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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 20 novembre 2025 - 17:00 - Mise à jour le 20 novembre 2025 - 17:00
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L’École de la générosité : apprendre à vivre ensemble pour une société plus humaine

Dans une société fracturée où les rapports sociaux se tendent, où l’incommutabilité progresse partout, l’idée d’apprendre à vivre ensemble dès le plus jeune âge apparaît comme une évidence. C’est à ce défi que se sont attaqués des fondations et France générosité pour soutenir le projet de l’École de la générosité. Grâce à l’engagement d’enseignants motivés et d’associations partenaires, ce projet permet faire du commun, de poser les bases de la démocratie. Parole d’acteurs avec Chloé Laudereau, déléguée de l’École de la générosité, et Jeannie Fages enseignante.

Jeannie Fages enseignante, et Chloé Laudereau, déléguée de l’École de la générosité.
Jeannie Fages enseignante, et Chloé Laudereau, déléguée de l’École de la générosité.

 

Semer des graines d’humanité

 

  • Chloé Laudereau, vous êtes déléguée générale de l’École de la générosité. Ce nom est assez nouveau : pouvez-vous nous raconter d’où vient ce projet ?

 

Chloé Laudereau : Il est né il y a plus de dix ans sous le nom d’École de la philanthropie. À l’époque, la Fondation Edmond de Rothschild, rapidement rejointe par la Fondation de France, voulait développer chez les plus jeunes la culture du don, de la solidarité et de l’engagement. L’objectif était de donner à chaque enfant les clés pour devenir un citoyen acteur, capable d’empathie et d’initiative.

 

  • Et pourquoi ce changement de nom ?

 

CL : Le mot « philanthropie » est magnifique, il signifie « amour de l’humanité », mais il est parfois perçu comme trop abstrait, voire élitiste. En 2023, le programme a été confié à France générosités, et nous avons choisi un nom plus direct, plus universel : l’École de la générosité. Il s’agit toujours d’apprendre à agir pour les autres, mais avec un langage plus accessible.

 

  • En quoi consiste cette école ? Quelle est sa finalité ?

 

CL : C’est avant tout une pédagogie de l’engagement. Nous voulons permettre à chaque enfant de vivre une première expérience concrète de solidarité. L’idée n’est pas seulement d’en parler, mais de la pratiquer, de la ressentir. À la fin du parcours, les élèves mènent un projet collectif au profit d’une association : collecte, action de sensibilisation, création artistique, événement local… Peu importe la forme, ce qui compte, c’est l’expérience vécue du faire ensemble.

 

Les 3 piliers : empathie, esprit critique, coopération

 

  • Comment apprend-on la générosité ? Quels sont les grands principes pédagogiques ?

 

CL : Trois valeurs fondent notre approche : 

- L’empathie, c’est-à-dire la capacité à se mettre à la place de l’autre et à agir en conséquence.

- L’esprit critique, car s’engager suppose de comprendre les causes que l’on défend.

- La coopération, parce que c’est ensemble qu’on développe le pouvoir d’agir.

Nos outils sont très concrets : un kit pédagogique clé en main à destination des enseignants, des fiches, des contes, des jeux de rôles, des débats et une plateforme numérique pour découvrir des associations partenaires sur tout le territoire.

 

  • Cela veut dire que chaque enseignant peut s’en emparer ?

 

CL : Exactement. C’est un programme ouvert, modulable, qui s’adapte aux niveaux et aux contextes. Nous accompagnons les enseignants, mais sans les contraindre : l’important, c’est qu’ils se sentent libres et soutenus.

 

Dans la classe de Jeannie : la générosité en pratique

 

  • Jeannie, vous avez mené ce projet dans votre classe. Comment cela s’est-il passé ?

 

Jeanie Fages : Je l’ai mis en place deux années de suite, avec mes élèves de CM1 et CM2 à Marly, près de Metz. Tout a commencé lorsqu’une collègue m’a parlé de ce programme. J’ai trouvé l’idée formidable : donner du sens, relier les élèves entre eux, leur faire découvrir ce qu’ils peuvent accomplir collectivement.

Au début, on travaille sur l’empathie : on regarde des images, on lit des contes, on discute des différences, de la solidarité. Les enfants réagissent beaucoup. Puis, on explore des thématiques à travers des revues de presse, des petits jeux de rôles. Tout est bien conçu, je n’ai presque rien à préparer.

 

  • Et comment avez-vous choisi le projet ?

 

JF : J’ai souhaité travailler avec une association locale, Les Amis de la Seille, qui agit pour la protection d’une rivière. Les enfants ont fait deux sorties sur le terrain : ils ont observé les oiseaux, la pollution, les déchets. Très vite, ils ont voulu agir. Ensemble, nous avons décidé d’écrire une chanson pour sensibiliser la population. L’INECC Mission Voix Lorraine nous a aidés à composer la musique et à enregistrer un clip vidéo. La mairie et le journal local ont relayé l’initiative.

 

  • Et la réaction des enfants ?

 

JF : De la fierté, de la joie, de l’enthousiasme. Ils avaient l’impression d’avoir fait quelque chose qui compte. Certains m’ont dit : “C’est la première fois que j’aide pour de vrai.” Je crois que c’est une phrase qu’on n’oublie pas quand on est enseignant.

 

Les effets : confiance, cohésion, respect

 

  • Avez-vous observé des changements concrets dans la classe ?

