Coalition Solidaire le podcast : s'inspirer de la ruralité pour faire autrement
Le confinement lié au COVID-19 a soudainement (re)mis sur le devant de la scène médiatique la vie à la campagne et au grand air, en contraste avec la ville bétonnée, urbanisée. La ruralité post-crise n’est-elle qu’une question de plaisir éphémère, une envie de retour aux sources ? Ou peut-elle aussi s’imposer comme la solution aux défis climatiques et sociétaux qui s’imposent à nous ?
- Avant tout, quelle est pour vous la juste définition de la ruralité ?
Thibault Renaudin C’est d’abord un territoire d’équilibre. La ruralité est ancrée dans un espace, elle n’est pas hors-sol. C’est ensuite un territoire de lien et de liant, où il est impossible de faire sans les autres. C’est enfin une terre de solidarité : le rapport à l’autre est immédiat. Ces caractéristiques sont attractives : depuis les années 1970, le principal transfert de population en France se fait de la ville vers la campagne.
René Ortega Le territoire rural est un espace géographique et social parfois complexe, multiple du fait de sa superficie. Cette complexité explique que la ruralité soit le parent pauvre de l’espace médiatique. Les gens n’aiment plus le complexe. La ruralité a des principes d’interactions sociales, de nécessité de rencontre : vous avez besoin de votre voisin. Mais il y également des principes de domination, de ségrégation sociale, spatiale. Pour les traiter, il faut être curieux, humble, accepter de ne pas savoir.
- Est-ce que l’on naît rural ou est-ce qu’on le devient ?
Thibault Renaudin La ruralité, ce n’est ni le droit du sang, ni le droit du sol. C’est avant tout celui du cœur. Nos territoires accueillent beaucoup de populations qui viennent de France et du monde. La ruralité bénéficie de cette richesse, de cette multiplicité de ses identités. Ce n’est pas simple, car l’instinct grégaire existe ici aussi.
- Valérie Payen Larchevesque, existe-t-il une différence entre les actions que vous menez au centre social « Espace Libre », dans une commune de 1 800 habitants, avec celles des centres sociaux en territoires urbains ?
Valérie Payen Larchevesque Le centre social Espace Libre s’appuie sur la participation active des habitants. Le milieu rural inspire les solidarités de proximité. Par exemple, les difficultés de mobilité constituent un enjeu crucial pour nous. Aucun transport en commun ne relie Charleval à Rouen, à trente kilomètres. L’action de nos 616 adhérents et 80 bénévoles est essentielle pour les habitants.
- Les questions d’exclusion, de grande précarité sont-elles davantage cachées – et donc plus difficiles à détecter – à la campagne que dans les grandes villes ?
René Ortega Je travaille dans la lutte contre l’exclusion depuis plus de 25 ans. La pauvreté est un phénomène toujours plus difficile à définir. Il faut avant tout comprendre la personne qui vit cette situation de pauvreté. Il faut également casser l’image d’Épinal de la ruralité glorieuse et joyeuse. Ce qui distingue la pauvreté en milieu rural, c’est le sentiment de honte. C’est peut-être aussi la différence du rapport au désir et au besoin. Dans les territoires urbains, il y a parfois un désir des choses chères, d’accessibilité aux biens qui peut générer un sentiment d’être sous-classé si on ne les obtient pas. À la campagne, nous avons peut-être moins de belles voitures, moins de belles maisons. Nous sommes peut-être davantage dans cette notion de besoin que de désir.
Valérie Payen Larchevesque Être au contact direct des habitants permet de se rendre compte de leurs difficultés et d’organiser les solidarités. La crise sociale liée au COVID-19 nous a permis de repérer des personnes vulnérables que l’on ne connaissait pas encore, de faire jouer avec délicatesse des solidarités de voisinage.
- Comment penser le développement économique des petits villages de France ?
Thibaud Renaudin Le confinement et l’essor du télétravail nous ont appris qu’il est possible de travailler pour des entreprises basées dans les grandes métropoles tout en restant chez soi, dans les territoires ruraux. À condition d’avoir une couverture numérique satisfaisante, de sortir des « zones blanches ». Nos territoires ruraux ont de beaux jours devant eux si nous avons cette connectivité. Par ailleurs, l’association InSite mise sur l’engagement des jeunes dans le monde rural, en appui au développement de projets innovants et locaux, en lien avec ses habitants, ses élus, ses agriculteurs. Ces échanges permettront, demain, de créer des emplois.
Valérie Payen Larchevesque La ruralité, c’est avant tout un état d’esprit. Au centre social, nous associons les citoyens pour co-construire des solutions. Par exemple, les professionnels de santé ont activement participé à la création de la future maison de santé pluridisciplinaire de Charleval. Nous ne saurons rendre nos territoires attractifs qu’en créant des projets de santé de proximité, de mobilité, de numérique.
- Comment la ruralité peut-elle être une source d’inspiration pour des villes moyennes ?
Valérie Payen Larchevesque Tout ce que nous mettons en œuvre dans nos villages, la proximité, la convivialité, peut être reproduit à l’échelle des quartiers urbains.
Thibault Renaudin La ruralité se décline partout car c’est avant tout une question de sens, de local, de convivialité, d’humilité. La ruralité pose aussi la question du temps long. La nature nous enseigne à être plus lent, à s’adapter à l’autre.
Valérie Payen Larchevesque directrice du centre social Espace Libre, à Charleval (27).
Thibault Renaudin maire de Termesd’Armagnac (32), président de l’association InSite, « l’Erasmus de la ruralité ».
René Ortega directeur du groupement d’intérêt public Gers Solidaire qui rassemble des associations caritatives de lutte contre la pauvreté.
Interview réalisée par Patrick Lonchampt, journaliste.