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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 16 juin 2025 - 16:40 - Mise à jour le 16 juin 2025 - 17:30
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La désaffection pour les sciences, un désastre pour notre pays

La part des filles dans les études scientifiques décroit à mesure de leur avancée dans la scolarité, c’est donc un enjeu national. Dans de nombreux secteurs de l’enseignement, les acteurs de la philanthropie, bénévoles, associations, fondations, apportent une contribution significative en accompagnant les élèves et les enseignants. Cette rencontre montre que l’initiative privée est utile et nécessaire pour compléter les dispositifs d’État, et pour tenter de combler le retard et la chute des vocations scientifiques.

Mohamed Alili, professeur de mathématiques en charge des parcours Avenir, et Hélène Chahine, déléguée générale de la Fondation CGénial
Mohamed Alili, professeur de mathématiques en charge des parcours Avenir, et Hélène Chahine, déléguée générale de la Fondation CGénial

Une fondation engagée pour la promotion de l’enseignement scientifique notamment chez les filles

 

FC : Hélène Chahine vous êtes la déléguée générale de la Fondation CGénial, quel est l’objet de la Fondation ?

Hélène Chahine : CGénial, fondée en 2006 par 6 entreprises industrielles, sous l’impulsion de Claudie Haigneré, est une fondation reconnue d’utilité publique. Elle vise à promouvoir les sciences, les techniques et le numérique auprès des collégiens et lycéens, en lien étroit avec les enseignants. Nous intervenons partout en France, dans le cadre d’une convention avec l’Éducation nationale, ce qui facilite notre collaboration avec les rectorats. Nous ne sommes pas sous tutelle, mais cette convention cadre renforce notre légitimité et notre visibilité auprès des institutions scolaires.

FC : Quelle était l’idée de départ de la fondation CGénial ? Un manque d’intérêt pour les sciences ?

HC : Oui, dès sa création, CGénial répondait à une double alerte :

  • une baisse de l'appétence des élèves pour les sciences et les techniques
  • une très faible présence des filles dans ces filières

Les entreprises fondatrices craignaient un appauvrissement du vivier de talents. Elles étaient soucieuses que l’esprit de curiosité, d'ingénierie perdure et que demain elles puissent toujours à trouver des talents pour transformer le monde. (Voir classement PISA)

FC : Quelles sont les valeurs qui vous portent ?

HC : D’abord l’engagement, tous les acteurs de la fondation, comme les enseignants, sont très investis. Ensuite, l’ingéniosité, qui reflète notre volonté d’agir concrètement, de rechercher des solutions, avec curiosité et créativité, l’enthousiasme, la générosité et l’ouverture, notamment entre le monde de l’école et celui de l’entreprise.

En quelques chiffres cela donne : 200776 élèves bénéficiaires, 6008 membres de l’éducation nationale participants, 9461 ingénieurs et techniciens engagés, 127 entreprises impliquées.

 

Une désaffection mesurable

 

FC : Cette désaffection est-elle mesurable ?

HC : Tout à fait. Si la France n’est pas en pénurie d’ingénieurs, on n’est pas non plus en surplus. Les spécialités comme les sciences de l’ingénieur ou du numérique attirent peu d’élèves. Ces matières restent perçues comme élitistes, voire peu attractives. (Voir encart). Les filières techniques et professionnelles sont globalement dévalorisées, y compris dans les secteurs porteurs comme l’industrie ou le numérique, alors même qu’ils offrent de vraies perspectives d’avenir. Selon l’institut Montaigne l’économie française devra recruter près de 100 000 ingénieurs et techniciens nets par an d’ici 2035

FC : Parmi l’ensemble de vos actions pour sensibiliser vous proposez des programmes comme Yes We Code! avec des cartes programmables ?

HC : Oui, c’est un programme pour initier les élèves au numérique de manière ludique. Il s’agit de leur faire gagner en confiance. Au lieu de parler de "code", on leur propose de résoudre un problème concret : cela les engage davantage et les pousse à expérimenter.

