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Par Carenews INFO - Publié le 6 février 2018 - 10:24 - Mise à jour le 15 octobre 2019 - 16:15
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[ÉGALITÉ DES CHANCES] [CNJ] Le défi de l'égalité

Depuis près de trente ans, la société française s’arrache les cheveux pour tenter de réparer l’ascenseur social. Éducation prioritaire, tutorat, passerelles simplifiées vers les grandes écoles, promotion de la diversité dans les entreprises... les nombreuses initiatives lancées ne suffisent pas. Le système éducatif français reste le plus inégalitaire des pays de l’OCDE. Des inégalités perçues dès le CP et que l’école ne cesse de creuser au fil du parcours de l’élève. Et si la promotion de l’égalité des chances laissait place à celle de l’égalité des acquis ? C’est probablement l’enjeu pour l’école du XXIe siècle, obligée de recentrer ses efforts sur les fondamentaux et la pédagogie. Et déjà, sur le terrain, professeurs et associatifs expérimentent pour redonner aux élèves l’envie d’apprendre.

[ÉGALITÉ DES CHANCES] [CNJ] Le défi de l'égalité
[ÉGALITÉ DES CHANCES] [CNJ] Le défi de l'égalité

 

L’école française peut-elle garantir l’égalité des chances ? Vous avez quatre heures. Ce casse-tête digne d’une dissertation de philosophie occupe la société française depuis plus de trois décennies. L’égalité des chances, c’est donner les mêmes opportunités à chaque individu, quelle que soit son origine sociale ou ethnique. À l’école ou dans le monde du travail, ce thème qui fait désormais consensus d’un gouvernement à l’autre a fait en France l’objet d’une politique volontariste. Sauf qu’à l’heure du bilan, c’est la douche froide pour l’école républicaine.

Chargé par le ministère de l’Éducation nationale d’évaluer l’école française, le Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire (Cnesco), après deux ans de recherche, rend son rapport en décembre 2016 : la France possède le système scolaire le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, elle est le pays où la corrélation entre performances et milieu socio-économique est la plus forte (20 % en France, contre 13 % en moyenne dans l’OCDE). Mais cette fois, l’étude analyse dans le détail les causes de ces résultats : l’école hérite d’inégalités familiales certes, mais elle produit, en son sein, à chaque étape de la scolarité des inégalités sociales (ressources, résultats, orientations, rendement des diplômes) qui se cumulent et se renforcent. L’éducation prioritaire en prend pour son grade : les élèves ont les professeurs les moins expérimentés, des méthodes de pédagogie de moins bonne qualité et des temps de travail plus courts que les autres. De quoi ressortir les bouquins de Pierre Bourdieu sur la reproduction sociale et revoir sur l’heure sa copie sur l’école.

C’est ce qu’a commencé à faire le nouveau gouvernement en concentrant ses efforts sur l’apprentissage des fondamentaux au primaire. Alors qu’un enfant sur cinq entre au collège sans savoir lire correctement, cette stratégie met aujourd’hui tout le monde d’accord. 100 % de réussite au CP, c’est le nom du plan lancé dès cette rentrée 2017 par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. Ainsi, depuis septembre, les effectifs de CP en REP+* sont dédoublés avec douze élèves maximum par classe. D’ici 2020, ce dispositif concernera les 287 000 élèves scolarisés aux CP et CE1 en REP et en REP+. Les premiers retours récoltés depuis son application semblent positifs, mais il en faudra probablement davantage pour redonner un second souffle à l’enseignement prioritaire, socle de la politique d’égalité des chances menée par la France depuis trente ans.

 

Égalité versus équité

 

C’est avec la promesse de “donner plus à ceux qui ont moins” qu’Alain Savary, ministre de l'Éducation de Pierre Mauroy, crée en 1981 les Zones d’Éducation Prioritaires (ZEP). À l’époque, grâce au travail des sociologues, on met en relation les résultats scolaires des élèves avec leur origine sociale et leur situation géographique. Une sacrée avancée, là où avant on estimait que si un élève ne réussissait pas, c'est tout simplement qu'il n'était pas doué. Avec la création des ZEP, pour la première fois dans l’histoire de l’école, une stratégie inégalitaire est mise en œuvre dans un but d’équité. C’est le début de la discrimination positive. ZEP, REP, REP +, au fil des décennies, l’éducation prioritaire – à l’origine provisoire – change de nom, mais s’installe durablement dans les politiques éducatives de droite comme de gauche.

