Crise des financements associatifs : Comment les acteurs philanthropiques peuvent-ils s’adapter aux besoins ?
Face à la crise des financements publics, de nombreuses associations se retrouvent fragilisées. Prendre le temps de les écouter pour comprendre leurs réalités de terrain et interroger nos propres pratiques en tant qu’acteurs philanthropiques est plus que jamais nécessaire. Ces échanges entre entrepreneurs sociaux et philanthropes mettent en lumière des constats et des pistes d’action pour l’avenir.

Depuis 15 ans, Entreprendre&+ finance et accompagne des entrepreneurs sociaux. Pendant 3 ans, nous cheminons à leurs côtés pour consolider, structurer, pérenniser leur modèle afin d’accélérer et de maximiser leur impact social.
Néanmoins, depuis quelques mois, on parle davantage de survie que de croissance au sein du secteur associatif. Nous constatons tous les jours les difficultés rencontrées par les associations qui voient leurs financements publics fondre subitement et se retrouvent pour certaines en grande difficulté.
Cela questionne la place des associations dans notre modèle de société, mais également le rôle des acteurs philanthropiques dans ce contexte.
A l’heure où nous travaillons à adopter une approche plus systémique, l’urgence prend le dessus chez nos partenaires de terrain.
Afin de mieux comprendre les difficultés actuelles et les attentes des associations envers leurs partenaires financeurs, nous avons souhaité organiser une session d’écoute et d’échanges entre nos philanthropes et les entrepreneurs sociaux que nous accompagnons.
Voici les points clés qui ressortent de cette discussion.
Le constat
Depuis plus d’un an, on constate une baisse massive et parfois très brutale des financements publics. Cette baisse va se poursuivre en 2026, notamment au niveau des collectivités locales, en raison des élections à venir. Certaines commencent déjà à encourager les associations à se tourner vers le mécénat et la philanthropie pour compenser leur retrait. Aujourd’hui, ce sont 1/3 des renouvellements de subventions qui n’ont pas encore abouti et 45% des subventions attribuées sont en baisse (dont 20% en forte baisse)[1].
Cela met les associations dans des situations extrêmement difficiles et incertaines : 50% d’entre elles signalent des problèmes de trésorerie et 1/3 des associations employeuses disposent d’une trésorerie inférieure à 3 mois.
La conséquence est évidente et visible par tous les financeurs : les associations se lancent dans une course effrénée pour obtenir des financements privés. Mais les acteurs privés ne pourront pas compenser, et ils ne le devraient pas. La philanthropie intervient en complément de l’action publique et non en remplacement. Certaines fondations comment déjà à adapter leurs pratiques et font des choix difficiles, comme celui de se recentrer sur le sauvetage des projets déjà soutenus, plutôt que de sélectionner de nouveaux projets.
Paradoxalement, les associations qui peinent le plus sont souvent celles qui ont fortement poussé la croissance de leurs organisations (pour faire croître l’impact) car elles ne peuvent plus financer des structures devenues, dans les circonstances, trop grosses et trop coûteuses. Les effets sur l’emploi sont déjà là : 18% des associations employeuses ne remplacent pas les départs de salariés, 16% annulent ou retardent leurs recrutements et 8% ont mis en place un plan de sauvegarde de l’emploi ou procédé à des licenciements économiques. De plus, les gouvernances horizontales (de type holacratie) ont beaucoup de mal à prendre des décisions difficiles rapidement pour répondre à l’urgence. Il est très compliqué d’expliquer à la fois qu’il y a des sujets de viabilité de l’association tout en voulant changer le mode de prise de décision.
Alors que c’est le moment où l’approche systémique est la plus nécessaire, l’urgence prend le dessus. Près d’un tiers des associations déclarent diminuer leurs activités. Dans le contexte, elles se recentrent sur les missions essentielles et délaissent les sujets de fond.
Enfin, cette situation a des effets dévastateurs sur la santé mentale des entrepreneurs sociaux et des dirigeants associatifs. L’étude menée par Ticket for change et l’EM Lyon en dit long sur le sujet : 40% des dirigeants à impact déclarent ne pas être en bonne santé mentale (contre 24% des dirigeants traditionnels) et témoignent d’un sur-engagement et d’un isolement professionnel au-dessus de la moyenne.
Les motifs d’espoir
Malgré la gravité de la situation, il existe quelques raisons d’espérer, notamment si l’on observe les récentes stratégies de mutualisation mises en place par certaines associations, par exemple la mise en commun de locaux, de matériel ou de fonctions support.
Pour aller plus loin, il y a eu ces derniers mois plusieurs rapprochements et tentatives de fusion entre associations. Cette crise encourage les acteurs à plus de collaboration et de coopération et on ne peut que s’en réjouir.
Enfin, la contraction des financements a paradoxalement fluidifié le dialogue avec certains partenaires financiers, notamment publics, qui font preuve de plus de transparence sur les possibilités de financements et les circuits de validation.
Ce que la philanthropie peut faire
Alors, en tant qu’acteur philanthropique, comment pouvons-nous aider nos partenaires associatifs ? Quelques pistes évoquées par les entrepreneurs sociaux soutenus par Entreprendre&+ :
- Proposer des soutiens pluriannuels et non fléchés
- Arrêter le discours de croissance à tout prix: toujours viser la croissance de l’impact sans (trop) faire croître son organisation. Dans ce cadre, les indicateurs demandés par certains financeurs sur la taille de l’organisation et le nombre de bénéficiaires directs sont à revoir également.
- Si elles sont nécessaires, aider les dirigeants asso à prendre et exécuter des décisions difficiles (notamment relatives à des réductions effectifs et/ou d’arrêts des activités les plus fragiles) avant qu’il ne soit trop tard.
- Se préoccuper davantage de la santé mentale des dirigeants associatifs et de leurs équipes : à cet effet, la construction d’une relation de confiance, en proximité et dans la durée, est précieuse.
- Continuer à encourager les rapprochements et les collaborations dans l’écosystème : au-delà du dialogue entre les associations, il est nécessaire de financer l’ingénierie des alliances et des initiatives collectives.
Chez Entreprendre&+, nous nous attachons à construire une relation de proximité et de confiance avec les porteurs de projets que nous soutenons, grâce au mentorat. Cet échange nous rappelle qu’il est indispensable de continuer à capitaliser sur cette méthodologie pour offrir un espace vital de respiration, de réflexion stratégique et de prise de recul aux dirigeants associatifs.
Les préconisations des entrepreneurs sociaux doivent nous servir de boussole lors des sessions de mentorat et tout au long de notre accompagnement.
Au-delà de notre posture et de nos pratiques, que nous devons chercher à améliorer en continu, cette discussion fait écho aux travaux que nous menons au sein de l’initiative collective Racines, pour une philanthropie plus systémique. Le contexte difficile doit être une opportunité pour nous, financeurs et accompagnateurs, de renforcer les coopérations entre acteurs philanthropiques et d’agir collectivement pour assurer la pérennité des associations.
[1] Tous les chiffres cités dans cet article sont issus de l’étude menée par le Mouvement Associatif en mars 2025.