Mais plus largement La Fondation CGénial propose tout au long de l’année scolaire un parcours de rencontres en ligne, pour les élèves du secondaire, avec des professionnels des domaines scientifiques, techniques et du numérique. Chaque rencontre virtuelle permet aux élèves de découvrir une palette de métiers et de secteurs variés autour d'un thème en particulier. Nous coordonnons aussi le dispositif P-TECH (Pathways to Technology – Chemins vers la Technologie), piloté par le ministère de l’Education nationale. L’ambition de ce projet est d’accompagner des élèves pendant 5 ans, de la seconde professionnelle à l’obtention de leurs BTS, à travers des sessions de mentorat. Ce dispositif met en place un partenariat entre lycées professionnels et entreprises pour préparer les élèves aux métiers de demain. Il leur apporte des compétences clés et renforce leur insertion professionnelle ou la poursuite de leurs études. Les élèves P-TECH intègrent le programme sur des critères de motivation et d’égalité des chances.

FC : Mohamed Alili vous êtes professeur de mathématiques au collège de la ville de Frouard en Lorraine en charge des parcours Avenir. Quel est votre constat?

MA : Le niveau en maths baisse, comme l’indique le classement PISA. Beaucoup d’élèves arrivent au collège avec des lacunes, car les professeurs des écoles sont souvent peu formés en maths. Sans bases solides, les sciences deviennent vite rebutantes. Il y a donc des efforts pour inverser la tendance, mais les effets se feront sentir sur le long terme.

 

Sortir de l’école pour sensibiliser aux métiers scientifiques

 

FC : L’Éducation nationale investit davantage sur les maths ?

MA : Oui, car on prend conscience que sans maths, il est difficile de former des ingénieurs ou techniciens dont on aura un besoin criant. Dans le cadre des parcours Avenir, j’organise des visites d’entreprises et fais intervenir des professionnels, souvent grâce à CGénial. Cela donne des repères concrets.

FC : Et les stages de 3e ?

MA : On essaie de sortir les élèves des stages dans leur environnement immédiat (pharmacies, grandes surfaces) pour leur faire découvrir d'autres métiers qui ont des bases scientifiques, mais cela suppose une logistique complexe, notamment pour les transports.

FC : CGénial aide-t-elle à ce niveau ?

HC : Jusqu’ici, notre rôle était surtout d’ouvrir des portes via les enseignants. Pour aider les élèves à trouver des stages nous développons une plateforme, CGénial Connect, pour centraliser des offres de stages de nos entreprises partenaires, en complément de dispositifs publics comme 1 jeune, 1 solution.

FC : Vous vous adressez aussi aux enseignants ?

HC : Oui, nous organisons des visites réservées aux enseignants, sans élèves. L’objectif : leur faire découvrir la réalité de l’entreprise, pour qu’ils puissent mieux en parler à leurs classes. Grâce à nos visites les enseignants accroissent leurs connaissances de l’entreprise et leur perception d’une industrie (souvent vue comme vieillotte) change.

FC : Mohamed, quel est l’intérêt pour un enseignant de visiter une entreprise ?

MA : Pour comprendre ce qu’on transmet car on ne peut pas parler d’un métier que l’on ne connaît pas. Beaucoup d’enseignants n’ont jamais travaillé hors de l’Éducation nationale. Ces visites sont donc précieuses.

FC : Hélène, comment faites-vous connaître ces actions ?

HC : Nous passons par les rectorats. Dans certaines académies, nos visites sont intégrées au plan académique de formation, ce qui facilite l’inscription. Sinon, cela dépend de la disponibilité des enseignants. Une fois inscrits sur notre plateforme, ils reçoivent toutes les infos par mail.

 

Un enseignant volontaire, motivé et admirable

 

FC : Cela se fait donc sur leur temps libre ? Mohamed, dans votre académie, les visites d’entreprise sont-elles intégrées au plan de formation des enseignants ?

MA : Non, malheureusement, ce type de formation dépend des rectorats. De mon côté, je m’investis en dehors des heures de cours, notamment grâce au concours CGénial, que j’organise avec mes élèves sur la pause de 12h45 à 13h30.

