Cécile Daclin : « Avec sa nouvelle feuille de route stratégique, la Fondation RTE élargit le champ des possibles pour la ruralité »
Nommée déléguée générale de la Fondation RTE (*Réseau de Transport d’Electricité) en novembre 2023, Cécile Daclin a engagé un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes de la Fondation pour définir une nouvelle stratégie. Cette démarche a abouti à l’adoption d’une feuille de route quinquennale, la conduisant en particulier à élargir ses modalités d’accompagnement, intégrant le financement du fonctionnement et un développement de l’extra-financier et à se doter d’un programme en propre. Rencontre.
- Au regard de l’ambition de la Fondation RTE, dédiée à la ruralité, pourquoi cette nouvelle feuille de route stratégique et pourquoi maintenant ?
Cécile Daclin : Nous poursuivons bien sûr le beau chemin parcouru au service de la ruralité depuis la création de la Fondation RTE en 2008, il y a 16 ans déjà. Nous n’en devons pas moins définir un nouveau cap pour nous projeter collectivement, au moment où mon arrivée coïncide à un moment charnière entre deux mandats. Depuis la naissance de la Fondation, le contexte sociétal a beaucoup changé. En 2008, nous étions en pleine crise économique et notre démarche était focalisée sur le développement d’activités créatrices d’emplois. En 2024, nous sommes confrontés à une crise de la cohésion, à ce que nous pouvons même appeler une crise du lien social. Il m’est donc paru essentiel de faire évoluer la mission de la Fondation en cohérence avec cette nouvelle donne sociétale et de repenser notre feuille de route en conséquence.
« En 2008, nous étions en pleine crise économique. En 2024, nous sommes confrontés à une crise de la cohésion, à ce que nous pouvons même appeler une crise du lien social. La Fondation RTE doit évoluer en conséquence. »
- Quelles en sont les lignes de force ?
Elle commence par poser un nouveau cap, sous la forme d’une ambition structurante, définie en lien avec le contexte que j’évoquais à l’instant : contribuer à la cohésion des territoires ruraux.
Pour l’atteindre, nous structurons nos actions autour de six axes stratégiques, validés par nos administrateurs :
- Axe 1 : nous maintenons le soutien aux acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) en ruralité, mais avec des modalités diversifiées et élargies. Nous nous inscrivons dans une posture à la fois plus structurelle et plus horizontale. Au-delà du financement de projet, nous pouvons soutenir une association sans nécessairement flécher sur de l’investissement. Nous nous inscrivons ainsi dans un contrat de confiance avec elle. - Axe 2 : nous développons l’accompagnement extra-financier afin d’apporter un soutien global aux associations. - Axe 3 : nous renforçons notre démarche d’action collective au sein de coalitions. En travaillant avec des associations, d’autres fondations, dont les savoir-faire sont complémentaires aux nôtres, nous démultiplions notre impact. Riche d’apprentissage, le travail collectif mené nous permet de grandir dans notre posture d’acteur au service de l’intérêt général. Comme le dit un proverbe africain, seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ! - Axe 4 : nous lançons notre programme en propre. C’est une évolution tout à fait structurante pour notre Fondation, qui est désormais distributrice et opératrice. - Axe 5 : nous voulons accroître la désirabilité du monde rural, en valorisant, plus et mieux, ce qui fait sa spécificité, son dynamisme et son attractivité. - Axe 6 : nous confortons les liens avec l’entreprise RTE pour faciliter l’engagement des salariés aux côtés de nos bénéficiaires, tout en rendant effective la contribution de la Fondation à la stratégie de responsabilité sociétale de l’entreprise.
« Notre programme en propre nous donne l’opportunité de mener des démarches collectives dans un temps long, en amplifiant notre impact pour le monde rural. »
- Vous en parliez il y a un instant, la Fondation devient opératrice, en se dotant d’un programme en propre sur trois ans. Pourquoi cette inflexion ? Quelles sont les dynamiques de ce programme ?
C’est une évolution naturelle à ce moment de la vie de notre Fondation, qui a atteint le niveau de maturité et la légitimité nécessaires, grâce à sa connaissance de la ruralité et de ses enjeux. Après avoir apporté notre pierre au sein de coalitions, nous sommes prêts à agir aux avant-postes, en initiant un mouvement. Notre programme en propre nous donne l’opportunité de mener des démarches collectives dans un temps long, en amplifiant notre impact pour le monde rural.
Nous avons décidé de flécher ce programme vers les jeunes et les femmes. Deux publics dont le point commun est d’avoir des besoins à la fois immenses et peu couverts. Sur les 670 projets soutenus par la Fondation depuis 2008, seuls 31 ciblent les jeunes et 8 les femmes ! Ces deux publics se situent dans ce que je qualifierais « d’angles morts » des actions philanthropiques destinées aux territoires ruraux. J’ajoute que nous voulons agir de manière systémique, en levant les freins entravant ces publics, en termes de formation, d’emploi, d’accès à la culture, de santé, de pouvoir d’agir… La liste n’est pas exhaustive ! Nous avons également intégré une thématique transverse : les mobilités absolument fondamentales dans ces territoires ruraux.
