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Par Fondation des solidarités urbaines - Publié le 16 décembre 2021 - 13:00 - Mise à jour le 16 décembre 2021 - 14:16
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Une recherche-action pour favoriser l'insertion des femmes immigrées en situation de précarité

À Grigny, l’association GRDR Migration-Citoyenneté-Développement mène un projet de recherche-action baptisé “DEFI : Démarche pour l’Engagement des Femmes immigrées”. Son but : produire des connaissances théoriques, pratiques et méthodologiques concernant l’insertion sociale et économique des femmes en situation de précarité dans les quartiers prioritaires de la ville.

Dans le cadre de leur activité de restauration solidaire, les Mamas de Grigny réalisent chaque lundi et jeudi des repas pour le Centre communal d'action social de la ville. ©Mary-Lou Mauricio
Dans le cadre de leur activité de restauration solidaire, les Mamas de Grigny réalisent chaque lundi et jeudi des repas pour le Centre communal d'action social de la ville. ©Mary-Lou Mauricio

 

La ville de Grigny, dans l’Essonne, est considérée comme la ville la plus pauvre de France d’après le dernier Rapport sur la pauvreté publié par l’Observatoire des inégalités. C’est plus particulièrement dans le quartier de la gare de Grigny, théâtre d’une économie informelle reposant entre autres sur la vente à la sauvette de nourriture, que l’association GRDR Migration-Citoyenneté-Développement mène son projet de recherche-action.

Sur le parvis de la gare, la vente de produits cuisinés, en particulier de brochettes, est tenue par des femmes dont c’est la seule source de revenus, en quête d’insertion socio-professionnelle mais empêchées par de trop nombreux obstacles : freins administratifs, barrière de la langue, manque de formation, méconnaissance des acteurs sociaux, discriminations… La recherche-action du GRDR vise à les accompagner concrètement vers la création de leur propre activité de restauration solidaire, tout en documentant et analysant leur parcours, le processus engagé grâce au projet DEFI, le passage de l’activité informelle à l’activité formelle, les interactions entre les différents acteurs (municipalité, habitants, partenaires)…

“Les Mamas de Grigny réalisent 30 repas chaque lundi et jeudi pour le centre communal d’action sociale”

 

Côté terrain, le projet a d’ores et déjà donné naissance à un traiteur solidaire, comme l’explique Roberta Bocca, Cheffe de projet inclusion sociale chez GRDR : “À ce jour, un groupe d’une douzaine de femmes, constitué en association baptisée “Les Mamas de Grigny”, réalisent 30 repas chaque lundi et jeudi pour le centre communal d’action sociale (CCAS) qui les distribue aux personnes vivant dans les hôtels sociaux. C’est très important car les personnes qui y vivent n’ont pas de cuisine et les colis alimentaires ne sont pas adaptés. Le traiteur solidaire des Mamas de Grigny répond à ce besoin.” Et ce n’est qu’une étape du projet puisque le but pour ces femmes est la création d’un restaurant solidaire.

Pour Jonathan Stebig, Coordinateur de l’antenne Île-de-France du GRDR : “Cette activité offre à ces femmes un début de revenu. On peut alors ensuite se pencher sur les autres freins périphériques : éducation des enfants, logement, santé, maîtrise du français, questions juridiques… Souvent, ces sujets sont traités en premier avant la question du travail. Dans notre démarche, faire l’inverse nous permet de ne pas perdre les personnes en cours de route en répondant d’abord à une priorité : les moyens de subsistance. L’argent dégagé n’est pas encore suffisant mais grâce à l’appui de la mairie de Grigny, qui nous laisse le temps nécessaire pour trouver des solutions, on avance.

“Ce projet ramène l’intervention publique auprès de personnes très éloignées de l’État et de ses institutions”

 

Côté recherche, le GRDR s’appuie sur trois démarches méthodologiques : la méthode réflexive, la monographie et l’approche biographique des femmes à travers la narration.

