L’Océan, enjeu de survie pour l’humanité
L’océan est un exemple de l’immense bataille qu’il faut mener pour préserver notre environnement. Il concentre tout ce qui dégrade un espace essentiel à notre survie par la multiplicité des agressions diverses : climat, pollution, pêche, tourisme, exploitation abusive. La Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin 2025 devrait permettre d'installer une gouvernance partagée, acceptée et respectée par tous. La société civile y a un rôle essentiel, car elle met la pression pour obtenir des avancées significatives.

Un écosystème immense mais fragile
- Sabine Roux de Bézieux vous présidez la Fondation de la mer pouvez-vous nous faire un état des lieux ?
SRdB : L’océan est l’origine de la vie sur Terre et demeure le socle indispensable de l’équilibre planétaire. C’est grâce à lui que la Terre est habitable. Il couvre plus de 70 % de la surface de la planète, il abrite la majeure partie de la biodiversité mondiale grâce à sa structure tridimensionnelle qui s’étend sur des milliers de mètres de profondeur.
Il agit comme le grand régulateur du climat. Il faut rappeler que, notamment grâce au phytoplancton, il produit la moitié de l’oxygène primaire de la planète, absorbe entre 25 % et un tiers du CO₂ émis. L’Océan emmagasine également 90 % de l’excès de chaleur généré par nos activités humaines. Sans l’océan, il n’y aurait tout simplement pas de vie possible sur Terre.
Mais aujourd’hui, ce pilier du vivant est gravement menacé par :
- Le changement climatique
Il provoque deux bouleversements majeurs :
- d’une part, l’acidification des océans, liée à l’accumulation de CO₂, qui réduit le taux d’oxygène disponible ;
- d’autre part, le réchauffement des eaux, qui perturbe profondément les écosystèmes marins. Si certaines espèces mobiles peuvent migrer, les espèces fixées comme les coraux n’ont aucun moyen de se déplacer et sont les premières victimes. Ce réchauffement entraîne également une dilatation des océans, provoquant une montée du niveau de la mer, une érosion accrue des côtes et un risque accru de submersion, avec la disparition progressive de nombreux littoraux et des habitats associés.
- Une pression humaine croissante
Sur les écosystèmes marins et sur les habitats essentiels à la vie : herbiers de posidonie en Méditerranée, laminaires en Atlantique Nord, récifs coralliens tropicaux, mangroves côtières… Autant de milieux qui servent à la reproduction, à l’alimentation et à la protection des espèces. Leur destruction progressive entraîne l’effondrement des chaînes alimentaires marines. La pollution plastique. Aujourd’hui, 11 tonnes de plastique sont déversées chaque minute dans l’océan. Ils se fragmentent rapidement en micro- et nanoparticules, ingérées par les espèces marines, avec des conséquences biologiques encore mal mesurées. Ces plastiques circulent à travers le globe, transportant des bactéries et des contaminants d’un océan à l’autre.
- L’exploitation marine
Pour préserver la sécurité alimentaire mondiale car l’enjeu est aussi humain et économique : des centaines de millions de personnes dépendent directement ou indirectement de la pêche et des ressources halieutiques pour vivre.
- Quelle est le rôle de votre fondation ?
La Fondation de la Mer, créée il y a dix ans, agit pour la protection de l’océan. Elle lève des fonds auprès des particuliers, fondations et entreprises, puis avec l’appui de son conseil scientifique, elle :
- soutient des acteurs de terrain : associations, scientifiques, bénévoles qui œuvrent à mieux connaître, préserver et faire respecter la mer. Chaque année, ce sont plusieurs centaines de projets soutenus à travers tout le territoire : lutte contre les pollutions, préservation des espèces menacées, restauration d’écosystèmes littoraux, sensibilisation du grand public et élèves dans les écoles ;
- mène du plaidoyer à long terme, en participant à des coalitions, en produisant des études, en dialoguant avec les pouvoirs publics, en France, en Europe et à l’international, pour faire évoluer les cadres juridiques et règlementaires en faveur de l’Océan et des populations côtières ;
- favorise la recherche scientifique. L’Océan reste le milieu le plus méconnu de la planète. Sa profondeur moyenne atteint 3 500 mètres et la vie qu’il abrite reste largement inexplorée. C’est pourquoi nous soutenons activement la recherche marine, en attribuant des bourses à de jeunes chercheurs, en finançant des campagnes océanographiques, ou en accompagnant des travaux sur la biodiversité profonde ;
- mobilise le monde économique, nous avons conçu le premier référentiel (Ocean Approved,) permettant aux entreprises de prendre en compte et améliorer leur impact sur l’Océan. Appuyé sur l’objectif du développement durable n°14, il a été reconnu comme une meilleure pratique dans le cadre de la décennie des sciences de l’Océan. Nous animons des collectifs d’engagements d’entreprises pour intégrer l’océan dans les démarches RSE.
Les cétacés un indicateur de l’État de la biodiversité
- Hélène Labach vous dirigez l’association MIRACETI qui agit sur la préservation de l’écosystème marin en axant votre activité sur les cétacés en méditerranée. Vous avez obtenu par la Fondation de la mer le prix « engagée pour l'océan en 2025 ». Pouvez vous nous présenter votre organisation ?