Au début des années 2000, la montée du chômage et la crise des banlieues font voler en éclat le mythe de la France black-blanc-beur. Les mouvements antiracistes dénoncent les discriminations à l’embauche et plus généralement la non-représentativité des minorités dans le monde du travail. Commence alors une politique de “promotion de la diversité”. Une à une, les grandes écoles intègrent la discrimination positive. Science Po crée en 2001 une voie d’entrée prioritaire pour des jeunes de quartiers défavorisés. En 2002, l’ESSEC lance son programme Pourquoi pas moi ?, un système de tutorat entre étudiants et lycéens de quartier prioritaire. Il inspirera la création en 2008 des Cordées de la réussite, un dispositif étatique national de tutorat mené par les universités et les grandes écoles à destination des collèges et lycées, défavorisés ou non. L’objectif étant d’éviter le décrochage scolaire et d’inciter les jeunes à poursuivre leurs études dans le supérieur.

Dans le même temps, le monde de l’entreprise s’empare lui aussi du sujet. En 2004, une trentaine de grandes boîtes cotées en bourse s’engagent dans une charte à “chercher à refléter la diversité de la société française”. Plusieurs associations voient le jour pour créer des ponts entre deux univers de plus en plus éloignés : Passeports d’Avenir en 2004 ou l’association NQT (Nos Quartiers ont des Talents) en 2005 lancent des systèmes de parrainage entre des jeunes lycéens ou diplômés vivant dans des quartiers classés prioritaires et des cadres en entreprises. Commence alors une lente prise de conscience qui donne lieu en 2008 à la création d’un Label Diversité pour les entreprises publiques et privées. Une série d’avancées législatives viennent ensuite encadrer dans l’entreprise la parité homme/femme ou l’intégration de personnes en situation de handicap par les quotas. Mais pas les origines ethniques –  leur recensement est interdit en France –  ou socio-économiques.

Dans un rapport bilan publié en 2014 sur les politiques de diversité, l’Institut Montaigne, think tank libéral, note que les entreprises n’ont pas les moyens de “corriger des discriminations issues des inégalités subies tout au long de la scolarité”. En gros, avant de penser aux grandes écoles et au marché de l’emploi, il faut s’attaquer aux bases de l’inégalité : à l’école. Dans ses recommandations, le Cnesco conclut que “l’école doit assurer en primaire et au collège l’égalité des acquis pour qu’ensuite, une fois les orientations prises au lycée, le principe d’égalité des chances méritocratique puisse s’appliquer”. Pour que la compétition soit juste, il faut déjà pouvoir se battre à armes égales.

 

L'école du futur

 

Et pour transmettre ces fondamentaux, au primaire comme au collège, la méthode d’enseignement reste décisive. Or, 40 % des enseignants français s'estiment “très peu préparés” au volet pédagogique de leur métier, selon un rapport de 2015 de l’OCDE. Soit la proportion la plus élevée parmi les 34 pays participant à l’enquête. La pédagogie est aujourd’hui au centre de la recherche. Et tous les acteurs de terrain se posent quotidiennement la question : comment intéresser et motiver chacun dans l’apprentissage ?

Certains professeurs adoptent déjà des méthodes alternatives d’enseignement. Par exemple la méthode Freinet, introduite dans les années 1920 pour remettre l’enfant au coeur de l’enseignement : fini l’esprit de compétition, pas de devoirs à la maison ni de notes, mais des dialogues d’évaluation et la promotion d’activités de collaboration pour donner envie de progresser. Cette pédagogie présentée comme “émancipatrice dans la lutte contre les inégalités” est aujourd’hui portée par l'Institut Coopératif de l'École Moderne (ICEM), association agréée par le ministère de l'Éducation nationale. S’il n’existe aujourd’hui qu’une vingtaine d’écoles primaires publiques 100 % Freinet, quelque 3 000 enseignants appliquent la méthode de leur propre chef. Parmi eux, des enseignants de l’éducation prioritaire, dont les témoignages enthousiastes après expérimentation se multiplient sur le web. D’autres méthodes alternatives, comme Montessori – retrait du professeur, autonomie et développement sensoriel – ont fait leur preuve, mais restent cantonnées aux écoles privées en raison de leur coût d’application prohibitif.

