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Par Coeur de Forêt - Publié le 7 juillet 2020 - 10:57 - Mise à jour le 8 juillet 2020 - 16:13
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#Interview, Jonathan Guyot (all4trees) : « Il faut protéger des milliards d’hectares de forêts »

Alors que les forêts perdent du terrain à rythme alarmant, les opérations de “plantations massives d’arbres” sont de plus en plus plébiscitées par les États et les entreprises. Ces dernières y voient une manière de compenser leurs émissions carbones. Mais face à la disparition alarmante des forêts, all4trees, la communauté des acteurs engagés pour la préservation et la restauration des forêts, nous rappelle l’importance de soutenir les ONG de terrain qui agissent directement sur les causes de la déforestation. Son co-fondateur Jonathan Guyot, nous présente cette communauté d’acteurs engagés et les enjeux prioritaires pour préserver et restaurer les forêts.

Qu’est-ce que la communauté all4trees ?

all4trees est une communauté de citoyens et d’acteurs engagés pour la préservation et la restauration des forêts. Notre principale mission est de fédérer et promouvoir l’ensemble des porteurs de projets qui agissent concrètement sur le terrain. Les porteurs de projets membres de la communauté all4trees, Coeur de Forêt, Envol Vert, Humy et Noé à travers son programme Man & Nature, sont des ONG reconnues pour leur sérieux et professionnalisme, intervenant dans pas moins de 18 pays à travers le monde dont la France, aux côtés des structures et populations locales depuis plus de 15 ans.

En quoi la communauté all4trees se distingue des autres acteurs du secteur ?

Tel les arbres dans une forêt, qui sont à la fois en compétition pour la lumière et en coopération pour la survie, le modèle de la communauté all4trees repose sur la “coopétition”. Ainsi nous créons les conditions propices pour permettre aux acteurs engagés de mettre leurs forces en commun, tout en respectant leur diversité et modalités d’action. Cela permet de dire “nous” plutôt qu’une addition de “je”. Nous créons donc les conditions propices à la co-construction et à l’émergence d’initiatives collectives au service de l’intérêt général et des enjeux. Nous animons des groupes de travail avec un large réseau d’acteurs pour permettre le partage de bonnes pratiques sur le terrain et la co-construction de règles et recommandations pour éviter la greenwashing, notamment au sujet de la compensation carbone. Nous coordonnons également des actions de mobilisation citoyenne pour inciter au passage à l’action pour la préservation des forêts.

Pourquoi les entreprises veulent-elles planter des arbres ?

La notion de “planter des arbres” est un outil marketing puissant, un message simple, le réceptacle émotionnel de cette envie de “sauver le monde”, de cette volonté de ne plus être responsable de notre propre perte. Qui n’a pas envie de planter des arbres ? Alors certains acteurs nous invitent à “planter des arbres” pour nous déculpabiliser de prendre l’avion, pour “compenser nos émissions”. “Planter un arbre” est un geste qui parait si simple, que très peu saisissent la complexité des enjeux sous-jacents et les raccourcis qui en sont fait.

“Planter un arbre” est souvent présenté comme “LE meilleur investissement”. Mais “LE meilleur investissement” est avant tout de préserver les forêts. Nous avons beaucoup trop tendance à donner moins de valeur à ce que nous possédons déjà. Les forêts méritent toute notre attention, car elles abritent 80 % de la biodiversité terrestre, fournissent un grand nombre de services écosystémiques, qui disparaissent à un rythme alarmant et mettront des centaines d’années pour se régénérer. C’est un patrimoine à préserver.

Alors oui, “plantons des arbres” pour restaurer les écosystèmes dégradés, mais mettons beaucoup plus d’énergie et de moyens pour stopper la déforestation et préserver les forêts.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’entreprises avec lesquelles vous refuseriez de travailler ?

Ce qui est important pour une marque, c’est l’adéquation entre son discours et ses pratiques. Il est possible d’éviter le greenwashing. C’est une question de vérité, d'honnêteté, de transparence et surtout d’humilité. Je suis convaincu que le greenwashing n’est pas de la seule responsabilité des entreprises, mais également de celle des acteurs intermédiaires, cabinets de conseil, qui ne conseillent pas assez les entreprises sur cet aspect-là, voir même s’en dédouanent.

