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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 25 juin 2025 - 17:09 - Mise à jour le 25 juin 2025 - 17:10
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La ruralité, un espace de vie et d’action face aux difficultés

La ruralité souffre aujourd’hui d’une invisibilisation et d’une vision déformée de sa réalité dans l’espace politique, médiatique et culturel. Cette rencontre nous montre pourtant combien la vie dans la ruralité est vivace et innovante. Les problèmes y sont nombreux, mais il s'y développe de multiples initiatives pour faire face aux difficultés. Les acteurs de la philanthropie, en relation avec les collectivités locales, savent multiplier les projets et surtout les relier les uns aux autres pour leur donner plus de sens, d’ampleur et d’efficacité.

Cécile Daclin, déléguée générale de la Fondation RTE, et Vanessa Couvreux-Chapeau, directrice de l'association Habit'âge
Cécile Daclin, déléguée générale de la Fondation RTE, et Vanessa Couvreux-Chapeau, directrice de l'association Habit'âge

Une fondation en soutien des actions en ruralité

 

 

Cécile Daclin Bodet (CDB) : La Fondation RTE a été créée en 2008 avec cette mission singulière de soutenir les ruralités. Une décision motivée par l’implantation de son entreprise fondatrice dont 90 % du réseau traverse des territoires ruraux. Elle a pour objet de soutenir la cohésion sociale dans les campagnes. Ce sont des espaces que l’on connaît bien puisque les ouvrages de RTE (postes et lignes électriques) sont présents dans une commune sur deux.

Lors de sa création, aucune autre fondation n'était dédiée à la ruralité, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Il nous a paru important de travailler sur ce thème d’autant que de très nombreuses équipes de maintenance de RTE y travaillent.  Il nous semblait nécessaire d’accompagner ces territoires souvent invisibilisés par les politiques publiques, en soutenant des projets d’économie sociale et solidaire favorisant la cohésion.

Notre fondation est présidée, depuis début 2025 par Xavier Piechaczyk, président du Directoire de RTE.  Un signal fort qui traduit la volonté du fondateur d’aligner sa vision des territoires, qu’il s’agisse de son “cœur de métier” (la transition énergétique) que de l’action de sa fondation.

 

Un fonctionnement innovant pour soutenir les associations

 

  • Comment fonctionne la fondation?

 

CDB : Notre équipe est à Paris, mais nous avons des correspondants dans les sept grandes régions RTE.  Ils sont le point de contact de proximité pour les associations qui souhaitent nous solliciter. Celles-ci peuvent nous contacter librement, nous n’avons pas d’appel à projets, c’est l’une de nos spécificités.

Ainsi, une association en Auvergne-Rhône-Alpes va d'abord contacter notre correspondant régional qui va lui expliquer nos premiers critères, c'est-à-dire la ruralité, le soutien à des projets portés par des collectifs ancrés  localement, être une association loi 1901, avoir un modèle d’économie sociale et solidaire, et que la fondation ne soit pas le seul financeur sollicité. . Surtout les initiatives doivent répondent aux besoins spécifiques des territoires ruraux. Si le projet répond à ces premiers critères, un instructeur bénévole (un salarié retraité de RTE) ira à la rencontre de l’association pour évaluer son projet. Son rapport sera ensuite présenté au comité exécutif composé de trois collèges : les représentants de l’entreprise RTE (minoritaires), les structures rurales partenaires (Familles Rurales, associations des maires ruraux, Chambres d’agriculture, MRJC……) et les personnalités qualifiées comme Vanessa d’Habit’âge que nous connaissons depuis longtemps qui a rejoint notre gouvernance, des chercheurs, des élus locaux, des représentants de l’ESS... Une gouvernance ancrée dans les réalités du terrain.

Nous finançons environ 50 par an, soit 700 depuis la création, pour des montants d’environ 25 000 €, couvrant jusqu’à 30 % du coût total du projet.

 

Un soutien structurant

 

  • Mais vous proposez aussi un accompagnement non financier ?

 

CDB : En effet, depuis l’origine nous nous attachons, en plus du soutien financier, à proposer un soutien humain et extra-financier, qui a pu évoluer au fil des années. Ainsi, les projets financés peuvent bénéficier du parrainage d'un salarié de l'entreprise RTE. Le parrain ou la marraine a pour mission d'assurer, bénévolement, le lien entre le porteur de projet et la Fondation RTE.

Nous proposons aussi aux porteurs de projet qui le souhaitent un programme de coaching d’une durée de 6 mois, par un salarié de RTE, pour les accompagner dans la résolution de défis structurels auxquels ils sont confrontés. Il peut s’agir d’enjeux de stratégie, de levées de fonds, de gouvernance, de RH etc.

