[HORS-FRONTIÈRES] Le « Giving Pledge », quel impact 10 ans après ?
Tout le monde connaît le Giving Pledge, cette promesse faite par quelques-uns des plus riches de ce monde de donner la majeure partie de leur fortune au moment de leur mort. Mais, dix ans après ses prémices et neuf après son lancement en août 2010, où en est cette initiative qui voulait transformer la philanthropie ?
« La plus grosse levée de fonds de tous les temps »
Si l'on en croit le Chronicle of Philanthropy, c'est en juin 2009 qu'est organisé le dîner qui permettra de jeter les bases de ce qui sera plus tard décrit comme « la plus grosse opération de fundraising de tous les temps ». Les Gates, Buffet, Bezos (Jeff Bezos n'est pas signataire du pledge) et d'autres s'engagent alors à donner au moins la moitié de leur fortune à leur mort via un contrat moral. Le pledge se veut en effet une promesse, publique, et non un contrat légal opposable. La réflexion est cependant relativement ancienne. Dans un article de 1986, Warren Buffet répondait fermement « non » à la question « devez-vous laissez toute votre fortune à vos enfants ? ». Dès 2006, le fondateur de Berkshire Hathaway indiquait d’ailleurs vouloir léguer la majeure partie de son patrimoine à cinq fondations (dont la Fondation Gates).
Les réactions sont à l'époque enthousiastes : le journaliste Carol Loomis va jusqu'à intituler un billet sur le Giving Pledge « le challenge des 600 milliards ». Cette somme correspond à 50 % des actifs du Fortune 400 et est annoncée par M. Loomis comme l'objectif « minimum » du Pledge. Le directeur du Foundation Center est également dithyrambique : « Cette initiative peut être un fantastique accélérateur [to turbocharge] pour la philanthropie dans les années à venir. » 40 signataires sont annoncés dès le début, un chiffre qui double en un an (90 signataires) et, dix ans plus tard, le GP indique rassembler 204 « pledgers » de 23 pays.
Un impact sur la générosité des plus riches qui se fait attendre
Pourtant, force est de constater que cet élan n’a pas eu l’impact que certains imaginaient. En effet, aux USA (pays dont viennent la majorité des pledgers), la générosité des individus a peu évolué en volume (2 % du PIB environ). Mais qu’en est-il des très riches ? Pas d’impact remarquable non plus puisque les plus fortunés des Américains donnent moins vite qu’ils n’amassent de nouveaux actifs. Dans cette même dynamique, certains ont été critiqués pour avoir réalisé de gros dons aux fonds philanthropiques créés par… leurs gestionnaires de fortune : les « donors advised funds ».
Bill et Melinda Gates ont d’ailleurs dû confesser récemment qu’ils ne savaient pas si le Giving Pledge encourageait effectivement ses membres à « donner plus et mieux » puisqu’aucun engagement légal ni suivi n’est réalisé. Pour certain, signer le Giving Pledge fut un coup de pub, pour d’autre, il fut simplement l’occasion de formaliser des engagements qui avaient déjà été pris par ailleurs (comme W. Buffet donc mais aussi P. Omidyar fondateur d’Ebay…). Enfin, et selon le décompte du Chronicle of Philanthropy, seul un milliardaire américain sur six a signé le Giving Pledge. Manquent notamment à l’appel les fondateurs de Google, les héritiers de Walmart ou les frères Koch, tous parmi les 20 plus grosses fortunes des USA. Pourtant, la promesse initiale de donner la « vaste majorité » de sa fortune à sa mort s’est transformée par l’engagement d’en donner 50 % au moins.
Faire de la générosité un élément clé du parcours entrepreneurial
Si les volumes de dons ou de legs aux USA n’ont pas été manifestement affectés par le Giving Pledge, force est de constater que ce dernier a néanmoins eu un réel impact culturel. Ainsi, le classement de Forbes inclut maintenant un indicateur philanthropique en plus de l’estimation de la fortune de ceux qui y figurent. Pour calculer cet indice, seuls les dons réalisés à date sont comptabilisés (le Giving Pledge ne compte donc pas). En s’appuyant sur les données à disposition, les journalistes de Forbes notent de 1 à 5 les milliardaires en fonction du montant de leurs dons (moins de 30 millions de dollars, 30-99 millions de dollars, 100-299 millions de dollars, 300-999 millions de dollars, plus d’un milliard de dollars). Un second classement est opéré en fonction du ratio dons/actifs possédés à date (20 % ou plus vous donne 5/5). Le « score philanthropique » est la moyenne des deux. Seuls 29 personnes obtiennent la note maximale, 55 obtiennent 4/5. À noter qu’une petite étoile distingue les « impact investors » du classement.
Un autre impact culturel s’est fait jour au-delà des frontières. Si à ce jour seul un signataire sur cinq du Giving Pledge réside en dehors des USA, la générosité est devenue un élément du parcours entrepreneurial. Quand le fondateur d’Alibaba, Jack Ma, quitte son entreprise en pleine gloire, il le fait avec l’ambition de faire « comme Bill Gates » et de se consacrer à ses activités philanthropiques. D’autres initiatives ont fleuri comme le Founders Pledge, le « Pledge 1% », etc.
L’impact du Giving Pledge se ressent également en France où les débats autour de la réserve héréditaire se sont souvent cristallisés sur l’impossibilité (relative) d’un Giving Pledge à la française. La récente initiative « Changer par le don » par laquelle les présidents d’Axa et Sanofi appelaient les Français les plus aisés à donner au moins « au moins 10 % de leurs revenus annuels ou de leur patrimoine à des associations, fondations ou fonds de dotation » relève de la même dynamique.
Si le Giving Pledge prête le flanc à plusieurs critiques, on ne peut que constater qu’il participe à faire du don un élément à part entière du parcours de vie des plus fortunés ou de ceux qui aspirent à l’être.