En tout cas, de nombreuses entreprises, et même des grands groupes, se tournent vers nous, afin que nous les aidions à mieux cerner les enjeux autour de l’arbre et de la forêt, àmieux connaître les acteurs du secteur, car elles souhaitent avant tout soutenir des projets qui font sens et ont un réel impact. Même si nous n’accompagnons pas les entreprises dans leur démarche RSE, notre expertise et le regard neutre que nous leur apportons, les rassurent. Nous les orientons vers des cabinets de conseils et des porteurs de projets de confiance qui peuvent les accompagner.

Quel est le bénéfice de la reforestation ? Un article du Monde soulignait récemment que la compensation par le biais de la reforestation n’est pas garantie à 100 %...

La question à laquelle tente de répondre cet article du Monde, rédigé par la journaliste Marjorie Bertouille-Cessac, dont nos travaux ont largement contribué, est : “est-il possible de compenser ses émissions en “plantant des arbres” ?”. Et comme le souligne très bien l’article, ce n’est pas possible. N’en déplaise aux acteurs de la “compensation carbone” et de la “plantation d’arbres”, c’est une idée erronée de croire que nous pouvons annuler des émissions de CO2 en plantant des arbres.

De nombreux médias se sont fait l’écho d’une étude controversée, récemment publiée par Bastin J-F et al. (2019) qui annonçait qu’il suffisait de planter 1.200 milliards d’arbres pour annuler au moins 10 ans d’émissions anthropiques. Un groupe de 46 scientifiques du monde entier (Veldman JW et al., 2019), ont alerté que cette étude a considérablement surestimé le potentiel de la plantation d'arbres à atténuer le changement climatique. Ainsi  “planter des arbres” nous semble une solution beaucoup plus facile, qui nous permet de croire que nous pouvons continuer à produire et consommer de la même façon destructrice pour le climat et les forêts, voir pire, nous donner bonne conscience.

L’enjeu est plutôt de savoir comment nous allons réduire drastiquement la déforestation et la dégradation des forêts, responsables de 15 à 17 % des émissions de CO2 mondiale (Pearson T.H. et al., 2017). L’enjeu prioritaire est d’arriver à préserver les 4 milliards de forêts à travers le monde, qui abritent 80 % de la biodiversité terrestre. D’après le Global Forest Watch, 24 millions d’hectares de forêts ont disparu des images satellites en 2019, soit 45 % de la superficie de la France métropolitaine. Serons-nous en capacité de planter des arbres au rythme d’un terrain de football toutes les 3 secondes ? Combien de centaines d’années seront nécessaires pour que ces forêts puissent se régénérer et retrouver leurs multi-fonctionnalités ?

Il est nécessaire de réorienter les messages à ce sujet et surtout les financements vers des acteurs aux approches holistiques, qui répondent concrètement aux enjeux. De nombreuses modalités d’actions sont nécessaires et pas seulement la “plantation d’arbres”. Les associations membres de la communauté all4trees ne sont pas juste des “planteurs d’arbres”. Elles agissent à la fois sur les questions de préservation et de restauration des forêts, notamment par le changement des pratiques agricoles et la mise en place de filières économiques. Ce sont d’importants investissements financiers nécessaires à la pérennité des projets, qui ne peuvent se résumer au simple fait de “planter un arbre” pour quelques euros (voir quelques centimes…). 

Épidémies et déforestation sont-ils liés ?

La pandémie de COVID-19 que nous vivons, montre une nouvelle fois le lien étroit entre l’émergence de nouvelles épidémies et la destruction des habitats naturels et de la biodiversité.

Dans ce contexte de crise sanitaire, de nombreuses activités de terrain développées par les porteurs de projets ont dû être arrêtées. Nous venons de faire l’inventaire des besoins financiers d’urgence des membres de la communauté all4trees sur 9 projets à travers le monde, dans des zones à forte valeur de biodiversité. Elles vont des Andes colombiennes et la forêt tropicale péruvienne du bassin amazonien, jusqu’aux zones de déforestation massive de Madagascar et les réserves naturelles de la faune sauvage en Afrique centrale et de l’Ouest.

Nous devons mobiliser plus de 2 millions d’euros afin de relancer les activités économiques sur le terrain et lutter contre l'extrême pauvreté qui continue de toucher de plein fouet les populations locales accompagnées par les porteurs de projets. Cette crise peut avoir un effet rebond sur les efforts de préservation de la forêt qui ont été engagés depuis de nombreuses années sur le terrain avec les populations locales.

