[ON Y ÉTAIT] ESSEC : Le don rend-il heureux ?
À l’occasion de son séminaire Lunch & Learn, la chaire de Philanthropie de l’ESSEC présentait mardi 20 juin une conférence intitulée « Du bonheur d’être philanthrope : le don vu par l’économie du bonheur ». Animé par son directeur Arthur Gautier ainsi que par ses invités Nolwenn Poupon, responsable de la communication chez France générosités, et Mickaël Mangot, docteur en économie, le débat a permis d’apporter un éclairage théorique et pratique à propos des liens entre don et bonheur. Les gestes philanthropes rendraient heureux et seraient bénéfiques à l’équilibre émotionnel de chacun.
Le don sous l’angle du bonheur : une approche à contrepied
Le constat des chercheurs et des professionnels du secteur de l’intérêt général est unanime : le don est souvent pensé comme une obligation morale, placé sous le signe de la culpabilité. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les campagnes de communication lancées par les associations pour trouver des donateurs. Photographies « chocs », slogans pathétiques, ton grave et sentiment d’urgence se côtoient pour convoquer la générosité des particuliers. Les économistes du bonheur ont cependant voulu prendre le contrepied de ces idées et ont fait du « don » un véritable objet de recherche. L’objectif de cette nouvelle branche de l’économie est d’analyser les perceptions subjectives des agents relativement à leurs pratiques économiques. La question s’est alors rapidement esquissée : donner rend-il plus heureux ? Bonne nouvelle pour les philanthropes, de récentes études prouvent que donner du temps pour les autres ou de l’argent, impacte positivement le bonheur.
« Du bonheur d’être philanthrope »
Le don, explique Mickaël Mangot, influe sur les trois dimensions du bonheur. À court-terme, il provoque des émotions positives et procure un sentiment de satisfaction. Un résultat d’ailleurs confirmé par des neuroéconomistes qui ont remarqué que le don mobilise les zones cérébrales de la récompense. À moyen-terme, les effets positifs de la générosité sont aussi constatés ; les particuliers gardent en mémoire pendant plusieurs mois leurs contributions. Enfin, la capacité à s’engager pour des causes permet à chacun de donner du sens à son existence et de se forger un bonheur durable. Des résultats similaires sont observés pour le bénévolat ou le mécénat de compétences, qui sont des gages d’altruisme et qui initient un cercle vertueux. Un bilan plus qu’encourageant, qui rompt avec le vieux refrain d’un bonheur lié au seul niveau de richesse et à la capacité de consommation. Agir pour les autres et pour soi aurait donc davantage de valeur et d’impact que ce qu’on imagine communément. Gallup, qui publie chaque année le World Happiness Report, a établi à ce sujet une équivalence saisissante : à l’échelle mondiale, le fait d’avoir donné pour une cause lors des précédents mois a le même effet sur le bonheur subjectif qu’un doublement de salaire… Un exemple à retenir pour décrocher le dernier mot, lors de débats avec d’incorrigibles pessimistes.
Le bonheur à l’épreuve de la finance et de la fiscalité
Mickaël Mangot ne manque pas de souligner l’importance d’avoir conscience de notre acte généreux pour profiter de ses bénéfices-bonheur. La pratique du don par prélèvement bancaire automatique ou encore la mise en place de dispositifs d’incitations fiscales font alors débat. S’ils sont vitaux pour le secteur de l’intérêt général, à travers la loupe de l’économiste, ils peuvent induire des effets pervers. L’enjeu pour les acteurs qui font appel aux contributions privées, tient alors à faire en sorte que les donateurs gardent à l’esprit leur geste bienveillant et qu’il ne soit pas réduit à un chiffre en moins sur leurs comptes bancaires. Quant à la fiscalité avantageuse, si elle booste les montants, elle nuit à l’intensité du bonheur, finissant par diluer le sens des actions des particuliers puisque le don apparaît comme un objet monétisable. Les protestations se font déjà entendre : supprimer la réduction d’impôt ? Une folie pour beaucoup. Mickaël Mangot rassure et présente l’alternative anglaise, beaucoup plus efficace. Au lieu d’un abattement fiscal, l’État anglais propose un abondement. Pour chaque don privé, il s’engage par exemple à reverser l’équivalent de son montant à l’association bénéficiaire. Un système incitatif donc, qui pourrait corriger les biais économiques introduits par les pratiques françaises.
De la théorie à la pratique : France générosités réinvente sa communication
À la lumière des premiers éclairages théoriques, Nolwenn Poupon prend la parole et s’engage, pour sa part, dans un témoignage de « terrain ». Au cœur de la dernière campagne de communication de France générosités un seul objectif : véhiculer un message positif afin de mobiliser des particuliers qui ne donnent pas habituellement. Le réseau de ces 91 associations a donc choisi comme angle d’attaque le bonheur. Sur les affiches et visuels, pouvait se lire le slogan suivant : « Faites-vous du bien, faites du bien aux autres » ainsi que le message « donner fait du bien aux autres et à soi-même », semblable aux sempiternels « manger au moins cinq fruits et légumes par jour ». L’équipe de communication, dirigée par Nolwenn Poupon, espérait apporter une réponse aux particuliers qui estiment que leur don ne sert à rien. À la question du bilan de cette campagne, la jeune responsable confie qu’il n’a pas été possible de réaliser des études d’impact précises, manque de budget, mais affirme d’importantes retombées médiatiques : plusieurs JT de 20h, des slogans déclinés pour toutes les causes, des actions de visibilité simultanées… En somme, un souffle de bonheur s’est diffusé sur tous les écrans. France Générosités espère bien rester dans cette même dynamique pour les années à venir.
Donner pour soi : un geste paradoxal ?
Si l’enthousiasme ne manquait pas pendant cette trentième édition du Lunch & Learn de l’ESSEC, reste une question en suspens. Donner pour son propre bonheur n’est-ce pas paradoxal ? Nolwenn Poupon souligne qu’un de ses adhérents a exprimé son désaccord avec la campagne de communication, pour la simple raison : « je ne donne pas pour moi, je donne pour autrui ! » Un commentaire qui apparaît pertinent, dès lorsqu’on souhaite prendre du recul par rapport aux contenus qui nous ont été présentés. Le débat se fait vif dans la salle. Le sujet est en effet problématique, s’il est certes enviable de sortir des logiques d’un don culpabilisant, doit-on pour autant en faire un objet de satisfaction personnelle, perdant progressivement sa vocation altruiste première ? Mickaël Mangot apporte un éclairage scientifique à ces interrogations qui parcourent la salle : « le bonheur est toujours oblique, il ne s’atteint jamais directement ». Ainsi, si nous donnons pour être heureux, nous ne sommes pas heureux mais si nous donnons pour donner, alors nous sommes heureux. Dernier paradoxe qui ne manque pas de retenir l’attention et de conclure le séminaire sur une note définitivement altruiste et optimiste.