Evocae, une école de transition contre le décrochage post-bac
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’association Evocae expérimente un nouveau modèle de passerelle entre l’école, l’université et l’emploi. Son objectif : faire reconnaître les « écoles de transition » comme un maillon à part entière du parcours éducatif.
Comment mieux accompagner les jeunes dans le passage du lycée à la vie étudiante ? C’est à cette question qu’Evocae, née il y a cinq ans à Marseille, tente d’apporter une réponse concrète. Pour son cofondateur, François-Xavier Huard, le constat est clair : « Le monde s’est complexifié, les formations se sont multipliées, les métiers changent à toute vitesse, et les jeunes ont besoin de clés pour s’y repérer. »
Entre baccalauréat et premier cycle universitaire, beaucoup se perdent. Plus de la moitié décrochent dès la première année d’enseignement supérieur, d’autres errent d’une réorientation à l’autre. « Les jeunes qu’on accompagne viennent de tous horizons, mais ils partagent le même sentiment d’être à côté de leur trajectoire », résume François-Xavier Huard. « Notre mission, c’est de leur redonner confiance, du sens, et la possibilité de repartir sur des bases solides. »
Une année pour se repositionner
Le programme « Parcours Vocation » s’adresse à des jeunes de 18 à 25 ans, bacheliers sans projet ou étudiants ayant interrompu leur cursus. Pendant six à huit mois, ils sont accueillis à Marseille, Toulon, et bientôt dans une troisième antenne régionale.
L’accompagnement repose sur une approche globale : orientation, compétences académiques, confiance en soi et engagement citoyen. Les jeunes participent à des ateliers collectifs, des immersions professionnelles et des projets solidaires. « L’enjeu, ce n’est pas de remplir un dossier Parcoursup, mais de les remettre en mouvement », explique le fondateur.
Chaque promotion, limitée à une vingtaine de participants, bénéficie d’un suivi intensif trois jours par semaine. « On évalue les progrès de chacun à partir d’un référentiel de compétences, non pas pour les classer, mais pour objectiver leurs avancées : leur capacité à s’impliquer, à s’exprimer, à construire un projet. »
« L’enjeu, ce n’est pas de remplir un dossier Parcoursup, mais de les remettre en mouvement. »
Un modèle à légitimer
Au-delà de l’accompagnement individuel, Evocae s’inscrit dans un combat plus large : faire reconnaître la nécessité d’un temps de transition entre le secondaire et le supérieur.
« En France, on pousse les jeunes à faire des choix trop tôt, sans leur donner les outils pour les comprendre », déplore François-Xavier Huard. « Les institutions publiques traitent encore trop souvent le décrochage comme une anomalie, alors qu’il révèle un besoin de respiration, d’accompagnement, d’expérimentation. »
L’association plaide ainsi pour une réforme systémique : reconnaître ces années de transition comme des étapes éducatives légitimes, articulées avec l’enseignement supérieur, la formation professionnelle et l’emploi. Membre du Collectif Orientation, Evocae milite pour une approche plus transversale de l’accompagnement des jeunes.
« Nous ne sommes ni une école, ni une mission locale, ni un dispositif d’insertion, mais un acteur d’intermédiation. Notre place est au croisement de ces mondes, et c’est précisément là que le système a besoin d’évoluer. »
Des résultats tangibles
Depuis sa création, Evocae a accompagné près de 110 jeunes par an, avec un taux de réussite de 85 % : l’immense majorité reprend une formation choisie, tandis que certains intègrent un emploi ou un service civique.
Les parcours sont variés : certains reprennent un CAP ou un BTS, d’autres se réorientent vers des filières sanitaires, sociales ou techniques. « On a des jeunes qui avaient quitté la fac de droit et qui repartent vers la cuisine, l’esthétique ou l’informatique. Ce n’est pas une régression, c’est une reconstruction », insiste le fondateur.
Vers un modèle hybride public-privé
Evocae incarne aussi une réflexion sur le financement de l’innovation sociale. Son modèle repose aujourd’hui à 80 % sur le mécénat privé, tel que celui de la Fondation du groupe EDF. « Certains y voient une dépendance, mais sans ces fondations, les initiatives pionnières comme la nôtre n’auraient pas le temps d’exister », affirme François-Xavier Huard. « Les pouvoirs publics interviennent trop tard, quand le modèle est déjà prouvé. La philanthropie, elle, permet d’expérimenter. »
À terme, Evocae veut construire un modèle mixte : cofinancé par l’État, les fondations et les familles selon leurs moyens. « Une année de transition coûte environ 7 500 euros par jeune, alors qu’une année de décrochage coûte le double à la collectivité. C’est une question de bon sens économique autant que d’équité. »
« Les pouvoirs publics interviennent trop tard, quand le modèle est déjà prouvé. La philanthropie, elle, permet d’expérimenter. »
Pour François-Xavier Huard, les écoles de transition représentent bien plus qu’une réponse ponctuelle à la crise de l’orientation. Elles dessinent un nouveau maillon du système éducatif, adapté aux parcours non linéaires et aux aspirations des jeunes générations. « Notre ambition, c’est que ce type d’année préparatoire soit reconnue, intégrée dans les politiques publiques, et accessible à tous. Parce qu’entre l’école et l’emploi, il manque aujourd’hui un espace : celui du temps pour se trouver. »