 

JF : Oui, clairement. L’ambiance a changé. Les élèves ont appris à coopérer, à écouter. Ceux qui étaient timides ont osé prendre la parole. Et puis j’ai vu naître une vraie solidarité. Par exemple, un élève souffrant de troubles du comportement a réussi à s’intégrer grâce au projet. Au début, il était isolé ; à la fin, il participait à tout, jouait avec les autres. Pour moi, c’était une victoire humaine.

CL : Ce que dit Jeannie, on le retrouve dans les témoignages d’autres enseignants. Notre étude d’impact montre qu’à la fin du projet, 75 % d’entre eux constatent une diminution nette des moqueries et des tensions dans la classe. L’expérience de la générosité, vécue collectivement, change la manière d’être ensemble.

 

  • Et les parents ?

 

CL : C’est variable, mais souvent positif. Certains se disent touchés de voir leur enfant s’impliquer. J’ai même eu des retours de parents qui, inspirés par leurs enfants, sont devenus bénévoles dans des associations locales.

 

Vaincre les obstacles du quotidien

 

  • Tout cela semble formidable, mais j’imagine que ce n’est pas toujours simple à mettre en place…

 

JF : Non, c’est un vrai engagement. Il faut du temps, surtout pour contacter les associations, organiser les sorties, suivre le projet. On le fait souvent en dehors des heures de classe. Beaucoup de professeurs aimeraient le faire, mais leur charge administrative est telle qu’ils renoncent.

CL : C’est un point que nous connaissons bien. Les enseignants sont sursollicités, et nous essayons de leur simplifier la vie au maximum. Le matériel est prêt, les séquences sont claires. Nous leur offrons un accompagnement humain, à distance, pour qu’ils ne se sentent jamais seuls.

 

  • Et côté institutions, tout est bien accueilli ?

 

CL : Globalement oui, mais il reste un enjeu d’agrément. Nous avons déjà obtenu des accords académiques, et nous attendons désormais un agrément national de l’Éducation nationale. Ce sera un vrai levier pour diffuser le programme à grande échelle.

 

Une ambition : faire croître le projet

 

  • Quelle est aujourd’hui l’ampleur du projet ?

 

CL : Nous travaillons actuellement avec une centaine de classes, soit environ 2 500 enfants. Cette année, nous visons 500 classes, et 1 200 l’an prochain. Pour cela, nous nous appuyons sur des relais académiques – inspecteurs, conseillers pédagogiques – et sur un partenariat avec Réseau Canopé, l’opérateur de formation de l’Éducation nationale.

 

  • Vous envisagez aussi d’aller vers les collèges ?

 

CL : Oui, c’est dans nos projets. Les collégiens ont besoin d’espaces d’engagement, mais les contraintes sont différentes : les enseignants ne voient pas les élèves toute la journée. Il faut inventer un autre format, peut-être plus court, mais tout aussi concret.

 

  • Et le financement ?

 

CL : Notre budget annuel est d’environ 500 000 euros, dont la moitié provient déjà de nos mécènes historiques et des membres de France générosités. Nous cherchons à sécuriser les 200 000 euros restants. L’essentiel du budget, c’est du temps humain : deux personnes dédiées à l’ingénierie et à l’accompagnement pédagogique, la coordination avec les associations, la création et l’envoi des supports.

 

Les héros du quotidien

 

  • Jeannie, en vous entendant, je me dis que les enseignants comme vous sont des héros du quotidien.

 

JF : (sourire) Je ne sais pas si je suis une héroïne, mais c’est vrai que ce genre de projet redonne du sens. Quand on voit les élèves s’épanouir, prendre confiance, coopérer, on se dit qu’on fait un métier essentiel. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est profondément gratifiant.

CL : Je partage totalement ce point de vue. Les enseignants qui s’engagent dans l’École de la générosité sont des passeurs. Ils sèment des graines d’humanité. Et dans la période que nous vivons, ces graines-là sont précieuses.

 

  • Vous parlez souvent de « refaire du commun ». C’est une belle expression.

 

CL : Oui, parce que c’est exactement ce que nous voyons se produire. Dans chaque classe, le projet crée un espace de dialogue, d’écoute et de coopération. C’est une petite école dans l’école, un lieu où l’on réapprend à se parler, à s’entraider, à se respecter. Et si les enfants vivent cela à dix ans, ils le garderont toute leur vie.

 

Une pédagogie de l’espérance

 

  • Quand on vous écoute, on a le sentiment que l’École de la générosité ne se contente pas de former des enfants généreux, mais qu’elle réenchante la mission même de l’école.

 

CL : C’est vrai. Nous voulons montrer que la générosité n’est pas une valeur annexe, mais une force éducative. Elle aide les enfants à grandir, à se construire, à se relier aux autres. Elle donne du sens aux apprentissages, et de l’espoir.

JF : Pour moi, c’est ça le plus beau : voir une classe se transformer. Au début de l’année, chacun est un peu dans son coin ; à la fin, ils forment une équipe. Ils découvrent que le collectif peut être une source de joie.

 

  • Et au fond, c’est peut-être cela, la véritable mission de l’école : apprendre à vivre ensemble.

 

CL : Oui. Dans un monde parfois fragmenté, la générosité réapprend la confiance. C’est une façon d’espérer, et de construire un avenir commun.

 

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