatives de l’entreprise. D’autre part, elle s’appuie sur la notion d’action collective, et non sur une approche managériale et centrée sur une seule entreprise. »
La deuxième notion mise en avant par le rapport est celle de « transition écologique juste », c’est-à-dire l’idée que, pour être démocratiquement acceptable, la transition doit nécessairement prendre en compte les questions de justice sociale. Pour le think tank, les territoires sont le terrain d’action privilégié d’une transition juste. En effet, « ce sont sur les territoires et dans la coopération entre acteurs que se construisent les solutions », estime Timothée Duverger.
Des initiatives prometteuses
Une fois ces cadres posés, la deuxième partie du rapport s’intéresse à des exemples « d’initiatives prometteuses en faveur de l’engagement territorial des entreprises ». Ces initiatives, repérées parmi les membres du groupe de travail mais aussi à l’extérieur, sont portées aussi bien par des entreprises conventionnelles que par des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Ainsi, le rapport cite l’exemple de La Passerelle Sodexo, un tiers-lieu créé à l’initiative de l’entreprise Sodexo à Clichy-sous-Bois après une phase de co-construction avec les différents acteurs du territoire, autour des enjeux d’alimentation durable, d’accès à l’emploi et de cohésion sociale. Le tiers-lieu propose ainsi une légumerie, qui emploie des personnes sans qualification, mais aussi une crèche (pour résoudre le problème de la garde d’enfants comme un frein périphérique à l’emploi), une salle de formation animée par la Mission locale, et une salle de formation pour organiser des sessions de découvertes de métiers et des ateliers autour de la nutrition ou de l’emploi.
Sont également cités en exemple plusieurs pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), regroupements, sur un territoire donné, d’initiatives, d’entreprises et de réseaux de l’économie sociale et solidaire associés à des PME socialement responsables, des collectivités locales, des centres de recherche et organismes de formation. Ces acteurs mettent collectivement en œuvre des projets économiques coopératifs visant à répondre à des besoins sociaux identifiés sur un territoire. Ainsi le PTCE Pôle Sud mis en œuvre à l’initiative du groupe Archer dans la Drôme a pour objectif d’accélérer les processus de coopération sur le territoire. Il a permis de faire naître des actions communes entre divers acteurs drômois en faveur de la relocalisation industrielle ou de l’action sociale, mais aussi des actions de soutien à l’entrepreneuriat local, comme le programme « Start-up de territoires ».
Le rapport classe les initiatives en trois groupes, selon le niveau d’ancrage territorial des entreprises. Ainsi, le niveau 1 correspond à des projets portés par de grandes entreprises ou par leur fondation, caractérisés par un déploiement à l’échelle nationale, les prises de décisions se faisant essentiellement depuis le siège, sans connexion directe avec les territoires. Les projets de niveau 2 se situent à l’intermédiaire entre l’ancrage territorial et l’échelle nationale : les initiatives proposées par les entreprises, en lien avec les différents acteurs du territoire, répondent d’abord à ses besoins managériaux.
Les projets de niveau 3 correspondent quant à eux à un ancrage territorial fort, promouvant un développement territorial dynamique et solidaire. « Même si une diversité de structures remplit ce critère, ce sont les entreprises de l’ESS qui sont davantage représentées » dans les projets de niveau 3, précise le rapport. Ce qui est assez logique, pour Timothée Duverger, « puisque l’une des caractéristiques de l’ESS est d’être ancrée dans les territoires, mais aussi de fournir des cadres d’action collective ».
Un référentiel d’indicateurs de mesure
La troisième partie du rapport propose un référentiel d’indicateurs de mesure de l’impact social territorial des entreprises. Les indicateurs sont répartis en onze catégories : cohésion sociale, inclusion, éducation et culture, accès à l’emploi, mobilité, ou encore aide à la transition écologique. Pour chaque catégorie sont proposés des indicateurs d’impact individuel (ce que le projet produit sur les individus du territoire) et des indicateurs d’impact collectif (comment le projet transforme le territoire et ses écosystèmes).
« La mesure d’impact territorial exige un préalable : définir les contours du territoire pour l’entreprise et son écosystème », note Timothée Duverger.
Favoriser l’engagement territorial des entreprises
Enfin, la dernière partie du rapport formule un certain nombre de recommandations visant à favoriser un plus grand engagement territorial de la part des entreprises. Une partie de ces recommandations s’adressent aux entreprises elles-mêmes : participer aux projets territoriaux de développement durable, comme les plans climat-air-énergie territoriaux ou les contrats de transition écologique, s’appuyer sur la CSRD pour développer et valoriser leur engagement auprès des territoires, mettre en place une gouvernance équilibrée entre les parties prenantes, favoriser les expérimentations locales et soutenir l’innovation, etc.
D’autres recommandations sont formulées à destination des pouvoirs publics. Le rapport suggère ainsi de sensibiliser les acteurs économiques au diagnostic territorial, d’aider les entreprises à développer leur mesure d’impact dès leur implantation sur le territoire, de renforcer les PTCE, de développer les modèles de « joint-ventures sociales » sur les territoires, de pérenniser les expérimentations locales à impact social comme les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) ou les projets alimentaires territoriaux (PAT), ou encore d’ajouter le mécénat dans les obligations de reporting des grandes entreprises.
Aux entreprises et aux pouvoirs publics, désormais, de se saisir de ces propositions et de ces indicateurs.
Camille Dorival