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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 7 avril 2025 - 18:00 - Mise à jour le 8 avril 2025 - 11:55
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La philanthropie au côté de la démocratie

La démocratie est sous tension face à l’ombre grandissante de l’autoritarisme. Nous vivons un moment charnière. Le « grand chambardement » orchestré par certains dirigeants à travers le monde ne relève pas simplement d’un changement de cap politique. Il marque un basculement idéologique. Ce qui était encore récemment inacceptable est désormais toléré, banalisé, parfois même revendiqué. Les fondements de la démocratie sont frontalement attaqués ou minés par grignotage, par inversion de ses principes, par la banalisation des dérives dans le langage quotidien.

Crédit : iStock, Richard Villalon
Crédit : iStock, Richard Villalon

Des institutions piétinées, des discours durcis

 

Dans des pays de plus en plus nombreux, les institutions, socles de nos démocraties sont fragilisées de l’intérieur. Les minorités sont stigmatisées, les administrations dénigrées, la justice attaquée dans ses fondements. Dans ce contexte, les discours deviennent violents, décomplexés, clivants. Ils visent à imposer une logique autoritaire, à faire taire les voix critiques, à délégitimer la contradiction. Ce climat favorise une recomposition idéologique autour de l’histoire. Des mots sont interdits, les bibliothèques sont vidées, au nom d’un wokisme rigide ou sous la pression de l’extrême droite identitaire. Le tout présenté comme un rééquilibrage ou une reconquête d’ordre. Dans tous les cas, on efface ce qui dérange au lieu de débattre ou de contextualiser. L’histoire devient un instrument de contrôle idéologique, alors qu’elle devrait rester un levier critique. La science et la culture sont elles aussi attaquées ou niées. La démocratie libérale, inclusive et pluraliste est présentée comme naïve, dépassée, incapable d’assurer l’autorité.

 

Cette dynamique toxique n’épargne pas la France

 

L’air du temps change ici aussi. Les signaux sont clairs :

  • L’extrême droite banalise le rejet des migrants, des musulmans, en le présentant comme une exigence de sécurité ou d’identité nationale.
  • La France Insoumise (LFI), laisse se multiplier des propos antisémites dans ses rangs ou dans ses soutiens, sous couvert de critiques politiques ou géopolitiques.

 

Dans les deux cas, ces dérives participent à une normalisation de la haine, à une légitimation de la stigmatisation de « l’autre ». Chaque sujet devient explosif, chaque débat un champ de bataille. Le dialogue rationnel cède le pas à l’hystérisation favorable au développement du sentiment de peur et de rejet de l’autre. C’est amplifié, sinon conduit, par des médias, par les réseaux sociaux – français, russes ou autres – qui désinforment, inondent de fake news, radicalisent et fracturent l’opinion publique. Certains partis ou figures politiques revendiquent de plus en plus ouvertement la nécessité d’un pouvoir fort, voire autoritaire. Et une part croissante de la population semble y être réceptive.

 

Faire face, un enjeu urgent et existentiel

 

Les premières à subir cette mutation sont certaines organisations de la société civile qui travaillent sur la migration, sur le climat, sur les droits humains. Elles font face à :

  • des pressions judiciaires,
  • des obstacles administratifs,
  • des campagnes de discrédit,
  • parfois des menaces.

 

Dans ce climat, la liberté de la presse se fragilise. Aujourd’hui, la défiance et la confusion informationnelle alimentent la tentation des extrêmes. Quand la démocratie cède à l’autoritarisme, les libertés s’éteignent progressivement, voire brutalement. Il est faux de croire que l’arrivée de l’extrême droite serait une étape parmi d’autres, une simple alternance. L’histoire des années 30 et actuellement celle de certains pays nous rappelle ce qu’il en coûte de laisser faire.

 

Le rôle déterminant de la philanthropie

 

Dans ce contexte troublé, la philanthropie avec ses acteurs, associations, fondations, donateurs, bénévoles, qui fondent leurs actions sur l’humanisme et l’intérêt général, ne peuvent rester silencieux. Certes il est ambitieux de penser que la philanthropie sauvera la démocratie mais elle peut s’engager avec ses moyens et ses valeurs. Elle doit affirmer son rôle dans la défense des droits, de la solidarité, de la démocratie vivante. En effet, cette-dernière ne se résume pas à un bulletin dans l’urne. Elle suppose du lien, de la solidarité, du respect et que l’on continue à parler, à écouter, à apprendre ensemble.

Elle peut agir à plusieurs niveaux :

  • Apaiser les souffrances sociales, lutter contre l’isolement et la dégradation de l’environnement ; 
  • Retisser les liens, faire revivre les communautés locales, pacifier les rapports sociaux ; 
  • Donner à chacun un pouvoir d’agir, au-delà du simple droit de vote ; 
  • Valoriser la science et la culture.