Et cette année nous avons développé un nouveau format de formation-action autour de la mesure d’impact social pour démocratiser le sujet et le rendre accessible aux associations que nous soutenons.

 

  • Et vous financez aussi la structure des associations ?

 

Oui, c’est une autre de nos caractéristiques. Depuis l’an dernier, nous ne finançons plus seulement l’investissement, mais aussi le fonctionnement, car le soutien à l’ingénierie est essentiel. Quelle que soit la nature du soutien, l’association dispose d’un délai de 4 ans pour engager les fonds.  

 

Habit’âge : un projet d’habitat partagé en milieu rural

 

  • Vanessa Couvreux-Chapeau vous êtes à l’origine d’Habit’âge, que vous dirigez. C’est une initiative remarquable. Pouvez-vous nous raconter comment tout a commencé ?

 

VCC : L’idée est née d’une expérience personnelle. J’habite Fontaine-Guérin, un petit village du Maine-et-Loire. La grand-mère de mon mari est devenue veuve et a dû intégrer un EHPAD dans une ville voisine. Cela nous a profondément questionnés : pourquoi n’avait-elle pas d’autre choix ? Si un logement confortable et adapté avait existé dans le village, elle aurait pu rester entourée, dans un cadre familier.

 

  • C’est ce constat qui a déclenché le projet ?

 

Oui. En 2012, avec mon mari, nous avons constaté qu’il y avait dans notre village de nombreux bâtiments anciens vacants, parfois délabrés, alors même qu’on construisait des lotissements standardisés en périphérie. Nous avons donc imaginé un projet de réhabilitation pour créer des logements accessibles et adaptés à des personnes âgées modestes, pour qu’elles puissent vivre dans du confort et en lien.

 

  • Ce n’était pas votre domaine d’expertise à l’origine ?

 

Pas du tout. Je travaillais dans l’éducation populaire et le développement local au sein de Familles rurales. Ce projet est né d’un engagement citoyen. Fin 2012, nous avons répondu à un appel à projets de la Fondation SFR “Jeunes entrepreneurs sociaux”, ce fut un véritable déclencheur. En 2013, nous avons créé l’association Habit’âge avec un collectif composé d’un médecin, d’un ancien directeur d’EHPAD et d’élus locaux.

 

  • Quel a été le budget pour cette première maison ?

 

Le budget global était d’environ 550 000 euros. Nous avons créé une SCI à quatre, dont mon mari et moi, avec un apport de 140 000 euros. La SCI a financé l’achat et les gros travaux. L’association a levé environ 170 000 euros pour l’aménagement et l’équipement, grâce à la Fondation RTE, la Fondation du patrimoine, la CARSAT et la Région Pays de la Loire.

La maison a ouvert en 2017. Elle comprend quatre logements T2 indépendants, un jardin et une salle de convivialité. L’idée, c’est « chacun chez soi », mais avec des temps et espaces et partagés qui favorisent les échanges. Les habitants y vivent dans un cadre chaleureux et respectueux.

 

Un public âgé aux faibles ressources

 

  • Vous visez un public particulier ?

 

Oui. Le projet cible des personnes âgées autonomes, souvent à faibles ressources, par exemple 1 000 euros de retraite. L’objectif est de leur offrir un habitat digne, accessible et un environnement qui rompt l’isolement.

 

  • Est-ce la seule maison dans votre village ?

 

Oui, à Fontaine-Guérin. Mais Habit’âge poursuit son développement. Nous avons aujourd’hui trois maisons ouvertes dans le département du Maine-et-Loire.

 

  • À l’échelle d’un village, que représente une maison pour quatre personnes ?

 

Ce n’est pas un EHPAD, c’est un lieu de vie confortable, adapté, ouvert sur le village, avec une salle de convivialité, un jardin partagé, et des animations organisées avec les habitants. Les s habitants-locataires sont autonomes, mais peuvent bénéficier de services à domicile. Par exemple, une habitante a vécu quatre ans en fauteuil roulant électrique tout en recevant des soins infirmiers à domicile. Cela conjugue confort, autonomie et lien social.

 

  • Ces espaces sont donc ouverts à d’autres habitants du village ?

 

Oui, c’est le principe. Les habitants définissent les activités avec l’association. Le centre social, par exemple, y organise des ateliers. Cela favorise la proximité des services, souvent éloignés en milieu rural. On y voit des cafés numériques, des ateliers sensoriels, etc.

 

  • Quels services sont encore disponibles dans le village ?