La méthode réflexive consiste à embarquer à la fois les femmes du parvis de la gare et les acteurs de l’accompagnement, y compris la municipalité, dans un processus de co-construction des réponses aux obstacles à l’insertion socio-professionnelle. La monographie est un outil d’investigation qui mêle enquête de terrain et observation directe, approche qualitative et quantitative. Elle permet de collecter les principales données et de créer des indicateurs spécifiques pour analyser finement les vulnérabilités liées au parcours d’insertion des femmes, selon leur profil, leur trajectoire sociale, les discriminations qu’elles subissent et leur lien avec les structures d’accompagnement de la ville. Cette méthodologie repose sur des partenariats étroits entre les acteurs locaux. La narration enfin. C’est un concept phare de la recherche interdisciplinaire en sciences sociales. Le GRDR a choisi l’approche du “récit de vie” qui permet aux femmes, via le dialogue, de prendre du recul sur leur histoire, d’en dégager les moments-clés mais aussi leurs aspirations, leurs besoins et leurs contraintes personnelles afin d’aboutir à la construction d’un projet.

Comme l’explique Amandine Spire, enseignante chercheuse en géographie à l’Université de Paris (UMR CESSMA), spécialiste des questions urbaines et migratoires et membre du comité de pilotage du projet DEFI, cette recherche-action se penche sur “l’étude de la dimension transformatrice du passage de l’activité économique informelle à l’activité formelle de restauration”. “On regarde ce que cela change dans la vie des habitants. On regarde aussi l’accompagnement multidimensionnel (social, juridique…), la collaboration entre les acteurs associatifs, la municipalité, les services de l'État... Ce qui est intéressant c’est que ce projet ramène l’intervention publique auprès de personnes très éloignées de l’État et de ses institutions.

“L’objectif c’est de documenter, d’expliciter les tensions, les ressorts, les non-dits”

 

Concrètement, grâce à une équipe de recherche pluridisciplinaire, des collectes de données sont réalisées par le biais d’observations sur le parvis de la gare, d’entretiens mais aussi d’interviews en binôme avec le cinéaste Olivier Cousin qui documente le projet dans le cadre d’un film sur les Mamas de Grigny… Les entretiens sont menés à la fois avec les femmes, mais aussi plus largement les habitants, les clients du traiteur solidaire, les intervenants sociaux, le personnel de la mairie… Amandine Spire explique : “Nous recueillons la parole des personnes concernées, les parcours migratoires, les conditions de vie… et nous regardons l’écart entre les normes prévues par l’action publique - qui sont nécessaires - et la réalité. Par exemple, le temps de l’action publique ne coïncide pas toujours avec le temps de transition de ces femmes en situation de précarité, en raison de la question de régularisation, d’insertion dans l’emploi, de formation… Par la recherche, on donne à voir ces différences de rythmes. L’objectif c’est de documenter, d’expliciter les tensions, les ressorts, les non-dits aussi, c’est de donner des outils pour faciliter le dialogue entre les acteurs.” La forme que pourront prendre les résultats de cette recherche ira ainsi de l’écriture d’articles ou de rapports académiques dans des revues spécialisées jusqu’à des supports plus ouverts comme le documentaire en cours de réalisation par Olivier Cousin.

“L’idée c’est aussi d’essaimer et de faire gagner du temps à d’autres acteurs, d’autres initiatives.”

 

Pour Roberta Bocca : “ce travail de recherche est complémentaire de l’action, pour produire quelque chose qui va au-delà d’un projet qui concerne une douzaine de femmes. La recherche-action permet de partir du terrain pour structurer des idées théoriques. Elle offre aussi de la visibilité à une activité ponctuelle circonscrite à un quartier qu’il serait difficile de regarder avec du recul autrement. Tout cela doit permettre au final de faire des préconisations pour les politiques publiques des quartiers prioritaires de la ville. L’idée c’est aussi d’essaimer et de faire gagner du temps à d’autres acteurs, d’autres initiatives. C’est une façon de capitaliser sur ce qui a été fait.

Tout comme elle l’a fait en se basant sur les compétences culinaires des Mamas de Grigny, l’association GRDR réfléchit d’ailleurs déjà à utiliser une approche similaire pour d’autres populations en situation de précarité et qui pourrait répondre aux besoins d’emplois non pourvus, par exemple dans le domaine agricole en Ile-de-France. « On travaille avec la coopérative agricole « Les champs des possibles » et on se dit qu’il y a quelque chose à faire dans d’autres secteurs en partant de cette dimension métier et des compétences des individus », précise Jonathan Stebig.

En résumé, le processus de recherche-action met en route une mécanique vertueuse : l’action nourrit la recherche qui elle-même va pouvoir bénéficier aux acteurs de terrain. 

 

 

 

 

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