 

Mais attention tous ne mènent pas le même combat. La philanthropie, elle-même, peut être instrumentalisée à des fins idéologiques comme le projet Périclès une initiative structurante de la Fondation du Bien Commun, qui, sous des dehors consensuels, a une visée claire : restreindre les libertés au nom du « bien » supposé visant à « refonder la démocratie » en s’appuyant sur des piliers éducatifs, culturels et spirituels, autour de valeurs conservatrices. Ce projet se veut un "écosystème de reconquête culturelle", avec une ambition assumée : répondre au déclin des repères communs dans la société française. Il en est de même d’associations, parfois violentes, qui portent des projets extrémistes visant à imposer le chaos et des valeurs de haine et d’exclusion.

 

Le lien social comme mère des batailles

 

La démocratie se fragilise, quand le lien social se délite, quand les citoyens se sentent seuls, déclassés, invisibles, perdus au milieux de débats qui ne prônent que des solutions radicales. L’isolement est un des principaux facteurs de vulnérabilité. Il rend les individus plus réceptifs aux logiques de peur, aux récits de violence, aux discours extrêmes. Ce sentiment de fragilité n’épargne pas les zones les plus calmes : dans de nombreuses campagnes paisibles, la peur est là, diffuse sans cause directe, elle s’alimente dans un climat général anxiogène. C’est le champ d’action des partis qui leur font des promesses illusoires et démagogiques. (Voir étude de Destin Commun).

Les difficultés sont majeures mais il faut les regarder en face et refuser les fausses solutions. Parler, débattre, construire des projets en commun, recréer du lien dans les villages, les quartiers, redonne de la respiration à la société. Mais aujourd’hui, la nuance semble un luxe, tant le débat est polarisé. Et pourtant, elle est plus nécessaire que jamais.

 

Des associations en première ligne… mais sur deux fronts

 

Dans ce contexte, le rôle des associations devient crucial alors qu’elles font face à une crise de financement structurelle. Devant l’incertitude actuelle il est urgent de mobiliser davantage de citoyens et d’impliquer plus fortement les TPE et PME (ADMICAL).

Mais la majorité des associations ne vit pas des dons : elles dépendent de subventions publiques, elles-mêmes soumises à de profondes évolutions.

  • L’État privilégie désormais les appels à projets, qui contraignent les associations à adapter leurs actions à des critères parfois éloignés de leur mission.
  • Les collectivités locales, confrontées à des restrictions budgétaires, réduisent leurs soutiens.

 

Cette dynamique n’épargne pas les structures locales : nombreuses sont les associations contraintes de réduire leur activité, voire de fermer. Chaque disparition est une perte pour la cohésion sociale, comme la fermeture d’une usine l’est pour un territoire. Derrière chaque association qui s’éteint, c’est une partie de la population qui se retrouve livrée à elle-même avec le risque de glissement vers des comportements hostiles, désabusés, voire radicalisés.

 

La philanthropie : un levier démocratique stratégique toujours sous-estimé

 

Dans les périodes de tension, partout des associations ont montré qu’elles savaient retisser du lien, créer de la solidarité, réanimer la parole publique. C’est une force sociale sans équivalent. Leur travail, pourtant vital pour la démocratie, est insuffisamment reconnu. Il devient nécessaire que l’État, principal financeur de l’intérêt général en France, s’interroge sur la cohérence de ses choix budgétaires et sur l’absence de vision stratégique pour ce secteur. Ses financements sont des investissements pour l’avenir.

 

Une mobilisation collective indispensable

 

Les fondations privées engagées pour une société ouverte, tolérante, participative, seules, ne pourront combler les déficits de financements publics. Mais elles doivent prendre toute leur part dans cette bataille pour le lien et la cohésion sociale, en s’engageant le plus fortement possible. Face à la montée des extrêmes, à la diffusion de discours réactionnaires bien financés, structurés et médiatisés, les réseaux philanthropiques n’ont plus le luxe de l’inaction. La démocratie ne se défendra pas toute seule. Ceux qui cherchent à l’affaiblir avancent, organisés. Il serait naïf de croire qu’il s’agit là d’épiphénomènes. Il faudra mobiliser, construire des alliances entre fondations, avec les associations, les collectivités locales, les entreprises et l’État s’il le souhaite. Il faudra de la coordination, des moyens, de la ténacité pour ouvrir les chantiers nécessaires et entrer pleinement dans le débat public. Les réseaux philanthropiques français, européens, internationaux peuvent jouer un rôle-clé, dans une stratégie partagée. Laisser faire, détourner les yeux, espérer que tout s’arrange, ce serait accepter le pire.

 

L’espoir comme point d’horizon

 

Tout cela peut sembler être un vœu pieux. C’est aujourd’hui une bataille titanesque, mais essentielle pour éviter l’arrivée d’un modèle autoritaire, vertical, excluant. Ce combat sera long, difficile, mais il est indispensable pour garantir un avenir où chaque citoyen pourra, dans un cadre démocratique apaisé, vivre en paix, dans la dignité et la liberté. L’espoir existe il demande du courage. Ne baissons pas les bras et faisons vite.

 

Francis Charhon 

 

 

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