Les technologies bousculent également les pratiques pédagogiques, non sans attirer les critiques. C’est le cas de la plateforme d’expérimentation Agir pour l’École, créée en 2010 par le directeur de l’Institut Montaigne Laurent Bigorgne pour lutter contre l’échec scolaire. L’association expérimente dans quelques écoles de l’enseignement prioritaire l’apprentissage de la lecture en utilisant la phonologie ou l’expression orale via des applications sur tablette. Les résultats à long terme de cette méthode font actuellement débat, mais cette orientation fait écho à “l’école du langage” souhaitée par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer (membre du comité d’Agir pour l’école avant d’entrer au gouvernement).

Sur son site, la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI) référence une douzaine de projets expérimentaux répartis sur tout le territoire. Certaines de ces initiatives ont attiré l’attention de l'accélérateur en innovation sociale Ashoka. Depuis 2015, les Changemaker Schools rassemblent en réseau des établissements scolaires “qui font de la démocratie, de la citoyenneté et du vivre-ensemble la colonne vertébrale de leur proposition pédagogique, tout en favorisant l’acquisition des savoirs fondamentaux”. Redonner du sens à l’apprentissage, démontrer en pratique que l’envie d’apprendre facilite la capacité d’agir pour changer le monde. C’est peut-être ça l’école du futur, véritablement garante des principes républicains.

Focus sur la Finlande

 

Au sein de l’Europe, le système éducatif finlandais combine excellence et équité. Légèrement en perte de vitesse ces dernières années, la Finlande reste tout de même dans le top 5 des classements Pisa, qui évalue le niveau des élèves des pays de l’OCDE. L’école finlandaise est également reconnue comme étant l’une des plus égalitaires. Pour garantir l’égalité des chances, les Finlandais misent sur une pédagogie bienveillante et sur une sélection stricte des professeurs. Quelques exemples :

- Appréciation plutôt que notation : pendant les six premières années, les enseignants ne notent pas les élèves, mais donnent des appréciations qui sont des conseils pour progresser, sans jamais comparer les élèves.

- Auto-évaluations en groupe : non seulement sur les savoirs scolaires, mais aussi sur les aptitudes sociales (travailler en groupe, être un bon camarade, se concentrer). Ces échanges favorisent la cohésion de la classe et la maturité des élèves.

- Journée de 6 heures maximum : les enfants finlandais détiennent le record du minimum d'heures de cours dans l'OCDE.

- Éviter les devoirs à la maison : l’essentiel du travail se fait en classe, ce qui évite de creuser les inégalités entre les élèves et de démotiver les plus en difficulté.

- Aide personnalisée : chaque enfant peut obtenir gratuitement un soutien individuel pédagogique général ou bien pour une matière spécifique.

- Des profs triés sur le volet : le métier de professeur en Finlande est très prestigieux, car c’est aussi l’une des filières professionnelles les plus sélectives du pays.

 

Les chiffres-clés

 

- 1 élève sur 5 ne sait pas lire correctement à l’entrée au collège

- 98 000 élèves par an sortent du secondaire sans aucun diplôme

- 40 % des enfants de cadres et enseignants ont un bac+5 contre 4 % pour les enfants d’ouvriers

- En Zone Urbaine Sensible (ZUS) 61 % des jeunes de moins de 30 ans ont un niveau d’étude inférieur au baccalauréat contre 37,7 % sur le reste du territoire.