Il est devenu le fil conducteur de mon accompagnement. C’est un cadre motivant pour les élèves, car il s’appuie sur un projet concret à mener sur l’année. On choisit un sujet, on l’explore, on construit ensemble. En parallèle, j’organise des visites d’entreprises ou de laboratoires en lien avec le projet. Et j’essaie aussi d’y intégrer les mathématiques.

HC : Le concours CGénial existe pour les collèges et les lycées. Il permet aux élèves de développer un projet scientifique ou technique en équipe. À la fin de l’année, ils le présentent devant un jury académique. Les lauréats participent à la finale nationale, organisée dans des lieux emblématiques comme le musée de l’Air et de l’Espace ou la Cité des sciences. L’idée, c’est de valoriser l’oral, la démarche scientifique, la curiosité.

 

Faire vivre le collectif

 

FC : Donc il ne s’agit pas seulement de "gagner", mais de construire une démarche pédagogique différente ?

HC : Exactement. Le concours est un prétexte pour faire de la science autrement. C’est une aventure collective, où les élèves prennent la parole, répondent à un jury, se sentent légitimes. Les projets ne sont pas “juste” scientifiques ou techniques. Ils mobilisent des compétences variées : en technologie, en mathématiques, en SVT, mais aussi parfois en histoire, en géographie, en design, en communication, en langues, et même en philosophie ou en art. C’est cela qui rend les projets aussi riches, aussi originaux, aussi ancrés dans le réel, souvent pour répondre à des problématiques sociales, sociétales et environnementales.

MA : Cette année, j’ai une trentaine d’élèves issus de cinq classes. L’année prochaine, nous comptons lancer deux projets. Nous avons volontairement ciblé les élèves de 4e, pour qu’ils poursuivent en 3e. Cela permet un travail de fond sur deux années.

FC : Ce type d’engagement demande du temps. Êtes-vous seul à porter cela dans votre collège ?

MA : Jusqu’ici, oui. J’ai découvert CGénial il y a seulement trois ans. J’aurais aimé le connaître plus tôt. Mais pour l’année prochaine, un collègue de mathématiques va me rejoindre. On sent que les élèves sont motivés, et cela donne envie à d’autres enseignants de s’impliquer. C’est cette dynamique que j’essaie de construire, malgré les contraintes de temps, de moyens ou de transport. Et cela commence à porter ses fruits.

FC : Vous allez souvent sur le terrain rencontrer les professeurs, Hélène ?

HC : J’essaie car le contact est essentiel, mais ce sont surtout les membres de mon équipe et les responsables en régions qui s’en chargent. Ils appellent, relancent, cherchent… Ce ne sont pas des agents de liaison, ce sont des partenaires. Ils font ce qu’ils peuvent pour accompagner les enseignants.

FC : Vous connaissiez Mohamed avant cette interview ?

HC : Non, pas personnellement. Mais je pense qu’il connait Laurent Lavanoux, notre délégué sur la région Grand-Est ?

MA : Bien sûr ! Laurent, c’est une perle. Il m’a appelé plusieurs fois pour m’aider à trouver des intervenants. Et il est même venu en classe pour partager son parcours. C’est ce genre de contact humain qui fait la différence.

 

Le financement

 

FC : Parlons un peu budget. Vous avez un fonctionnement à 2 millions d’euros ?

HC : Oui. Un peu plus de la moitié est dédiée aux salaires. Une grosse partie pour financer les kits Yes We Code ! que nous prêtons aux enseignants et les subventions données aux projets pour le concours CGénial. Côté recettes, 73 % viennent du mécénat privé – entreprises et fondations. 17 %, c’est la taxe d’apprentissage, que les entreprises peuvent flécher vers des structures comme la nôtre. Et enfin 10 %, ce sont des subventions publiques.

FC : Et chaque année, il faut recommencer ?

HC : Exactement. Il faut sans cesse convaincre, faire des bilans, renouveler les partenariats, chercher de nouveaux mécènes. Ce n’est pas simple. Le gâteau reste le même, mais on est de plus en plus nombreux à vouloir en prendre une part…Nous avons de la chance d’avoir des partenaires fidèles.

FC : Mohamed, de votre côté, comment vous financez les projets ?

