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Par Carenews PRO - Publié le 5 mars 2024 - 12:00 - Mise à jour le 19 avril 2024 - 16:57 - Ecrit par : Camille Dorival
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Les acteurs du réemploi solidaire s’unissent face au privé lucratif

Six structures de l’économie sociale et solidaire ont annoncé la création d’une Union pour le réemploi solidaire. Elle vise à fédérer les acteurs de cette filière face à l’arrivée de nouveaux acteurs lucratifs sur le marché du réemploi.

L'Union pour le réemploi solidaire a été officiellement lancée le 29 février lors d'un événement à l'Assemblée nationale. Crédit : Camille Dorival, Carenews.
L'Union pour le réemploi solidaire a été officiellement lancée le 29 février lors d'un événement à l'Assemblée nationale. Crédit : Camille Dorival, Carenews.

 

Fédérer les acteurs du réemploi solidaire pour continuer de peser dans la filière du réemploi face à l’arrivée d’acteurs lucratifs : tel est l’objectif derrière la création de l’Union pour le réemploi solidaire, lancée officiellement le 29 février dernier lors d’un événement à l’Assemblée nationale.

« À l’aune de l’urgence écologique que nous vivons, il est essentiel de repenser en profondeur nos modèles de production et de consommation pour limiter au maximum les pressions exercées sur les ressources et les écosystèmes », rappelle ainsi ce nouveau collectif, qui rassemble six acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) agissant dans le réemploi : Emmaüs France, le Réseau national des ressourceries et recycleries, L’heureux cyclage, le réseau Envie, Coorace et ESS France. « Les structures de l’ESS spécialistes du réemploi, majoritairement associatives, constituent des solutions concrètes d’allongement de la durée de vie des objets à des fins environnementales, économiques et sociales », ajoute le collectif.

 

Une filière du réemploi encouragée par la loi Agec

 

La genèse de cette union d’acteurs remonte à l’année 2018. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), adoptée en 2020, est alors en préparation. Elle vise à encourager la réparation d’un produit cassé, plutôt que son remplacement par l’achat d’un produit neuf.

La loi Agec crée notamment onze nouvelles filières de responsabilité élargie des producteurs (Rep), qui obligent ceux qui produisent et vendent les produits de certaines filières à assumer la responsabilité des déchets liés à ces biens, en finançant, en organisant et en mettant en place les solutions de collecte, de réemploi ou de recyclage appropriées pour ses produits. Parmi ces solutions, ils doivent privilégier l’écoconception des produits et les solutions de réemploi, puis le recyclage ou l’incinération quand le réemploi n’est pas possible, afin de respecter la hiérarchie de la gestion des déchets établie par l’Union européenne (voir encadré ci-dessous). Seront désormais soumises à ces obligation la filière du jouet, du pneu, ou des articles de sport et de loisirs.

La hiérarchie de la gestion des déchets
La directive-cadre européenne Déchets de 2008 fixe une hiérarchie du mode de gestion des déchets. Selon cette hiérarchie, la solution à privilégier en matière de déchets est la prévention (éviter les déchets), puis le réemploi (qui consiste à remettre en état un objet pour pouvoir l’utiliser à nouveau), ensuite seulement le recyclage (qui consiste à broyer la matière pour fabriquer un nouveau produit), les autres formes de revalorisation, et enfin l’élimination du déchet.

 

Dans le cadre de la préparation de la loi, les structures de l’ESS, historiquement présentes dans la filière du réemploi, décident de s’unir pour plaider pour la création d’un « fonds du réemploi » dans chaque filière Rep. L’objectif de ce fonds : flécher 5 % des « écocontributions » (c’est-à-dire les contributions versées par les fabricants et distributeurs de la filière) vers des structures de l’ESS du réemploi. « À l’époque, on nous avait dit qu’on n’y arriverait jamais. Et pourtant cette proposition a fini par être adoptée », soulignait Valérie Fayard, déléguée générale d’Emmaüs France, le 29 février, au nom du collectif.