« Nous avons décidé de flécher notre programme en propre vers les jeunes et les femmes. Deux publics dont le point commun est d’avoir des besoins à la fois immenses et peu couverts. »
- Vous avez sélectionné des acteurs de référence pour mener à bien ce programme. Comment les avez-vous identifiés ?
Nous souhaitons continuer à évoluer au sein de démarches collectives, en créant des coalitions. Nous activons plusieurs leviers stratégiques pour garantir la réussite de notre démarche. Nous travaillons d’abord aux côtés de l’Avise dans le cadre d’un partenariat national. En tant que spécialiste de l’ingénierie globale tournée vers l’ESS et de la ruralité, cet acteur incontournable a choisi d’être à nos côtés et de cofinancer notre programme en propre.
Nous avons aussi initié un partenariat avec l’École nationale des arts décoratifs (ENSAD). Nous sommes convaincus par la démarche à la fois systémique et immersive menée dans son programme Design des mondes ruraux. Sur la question des femmes, nous allons travailler ensemble sur le territoire forestier du Pays de Bitche, en Moselle. Nous recherchons un troisième partenaire avec lequel collaborer sur la question des jeunes. Nous devons affiner notre choix avec nos administrateurs. Nous souhaitons ancrer le travail réalisé pour ce public sur le territoire de l’Aveyron. D’autres partenaires viendront rejoindre le collectif, notamment les opérateurs locaux d’émergence et d’accompagnement, dles chercheurs et universitaires et bien sûr dles collectivités locales et territoriales. Notre ambition est de recenser les besoins spécifiques des jeunes et des femmes de ces deux territoires, d’identifier les freins auxquels ils sont confrontés et de faire émerger des réponses là encore spécifiques.
- Quels bénéfices attendez-vous de ce programme en propre ?
J’en vois trois principaux. Tout d’abord, je l’ai évoqué à plusieurs reprises, nous privilégions une approche systémique consistant à identifier les freins pour ces publics, en particulier en termes de mobilité, afin de permettre l’émergence d’initiatives associatives qui répondent spécifiquement à ces besoins puis de les financer. Nous entendons ensuite développer une méthode susceptible d’être dupliquée dans d’autres territoires. Enfin, nous travaillons en profondeur et nous inscrivons dans un temps long, en termes de diagnostic comme de mobilisation citoyenne. J’ajoute que nous sommes, à la Fondation, dans une démarche ouverte et apprenante : nous ne venons pas avec des solutions toutes faites, nous travaillons avec des partenaires pour avancer ensemble.
- Revenons aux porteurs de projet que vous soutenez de manière classique. Vous souhaitez les accompagner au-delà d’un soutien financier. Comment cela se traduit-il ?
Il s’agit de passer du soutien à l’investissement, que nous pratiquions jusqu’alors, au compagnonnage, afin de placer les porteurs de projet dans les meilleures conditions de réussite possibles. Nous avons pris ce virage depuis quelques années et souhaitons aller plus loin. Notre programme de coaching va être renforcé, tout comme l’accompagnement à la transition, avec la montée en puissance de notre partenariat avec le Mouvement Tilt. Nous allons également proposer un accompagnement à la demande pour aider les associations à réaliser des mesures d’impact social.
Au-delà, nous avons la volonté de nous s’inscrire, avec elles, dans un contrat de confiance, qui peut être pluriannuel. Cet accompagnement extra-financier est doublement vertueux pour les structures soutenues : elles peuvent se focaliser sur l’action associative, qui est leur cœur de métier, et amplifier leur impact au service de leurs bénéficiaires.
« Nous voulons passer du soutien à l’investissement que nous pratiquions jusqu’alors au compagnonnage afin de placer les porteurs de projet dans les meilleures conditions de réussite possibles. »
- Cette feuille de route prévoit aussi de renforcer les liens de la Fondation avec RTE. Comment ? Quelles retombées en attendez-vous ?
Nous ne partons pas de zéro. Bien au contraire. Historiquement, les salariés de RTE peuvent parrainer des associations. Nous avons ajouté à cela le coaching, que nous développons depuis un an, et RTE donne aux salariés la possibilité de s’engager en mécénat de compétences. Dit autrement, nous souhaitons faciliter et favoriser le passage à l’action des salariés. RTE est une entreprise engagée et je suis convaincue que l’engagement constitue, pour toute entreprise, une formidable source d’attractivité, de fierté d’appartenance et d’épanouissement professionnel et personnel.