MA : C’est compliqué. On reçoit un petit soutien matériel pour le concours CGénial, mais pour les déplacements, les visites, il faut aller chercher ailleurs. En tant que collège, on ne peut pas solliciter n’importe qui. Comme j’ai aussi un rôle de référent Cordée de la Réussite, ce qui permet parfois de financer un bus, mais même ce type de budget se réduit.

FC : Vous êtes donc, vous aussi, dans une logique de dossiers, de demandes ?

MA : Oui. Des formulaires à remplir, des justificatifs… et souvent pour obtenir quelques centaines d’euros. Mais sans ça, on ne fait rien.

HC : Il faut dire que les kits Yes We Code! que nous prêtons représentent un vrai soutien. Ils comprennent plusieurs cartes microbit, des capteurs, du matériel pédagogique. On lève des fonds pour pouvoir les proposer gratuitement en prêt aux établissements. Les écoles les conservent tant qu’ils les utilisent et l’on en récupère car ils servent d’année en année. C’est une vraie valeur ajoutée.

FC : Merci de nous avoir donné la réalité des difficultés de l’enseignement et montré comment vous agissez avec enthousiasme et engagement. On peut espérer que cette rencontre donnera des envies de développer des nombreuses initiatives au profit de la science

 

 

Le besoin de scientifiques : des constats, des actions en cours, des attentes pour l’avenir

 

📉 Une désaffection globale pour les sciences  

 

Lire le rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

  • Depuis une quinzaine d’années, les filières scientifiques perdent en attractivité chez les lycéens.
  • Les réformes du lycée (notamment celle de 2019 avec la disparition des séries S, ES, L) ont modifié les parcours, mais n’ont pas réellement enrayé la baisse du nombre d’élèves suivant des enseignements de spécialité comme :
    • Mathématiques ; 
    • Sciences de l’ingénieur ; 
    • Sciences informatiques / NSI.

Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale (2023) :

  • Seuls 37 % des élèves de terminale suivent la spécialité mathématiques (vs 50 % en 2018).
  • La spécialité sciences de l’ingénieur est suivie par à peine 3 % des élèves, très majoritairement des garçons.

 

🚺 Des filles toujours sous-représentées

 

  • La sous-représentation des filles dans les filières scientifiques reste marquée :
    • En NSI (Numérique et Sciences Informatiques) : seulement 15 % de filles.
    • En Sciences de l’Ingénieur : 11 % de filles.
    • En classes préparatoires scientifiques : environ 30 % (et moins dans certaines filières comme MP/MP*).
  • Pourtant, les filles réussissent aussi bien, voire mieux que les garçons dans les matières scientifiques au collège et au lycée.

👉 L’enjeu n’est donc pas une question de capacité, mais de représentations sociales, de manque de modèles féminins, de stéréotypes de genre ancrés dès le plus jeune âge.

 

⚠️ Pourquoi cette situation ?

 

  1. Stéréotypes persistants : les sciences perçues comme masculines, abstraites, « pas faites pour les filles ».
  2. Manque de figures inspirantes : peu de femmes mises en avant dans les médias ou les programmes comme scientifiques ou ingénieures.
  3. Orientation genrée : les filles sont encore orientées, parfois inconsciemment, vers des filières littéraires ou de soin.
  4. Manque d’attractivité des sciences dans leur présentation pédagogique (peu de liens avec des enjeux concrets ou sociaux).

 

🛠️ Ce qui est mis en place (mais reste insuffisant)

 

  • Plan maths et sciences lancé en 2022 pour revaloriser les disciplines scientifiques.
  • Rétablissement des mathématiques obligatoires en Première (2023).
  • Actions spécifiques pour les filles, comme :
    • Des programmes de mentorat (« Elles bougent », « Femme & Sciences »),
    • Des concours ou ateliers dédiés,
    • Des campagnes d'information ciblées.

 

Ce qu’il faudrait renforcer

 

  • Former les enseignants à la déconstruction des stéréotypes de genre.
  • Multiplier les projets concrets et pluridisciplinaires pour rendre les sciences plus attrayantes.
  • Valoriser davantage les parcours scientifiques féminins.
  • Mieux accompagner l’orientation dès le collège.
  • Créer un récit positif et inclusif des métiers scientifiques et techniques.

 

 

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