Ce premier succès incite les acteurs de l’ESS à se rapprocher encore davantage, face à l’arrivée d’acteurs lucratifs sur les nouveaux « marchés » du réemploi encouragés par la loi Agec. De fait, les modèles mis en place par les entreprises lucratives diffèrent totalement du modèle de réemploi dit « solidaire » porté par les acteurs de l’ESS.

Le réemploi solidaire repose en effet sur deux objectifs ayant une valeur égale : un objectif social – permettre à des personnes exclues du marché du travail d’avoir accès à un emploi, mais aussi permettre à des personnes défavorisées d’accéder à des produits de seconde main à bas coût  –, associé à un objectif environnemental  –  allonger la durée de vie des objets, pour réduire la fabrication de nouveaux produits.

Face à ce modèle, les acteurs lucratifs, eux, voient le réemploi avant tout comme une « opportunité de marché ». Ainsi, explique Valérie Fayard, ils tendent à ne collecter que les objets qui ont de la valeur et à se désintéresser du reste, alors que les acteurs de l’ESS collectent les objets quels que soient leur état et leur valeur marchande, afin de les retraiter. Certains acteurs lucratifs encouragent aussi la « re-consommation », par exemple dans le cas d’entreprises qui proposent des bons d’achats en échange de la collecte d’objets usagés, tandis que les acteurs du réemploi solidaire veulent favoriser un modèle de sobriété dans les modes de consommation et de production. Certains acteurs lucratifs, même, font retraiter « à l’autre bout du monde » des objets collectés en France, selon Valérie Fayard, ce qui est totalement incohérent avec les objectifs environnementaux de la démarche.

Comme le souligne la déléguée générale d’Emmaüs France, « avec la création de l’Union pour le réemploi solidaire, notre objectif est de promouvoir un modèle de réemploi qui prône la sobriété, la gouvernance partagée, les circuits courts, la solidarité, la sensibilisation des citoyens au changement de comportement… ».

À elles 7, les structures rassemblées dans ce collectif collectent 400 000 tonnes de biens qui retrouveront une seconde vie, emploient 40 000 personnes sur des emplois pérennes, des emplois en insertion, ou sur le modèle des « compagnons » dans le cas d’Emmaüs. Elles s’appuient également sur 20 000 bénévoles et comptent 7 millions de personnes bénéficiaires.

 


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Un modèle ancien particulièrement bien adaptés aux enjeux actuels

 

Historiquement, les acteurs de l’ESS ont été extrêmement présents dans le domaine du réemploi des déchets. Ainsi, « juste après la Seconde Guerre mondiale, Emmaüs a posé le concept de réemploi solidaire, en collectant des objets usagés pour leur donner une seconde vie, sans en déposer le brevet », a rappelé Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, en ouverture de l’événement du 29 février.

Le ministre souligne donc le rôle très spécifique des acteurs de l’ESS dans ce domaine et leurs vertus : « un modèle où on réinvestit l’intégralité de ce qu’on gagne dans le capital humain, c’est aussi une autre forme d’économie circulaire », souligne-t-il notamment. Mais il note aussi « l’énorme potentiel du réemploi et la nécessité de le développer », jugeant qu’il peut y avoir une place sur cette filière pour des acteurs lucratifs porteurs d’innovations technologiques, notamment, qui pourraient « coopérer » selon lui avec les acteurs de l’ESS. « Ce qui nous mobilise doit être plus important que ce qui nous divise », insiste-t-il.

Comme une réponse au ministre, Guillaume Balas, délégué général de la Fédération Envie, souligne quant à lui que « le modèle du réemploi solidaire est celui qui répond le mieux aux enjeux actuels : une crise environnementale associée à une crise sociale. C’est donc autour de ce modèle que doit s’organiser le réemploi ». Et d’ajouter : « il y a trois points sur lesquels nous ne cèderons rien : la nécessité d’une transition écologique, qui est une question de survie pour l’espèce humaine ; la question sociale – les enjeux sociaux et l’écologie sont indissociables ; et la promotion d’un autre type d’économie, que l’on pourrait appeler une "gestion démocratique de l’économie". C’est une autre économie qui a fait les preuves de son efficacité sur tous les plans, écologique, social et économique, et sur laquelle il faut compter ».