Ces financements permettront d’assurer la reprise rapide des activités génératrices de revenus pour les populations locales qui contribuent par la même occasion à préserver et restaurer les forêts. Car préserver les forêts est une des actions essentielles si nous ne voulons pas que de nouvelles épidémies surgissent et se propagent.

Lorsqu’on est un particulier, comment peut-on limiter son impact sur la déforestation ?

Alors que la déforestation nous semble être un sujet très éloigné de notre quotidien, il est tout à fait possible de réduire son impact et d’agir pour la préservation des forêts. C’est la notion de déforestation importée, qui se retrouve dans nombre de nos produits du quotidien, à travers notamment notre consommation indirecte de soja ou d’huile de palme.

L’association Envol Vert a créé un outil qui permet de mesurer son Empreinte Forêt et d’identifier les axes d’amélioration à l’échelle individuelle. La communauté all4trees a développé l’outil pédagogique de la Fresque de la Forêt pour permettre aux citoyens de comprendre les enjeux de la déforestation et propose des gestes et solutions pour favoriser le passage à l’action pour contribuer au quotidien à la préservation des forêts.

Mais parfois l’action individuelle n’est pas suffisante, il est donc nécessaire de faire pression sur les entreprises ou l’État français pour qu’ils mettent en œuvre des stratégies “Zéro Déforestation” ou appliquent la stratégie nationale contre la déforestation importée (SNDI). En cela, les citoyens sont essentiels au travail des ONG de plaidoyer pour nous permettre de faire pression sur les dirigeants et inciter aux changements de pratiques. À titre d’exemple, avec l’association Envol Vert et une dizaine d’associations, nous avons proposé 22 mesures concrètes à destination des candidat(e)s aux élections municipales à travers le Pacte « Zéro Empreinte Forêt ». Alimentation, mobilité, énergie, il existe de nombreux levier d’actions.

Enfin les citoyens ont un rôle essentiel dans le soutien financier des associations qui contribuent à la préservation et la restauration des forêts. Pas besoin d’”acheter un arbre”, un simple don suffit pour leur permettre de mener à bien leurs actions sur le terrain aux côtés des populations locales.

C’est la force de la communauté all4trees. Nous permettons aux citoyens d’agir de différentes façons, avec différents acteurs reconnus pour leur engagement et sérieux. Une mobilisation nécessaire si nous souhaitons contribuer à la préservation des forêts.

 

Propos recueillis par Alice Gontier, responsable développement et communication de Coeur de Forêt

Crédit photo : Jonathan Guyot, ingénieur forestier et co-fondateur de la communauté all4trees

 

Sources :

  1.  Bastin J-F, Finegold Y, Garcia C, Mollicone D, Rezende M, Routh D, Zohner CM, Crowther TW (2019) The global tree restoration potential. Science 365:76–79. https://doi.org/10.1126/science.aax0848

  2. Veldman JW, Aleman JC, Alvarado ST, Anderson TM, Archibald S, Bond WJ, Boutton TW, Buchmann N, Buisson E, Canadell JG, Dechoum M de S, Diaz-Toribio MH, Durigan G, Ewel JJ, Fernandes GW, Fidelis A, Fleischman FD, Good SP, Griffith DM, Hermann J-M, Hoffmann WA, Le Stradic S, Lehmann CER, Mahy G, Nerlekar AN, Nippert JB, Noss RF, Osborne CP, Overbeck GE, Parr CL, Pausas JG, Pennington T, Perring MP, Putz FE, Ratnam J, Sankaran M, Schmidt IB, Schmitt CB, Silveira FAO, Staver AC, Stevens N, Still C, Strömberg CAE, Temperton VM, Varner JM, Zaloumis NP (2019) Comment on “The global tree restoration potential.” Science 18 Oct 2019: Vol. 366, Issue 6463, eaay7976 DOI: 10.1126/science.aay7976 

  3. Pearson T.H. et al., 2017. Carbon Balance and Management, doi 10.1186/s13021-017-0072-2

  4. Gobal Forest Watch - https://blog.globalforestwatch.org/data-and-research/donnees-mondiales-sur-la-perte-de-couvert-arbore-2019

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