HL : MIRACETI, fondée en 2020, est née de la fusion de trois structures historiques :
- le GECEM, pionnier de l’étude des cétacés en Méditerranée ;
- Souffleurs d’Écume, créateur du système anticollision REPCET et du label High Quality Whale-Watching, marque déposée par l’ACCOBAMS ;
- le GIS3M, un groupement scientifique fédérant les acteurs de la conservation.
Cette fusion visait à mutualiser les moyens humains, scientifiques et financiers, pour créer une structure plus robuste et interdisciplinaire. Aujourd’hui, MIRACETI agit sur l’ensemble du cycle de la conservation : recherche scientifique, appui aux politiques publiques, mise en œuvre de dispositifs de protection, et sensibilisation.
- Pourquoi les cétacés ?
La Méditerranée abrite huit espèces de cétacés résidentes, dont deux grandes : le rorqual commun (jusqu’à 20 m) et le cachalot. On y trouve aussi cinq espèces de dauphins et la baleine à bec de Cuvier. Ces populations sont endémiques, avec peu d’échanges avec l’extérieur et cinq sont en danger d’extinction.
Les cétacés jouent un rôle écologique majeur. Ce sont des bio-indicateurs particulièrement sensibles. Leur santé reflète celle des écosystèmes marins. Ce sont des prédateurs supérieurs : en les protégeant, on protège l’ensemble de la chaîne alimentaire. On commence à reconnaître leur rôle de puits de carbone : lorsqu’une baleine meurt, son corps peut couler en emportant plusieurs tonnes de carbone au fond de l’océan, créant des « îlots de vie ».
Lutter contre les menaces
Les menaces sont multiples. Ils sont affectés par la pollution chimique, les résidus plastiques, la diminution de leurs ressources alimentaires et les collisions avec les navires.
Le bruit est une pollution majeure pour eux qui utilisent le son pour se repérer, chasser, communiquer, se rencontrer. Le bruit ambiant (trafic, travaux) crée des effets de masquage, tandis que certains sonars militaires peuvent provoquer des blessures mortelles. Dans un océan devenu bruyant en permanence, ces espèces sont en danger.
Un dispositif existe actuellement pour les préserver : le sanctuaire Pelagos. C’est est une zone de 87 500 km², co-gérée par la France, Monaco et l’Italie. Ce n’est pas une aire d’exclusion, mais une zone d’accords pour limiter les impacts humains sur les cétacés. Elle fait partie d’une zone maritime particulièrement vulnérable (ZMPV) reconnue par l’OMI, qui s’étend du golfe du Lion au corridor de migration espagnol. Les recommandations y sont fortes mais non contraignantes.
Mesures à prendre
- Quelles sont les mesures à prendre ?
SRB : Des recommandations sont dans deux rapports que j’ai coprésentés au Conseil économique, social et environnemental (CESE) :
- un premier rapport qui a été voté, adopté à l'unanimité en février sur la Conférence des Nations Unies pour l'océan, l’ UNOC, (l'United Nation Ocean Conference) ;
- le deuxième, mi-mai, sur la question de l’adaptation à la montée des eaux en Outre-mer.
Pour l’UNOC il y a 21 préconisations dont les principales sont :
- Mettre en place une gouvernance renforcée. La gouvernance de l'Océan est éclatée entre toute une série d'agences de l’ONU, qui s’occupent chacune d’un aspect de l’Océan. Le CESE propose donc de renforcer la "diplomatie bleue" de la France pour promouvoir une gouvernance cohérente et pour faire ratifier des traités cruciaux comme celui sur la haute mer.
- Renforcer les aires marines protégées, non seulement sur le papier, mais dans leur application réelle.
- Intégrer systématiquement l’océan dans les stratégies climatiques nationales.
- Faire évoluer les normes logistiques et industrielles (trafic maritime, pêche, exploitation des ressources sous-marines).
- Favoriser la meilleure connaissance des enjeux de l’Océan par tous afin qu’ils soient mieux pris en compte, notamment à travers l’éducation.
HL : Sur le terrain, il est urgent d’encadrer la pollution sonore, d’imposer des seuils de bruit admissibles dans certaines zones critiques, et de mieux baliser les couloirs de migration. Les outils existent. Il faut juste les institutionnaliser, les financer, et les intégrer dans la réglementation maritime internationale.
Nous plaidons aussi pour une meilleure mutualisation des données scientifiques et marines, afin de disposer d’un tableau de bord clair et partagé de l’état de santé des écosystèmes marins.
- Quelles sont les mesures prioritaires ?
SRdB : Il faut aller vite.
- Protéger efficacement les aires marines existantes, avec des moyens réels. Intégrer l’océan dans toutes les politiques climatiques et biodiversité, y compris dans les contributions déterminées au niveau national des pays signataires de l’Accord de Paris (NDCs).