Il ajoute toutefois qu’« il nous faut admettre qu’il existe d’autres modèles, et voir comment nous pouvons travailler avec eux ».

 

Seuls 10 % des budgets des éco-organismes sont fléchés vers le réemploi

 

En attendant, le modèle du réemploi, bien que considéré comme une solution prioritaire dans les modes de gestion des déchets, est loin d’être le plus développé au sein des filières Rep. Ainsi, selon l’aveu de Christophe Béchu lui-même, « la part des budgets des éco-organismes [les organismes chargés de gérer les fonds des filières Rep] fléchés vers le réemploi est de moins de 10 % : c’est largement insuffisant ».  

« Il nous faut augmenter la part du réemploi, concède Nathalie Yserd, directrice générale d’Ecosystem, l’éco-organisme de la filière des appareils électriques et électroniques. « Il faut aussi voir comment les éco-organismes peuvent davantage flécher le gisement des objets vers l’ESS, ce qui implique d’instaurer des règles », ajoute-t-elle. A Paris, mais aussi dans d’autres métropoles, une expérimentation est en cours de collecte par les encombrants des appareils électriques et électroniques usagés en vue de leur réemploi. « Tous les objets ainsi collectés sont ensuite récupérés et traités par les structures de l’ESS », Indique Nathalie Yserd.

Aurore Médieu, responsable transition écologique à ESS France, revient quant à elle sur le fonds réemploi créé dans le cadre de la loi Agec. « Cela a permis de pérenniser les activités des structures du réemploi solidaire, et c’était la première fois qu’une politique publique soutenait fortement l’ESS. Mais aujourd’hui encore, certains éco-organismes ne respectent pas cette obligation d’affecter 5 % de leur écocontribution à ce fonds. Nous avons besoin de plus d’engagement de l’État pour s’assurer que la loi est respectée par tous. »

 

Une filière d’un nouveau genre

 

Le 29 février, Jérôme Saddier, président d’ESS France, s’est lui aussi réjouit de la création de l’Union pour le réemploi solidaire et ainsi d’une filière nouvelle, celle du réemploi solidaire. « Il s’agit d’une filière d’un nouveau genre, souligne-t-il, qui porte sur des enjeux économiques, mais aussi des enjeux environnementaux et des enjeux sociaux. Il s’agit aussi d’une filière qui n’a pas l’obsession du changement d’échelle ou de la course au gigantisme. Bien sûr, elle aspire à grossir, mais ses motivations ne se résument pas à cela. Il s’agit surtout de coopérer, de mutualiser, et de se revendiquer de l’intérêt général. De fait, c’est la toute première filière qui soit portée intégralement et exclusivement par des acteurs de l’ESS. »

 

Camille Dorival 

 

Sept propositions pour développer le réemploi solidaire

L’Union pour le réemploi solidaire émet sept propositions visant à développer le modèle du réemploi solidaire :

1. Agir sur les changements de comportements, en orientant au moins 2 % du budget général des éco-organismes (en sus du fonds réemploi) vers le financement d’actions de sensibilisation des citoyens à la prévention des déchets.

2. Garantir l’accès à une offre de réemploi solidaire pour toutes et tous à moins de 15 mn de chez soi.

3. Déployer des moyens financiers pour le réemploi solidaire à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux, grâce à une politique ambitieuse qui garantisse un soutien plus fort aux activités de prévention plutôt qu’aux activités de recyclage et d’incinération, pour respecter la hiérarchie de la gestion des déchets.

4. Définir des barèmes de soutien au réemploi solidaire par l’État, dans le cadre d’une vision de filière ambitieuse.

5. Garantir aux structures de l’ESS un accès à des gisements d’objets de qualité.

6. Créer une école du réemploi solidaire, qui pourrait être soutenue à hauteur de 5 millions d’euros dans le cadre du programme France 2030.

7. Faire de la réparation un réflexe pour chaque citoyen, qui soit source d’économies et de réduction de son empreinte environnementale.

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