 

Nous avons une épicerie qui fait aussi office de poste, un restaurant, une école, une coiffeuse, une ostéopathe… C’est essentiel. Nous n’aurions pas lancé le projet dans un village sans un tissu de services.

 

  • Votre projet Habit’âge est précieux, mais je me pose la question de l’échelle. Est-ce qu’une maison par-ci, une autre par-là suffit à avoir un réel impact ? Dans un village de 600 habitants, avec une forte proportion de seniors, quatre logements c’est peu. Ne faudrait-il pas viser plus grand pour changer vraiment les choses ?

 

VCC: C’est une vraie question. Mais on ne cherche pas à faire changer de domicile tout le monde. Beaucoup de personnes âgées veulent rester chez elles, et c’est très respectable. Habit’âge s’adresse à ceux qui ne peuvent ou ne veulent plus vivre seuls, dans des logements inadaptés. On propose des lieux à taille humaine, dans des bâtiments réhabilités en cœur de village. Et cette échelle, modeste en apparence, a un vrai sens : elle respecte l’environnement, les liens sociaux, l’histoire des lieux et s’adapte à ce que les villages ont à offrir.

 

  • Mais est-ce que cela change vraiment quelque chose dans la dynamique locale ?

 

VCC : Oui. Nous avons pensé le projet d’abord pour répondre à l’isolement, mais on s’est vite rendu compte que ça allait plus loin. En réalité, Habit’âge permet aussi un rapprochement familial. La moitié des habitants de nos maisons viennent de loin, mais ils sont les parents ou proches d’habitants du village. Ils viennent se rapprocher de leurs enfants, souvent à la retraite ou avec des moyens limités. Autrefois, les crèches étaient un levier d’attractivité pour les jeunes familles. Aujourd’hui, c’est aussi l’accueil des aînés qui devient un enjeu. Et dans ce sens, Habit’âge est un outil d’ancrage territorial, de lien, d’accueil intergénérationnel.

 

Le lien social au cœur du projet

 

  • Avez-vous des relations avec les autres acteurs du territoire ?

 

VCC : Absolument. Le Club des aînés, le Centre social, les écoles… tous viennent dans nos maisons. On accueille des animations, des ateliers, des rencontres. Et au-delà, la commune nous a intégrés au CCAS, signe que notre rôle dépasse la simple gestion d’un lieu de vie. On participe à une vision sociale globale du territoire. On n’est pas un îlot. On est une pièce du puzzle communal.

 

  • Vous pensez que cela suffit à créer de la cohésion sociale ? Car on peut faire du lien social sans pour autant dépasser les replis, les fractures. Et quand on voit les résultats électoraux dans certains territoires, on se demande si ces actions, aussi belles soient-elles, ont vraiment un effet collectif durable…

 

VCC : C’est un vrai défi, mais on y croit. En 2019, on a lancé un projet autour de la transmission de mémoire populaire avec le Nouveau Théâtre Populaire, installé depuis 17 ans dans le coin, et avec Globe Conteur, une association nantaise. On est partis d’un constat : il y a une mémoire dans ces villages, des récits, des histoires… mais peu de transmission. Alors, on a formé des habitants pour aller interroger d’autres habitants sur les lieux du village, leurs souvenirs. Ces récits ont été mis en scène par des professionnels, avec des acteurs de 10 à 80 ans, pour créer un spectacle.

 

  • Et ça a marché ?

 

VCC : Plus que ça. Trois salles des fêtes pleines en plein COVID. Des files d’attente. Des gens qui se parlent pour la première fois. Des enfants qui racontent les souvenirs des anciens. On a vu naître une vraie émotion collective. Depuis, les participants se revoient. Ils veulent continuer. On monte un second projet. Est-ce que ça va tout changer ? Non. Mais ça crée du lien fort, sincère, dans la durée. Pas du lien événementiel mais du lien tissé, profond, intergénérationnel. C’est ça aussi, faire société.

CDB : Ce projet répond bien à notre objectif de retisser du lien entre les habitants. On soutient des actions concrètes, ancrées localement, qui recréent de la solidarité, notamment intergénérationnelle, entre femmes et hommes, ou entre jeunes et plus âgés.

VCC : Notre rencontre avec la fondation RTE pour les ruralités date de 2015, et c’est la seule fondation que je connaisse avec un vrai regard sur les territoires ruraux. C’est précieux pour nous car ce n’est pas que du soutien financier mais aussi un accompagnement structurant et une vision commune de la ruralité comme laboratoire d’initiatives.

 

 

Propos recueillis par Francis Charhon 

 


 

À lire aussi :

 

Post de Cyril Cibert, président des maires ruraux sur la ruralite. 

 

Étude récente de Destin commun sur la ruralité.

 

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