- La prise en compte des enjeux marins et aquatiques: La CSRD européenne sur le reporting extra financier comprend une section sur les ressources marines et aquatiques (ESRS3) ; nous espérons que de nombreuses entreprises vont s’en saisir pour réduire leurs impacts sur les milieux marins, dont elles ne comprennent pas toujours le lien avec leurs activités.
La Fondation de la Mer a publié une étude avec 89 recommandations sur la pêche illégale, dont une partie a été prise en compte par l’État. Notre approche est de contribuer à faire évoluer les politiques publiques tout en agissant concrètement sur le terrain.
Rôle des acteurs de la société civile
- Quel est le rôle des acteurs de la société civile ?
SRdB : Ils sont incontournables. Des collectifs comme Surfrider Foundation Europe, Les Mains dans le Sable, Wings of the Ocean, Bloom, ou Projet Azur jouent un rôle essentiel : nettoyages de plages, mobilisation sur les réseaux, formation à la culture océanique, veille environnementale, etc. La Fondation de la Mer soutient de nombreux acteurs de terrain, pour les aider à mettre en œuvre leurs projets à impact.
Ces initiatives locales et nationales font émerger une culture océanique partagée. Elles interpellent les décideurs et entretiennent une dynamique militante absolument nécessaire. Elles montrent que chacun peut agir, à son échelle.
Depuis la COP21 en 2015, où l’Océan a été reconnu pour la première fois comme écosystème-clé dans l’accord de Paris, les acteurs engagés pour sa protection ont renforcé leur coordination. En France, cela s’est traduit par la création de collectifs tels que :
- La Plateforme Océan & Climat, elle est devenue un acteur de référence, elle structure le plaidoyer scientifique et politique à l’échelle internationale avec un rôle de plaidoyer fort, notamment à l’ONU et à l’UNESCO. Elle produit aussi des contenus de sensibilisation et coordonne les messages scientifiques.
- Le Comité France-Océan, animé par le ministère de la Mer, qui facilite la coordination entre institutions, ONG et experts.
- l’Ocean Coalition, qui regroupe surtout 177 ONG de terrain et d’action directe et présente 20 propositions qui rejoignent celles des autres acteurs.
- Un Esprit de Famille a lancé un appel à l’engagement pour l’Océan, avec le soutien de la Fondation de la Mer, du Centre Français des Fonds et Fondations, l’Admical, le Collectif de Transition Écologique de la Fondation de France, la Fondation du Patrimoine et la Fondation Terre Solidaire. À ce jour, plus de 50 fondations ont signé.
La Fondation de la Mer se positionne comme une structure de soutien stratégique, œuvrant à rassembler et à amplifier l’action de nombreux acteurs engagés pour l’avenir de l’Océan.
Propositions pour la Conférence de Nice (2025)
- Que souhaitez-vous obtenir ?
SRdB : Cette conférence est nécessaire car sont présents des parties prenantes dont les intérêts ne sont pas convergents et qui ne peuvent se rapprocher que par la discussion et la mise en place d’accord internationaux.
Il faut :
- Un sursaut politique majeur.
La Conférence des Nations Unies sur l’Océan ne doit pas être une conférence de plus. Il faut urgemment renforcer la gouvernance de l’Océan, aujourd’hui éclatée : La FAO s'occupe des questions de pêche, le PNUE de l'environnement qui discute en ce moment un traité international contre la pollution plastique, l'Organisation Maritime Internationale du transport maritime, la Direction pour le Droit de la Mer à l'ONU, L’OMC organisation mondiale du commerce, etc.
- Obtenir une ratification rapide de l’accord BBNJ par au moins 60 pays, première étape vers une future COP Océan.
- Obtenir une pause de précaution ou un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins alors que l’Autorité internationale des fonds marins travaille sur l’élaboration d’un code minier.
- Reconnaître l’océan comme bien commun mondial.
- Faire le point sur les financements existants dans les agences de l’ONU et évaluer leur efficacité pour les attribuer et les piloter au mieux.
- Encourager la création de l’IPOS (international Platform for Ocean sustainability) qui proposera des études scientifiques comme aide à la décision pour les États.
- Des recommandations opérationnelles aussi ?
SRdB : Oui, plusieurs. Il faut une définition mondiale claire des aires marines protégées (AMP), avec l’adoption de la définition de l’IUCN. Par exemple, en France, certaines AMP autorisent encore le chalutage, y compris dans leur cœur de pars, ce qui est contradictoire avec l’idée même de protection. C’est un engagement fort que la France doit porter également à l’international.
- La pêche illégale est également un enjeu central ?
SRdB : Absolument. La Fondation de la Mer a publié une étude avec des recommandations concrètes, inspirées de la stratégie "Al Capone", pour traquer les contrevenants par le droit fiscal ou douanier. C’est un fléau mondial qui vide les océans de leur vie.
HL : Nous plaidons pour la création d’une trame bleue mondiale, un maillage cohérent d’aires marines réellement protégées, avec des corridors de circulation pour les espèces, reliés entre eux.
Et aussi pour un indice mondial de santé de l’océan, mis à jour chaque année, transparent, scientifique, accessible. Car ce qu’on mesure, on le protège mieux. Nice peut — et doit — être un tournant historique.
Propos recueillis par Francis Charhon