Un Café des Familles pour redonner aux parents leur pouvoir d’agir
L’expérience des parents, un socle solide pour imaginer un meilleur accès aux services liés à la parentalité en quartier prioritaire ? Dans le 13e arrondissement de Paris, l’Entreprise à But d’Emploi 13 Avenir a expérimenté un programme pour mobiliser un collectif de parents en situation précaire autour de solutions qui améliorent les usages et la connaissance des dispositifs de proximité. L’initiative est lauréate de l’appel à projets mené en commun par la Fondation d’Entreprise des Solidarités Urbaines et la délégation Ile-de-France de la Fondation MACIF qui avait pour thématique « le pouvoir d’agir ensemble sur son cadre de vie ».
La parentalité, partie prenante de la vie de quartier
Liés par le boulevard Masséna, les quartiers prioritaires Bédier-Boutroux et Oudiné-Chevaleret sont marqués par la fragilité économique et sociale de ses habitants – en particulier les familles, dont un tiers est en situation de monoparentalité. Malgré le renouveau urbain et démographique de l’arrondissement, près de la moitié des ménages continue à vivre sous le seuil des bas revenus.
C’est pourquoi l’association 13 Avenir a décidé d’expérimenter une démarche à destination des familles précaires et/ou éloignées de l’emploi, souvent monoparentales, pour leur redonner du pouvoir d’agir.
La structure a été créée en 2017, dans le cadre du dispositif « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée » dans le 13e arrondissement : ses bénéficiaires, tous habitants du quartier et demandeurs d’emploi depuis plus d’un an, sont recrutés en CDI et à temps choisi, pour répondre aux besoins économiques du territoire, identifiés en amont. « Notre ADN est basé sur le principe que nul n’est inemployable, explique Justine Evrard, directrice des opérations de l’association. Il existe des besoins non couverts sur le territoire et ceux qui y vivent, y compris lorsqu’ils ont un parcours de vie chahuté, ont des compétences pour y répondre. »
C’est sur ce modèle spécifique que 13 Avenir a bâti sa nouvelle expérimentation. Tout est parti d’un constat de terrain : celui de l’expérience d’usage de ses bénéficiaires et des nombreuses problématiques qu’ils rencontrent autour de la parentalité – notamment autour des questions d’accès à l’emploi et de répit parental. C’est ainsi qu’est née l’idée du Café des Familles.
Initier les habitants aux outils d’intelligence collective
13 Avenir a mobilisé parmi ses salariés bénéficiaires un groupe de 12 parents, femmes et hommes, pour certains en situation monoparentale, pour travailler à des solutions qui visent à encourager la socialisation, une meilleure connaissance et un recours aux dispositifs existants dans le quartier et l’accompagnement dans le rôle de parent. « Des programmes existent, mais nous avons constaté à quel point le besoin est immense », précise Justine Evrard. La directrice des opérations a tenu à ce que le groupe soit hétérogène, que ce soit en termes de situation familiale, de parcours au sein de l’association, d’ancienneté ou encore de niveau d’études.
Pour ancrer l’initiative dans le quartier, l’association s’est appuyée sur le tiers-lieu Plan Libre, qu’elle pilote en partenariat avec l’Armée du Salut depuis octobre 2021. L’espace est un lieu d’accueil et de rencontres pour les habitants, ouvert tous les jours. Et surtout : il permet d’accueillir les parents avec leurs enfants.
Dès février 2024, le programme commence avec une première phase de brainstorming. « Les participants n’étaient pas tellement habitués à réfléchir et s’exprimer en intelligence collective. Nous avons donc pris le temps de briser la glace, de rappeler les enjeux du projet et de proposer des formats ludiques, y compris en binômes », témoigne Justine Evrard. « C’était une façon de susciter la mobilisation et l’intérêt du groupe. »
S’en est suivi un cycle de « World Cafés », méthode qui facilite le partage d’idées et le dialogue, afin de resserrer les problématiques, analyser plus finement les besoins puis dessiner un panorama des services accessibles ou souhaités par les parents. Des enquêtes ont été menées à l’aide de guides d’entretien auprès de partenaires du territoire liés à la parentalité. Des visites des lieux directement concernés, tels que les médiathèques ou les points d’accueil parents-enfants, ont été organisées.
Résultat : une nouvelle cartographie des services a pu être formalisée, axée sur les usages et les accès afin de compléter les cartographies institutionnelles existantes.
Une partie du groupe a été formée, pendant 3 demi-journées à la prise de décision collective, par une intervenante extérieure, avec pour ambition de former 4 personnes à une gouvernance plus autonome de la démarche.
Quels enseignements pour les parents ?
Le retour d’expérience des participants démontre une montée en compétences et une prise de confiance. Chacun s’est senti acteur du processus. Certains ont trouvé que « chaque étape a été utile. Les premiers ateliers étaient nécessaires pour que les personnes timides puissent s’exprimer ». Le choix du travail en petits groupes a aussi été apprécié : « cela a délié les langues. Quand on était en petit groupe, il y avait moins de regard sur nous. ». Un participant conclut : « c’est bien d'apprendre des autres ».
Les rencontres ont par ailleurs donné le sentiment de creuser les sujets « en profondeur ». Et l’expérience s’est révélée source à la fois d’apprentissages et de pouvoir d’agir, comme l’expriment les membres du groupe de parents : “Avant la formation, ça me semblait infaisable de construire un Business Model mais ce n’était pas si compliqué” ; “c’est nous qui avons donné les idées”.
Vers la mise en place de nouveaux rendez-vous bimensuels à destination des familles
A l’issue de ces réflexions collectives, le groupe de parents a proposé l’organisation de temps de rencontres deux mercredis par mois, toujours au sein de Plan Libre. Au programme : des moments de convivialité pour les parents, mais aussi l’intervention de partenaires sur des sujets-clés de la parentalité ou à des périodes stratégiques – notamment la sensibilisation à l’utilisation des écrans, le moment des inscriptions en centre de loisirs, les démarches et l’accès aux droits, ou d’autres thématiques qui pourront émerger au fur et à mesure en fonction des besoins exprimés par les participant.e.s.
Le groupe a identifié comme facteur-clé de succès la participation des enfants aux activités aux côtés de leurs parents. Un premier temps de rencontre rassemblant parents et enfants autour de différentes activités a été organisé en septembre 2024 pour « tester » des idées et faire connaître le projet aux habitants du quartier. Une nouvelle enquête visant à valider les intuitions du groupe auprès des autres habitants du quartier, sera organisée d’ici la fin d’année 2024, pour mieux préciser les propositions du projet de Café des Familles et ainsi offrir une programmation répondant aux envies et besoins, complémentaire à « l’offre » déjà existante dans le quartier.
Une expérience apprenante pour 13 Avenir
L’association a rencontré un défi de taille sur le sujet de la mobilisation autour du projet. « On a mobilisé des partenaires, mis des affiches dans les halls, mais en réalité ce qui fonctionne, c’est que notre équipe intervienne à chaque rencontre pour motiver le groupe et aille directement à la rencontre des gens dans le quartier. C’est intéressant pour la suite et cela nous montre où se situent les complexités de la mobilisation de groupe. »
En plus de la cartographie, 13 Avenir a mis au point un kit d’outils de travail collaboratifs, éprouvés par le groupe du Café des Familles. Un document reprendra également les propositions exhaustives émises par les participants, sur des services concrets. Un autre lieu, la ressourcerie du quartier Bédier, pourrait bientôt rejoindre le projet et étendre les possibilités d’animations proposées aux parents.