 

Coup de pouce, le jeu pour apprendre

 

Pour lutter contre les inégalités à l’école, Coup de pouce met le paquet dès le primaire. L’association créée il y a vingt ans propose un accompagnement ludique et gratuit après l’école pour des enfants montrant certaines difficultés d’apprentissage. Après la réussite de son dispositif Coup de pouce Clé dédié à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture au CP, l’association vient de lancer son deuxième volet d’action : Coup de pouce Clém pour les enfants de CE1. Trois soirs par semaine pendant 1h30, les animateurs professionnels utilisent le jeu pour stimuler autrement les enfants. Pendant les séances, deux tiers du temps sont consacrés aux mathématiques et un tiers à la lecture. Une série d’outils sont mobilisés pour permettre aux enfants d’appréhender de manière concrète des notions numériques ou géométriques vues en classe : puzzles géométriques, modèles de dessins ou encore jeux de différence. Après une première phase d’expérimentation lancée en 2012, le dispositif a été étendu cette année à 55 villes sur le territoire et vise à prendre en charge 1 000 nouveaux enfants. Pour l’association, “l’échec scolaire précoce se joue au moins autant dans la famille qu’à l’école”. C’est pourquoi elle met un point d’honneur à impliquer les parents dans l'accompagnement de l’enfant en leur proposant de venir assister aux séances. Ils peuvent ensuite s’emparer des méthodes ludiques proposées à la maison. Depuis sa création en 1994, l’association Coup de pouce a déjà accompagné plus de 100 000 enfants et leurs parents.

Le coût annuel de cet accompagnement par enfant est de 1 500 euros (1 200 pour la municipalité, 300 pour l’association). Une somme relativement modeste au regard du coût global de l’échec scolaire, estimé en 2014 par le think tank Terra Nova à 24 milliards d’euros.

Le dispositif Coup de Pouce Clém reçoit le soutien de la Fondation FDJ.  

Réseau Étincelle, le jeu de rôle pour les décrocheurs

 

Comment réorienter les décrocheurs scolaire ? Un réel challenge pédagogique alors que près de 100 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme du système. L’association Réseau Etincelle a eu une idée : leur proposer de se mettre dans la peau d’un entrepreneur en créant un projet d’entreprise virtuelle. Lors de sessions de 60 heures réparties sur 9 semaines, une dizaine de jeunes, âgés de 16 et 30 ans travaillent sur leur concept, encadrés par des professionnels engagés (coach, formateur, chef de projet, dirigeant…). Au fil du stage, les jeunes découvrent l’entreprise, son fonctionnement, ses attentes et reprennent progressivement confiance en eux. Une véritable pédagogie alternative par le jeu de rôle. L’expérimentation lancée en 2010 dans les Hauts-de-France a depuis fait des petits : le Réseau Étincelle s’est étendu à l’Alsace, l’Île-de-France, et, depuis 2015, au Pays de Loire. Destinés à l’origine aux décrocheurs scolaires, de plus en plus de diplômés sans emploi participent également à ces stages.

À l’issue du programme, les participants présentent leur projet d'entreprise et son business plan. Ils obtiennent ainsi une certification à ajouter à leur CV. Mais surtout, ils remettent le pied à l’étrier. En 2016, l’action du Réseau Étincelle a permis le retour à l’activité de 54 % des participants (30 % ont décroché un job, 13 % ont intégré une formation et 10 % ont choisi un parcours Garantie jeunes). Mais surtout, et c’est l’objectif premier de l’association, 97 % des jeunes ont “entretenu l’étincelle” et pris des initiatives pour leur avenir professionnel.

Le Réseau Étincelle reçoit le soutien de la Fondation FDJ.

 

Les voyageurs du numérique, au code citoyens !

 

Java, PHP, Python… Si ce que vous venez de lire ne vous dit rien ou vaguement, c’est normal. Comme vous, une majorité de Français utilise au quotidien les technologies sans réellement comprendre leur langage. Pourtant, le code informatique sera probablement la langue du XXIe siècle. Et la maîtrise du digital une clé d’insertion indispensable pour les jeunes générations.

C’est ce double constat qui a poussé l’association Bibliothèques sans Frontières à créer le programme Voyageurs du Numérique, une initiation au codage informatique et aux usages du numérique ouverte à tous.

Dans les écoles, les bibliothèques, les centres sociaux, les foyers de migrants ou les missions locales, les médiateurs citoyens proposent des formations gratuites au codage et à l’univers du numérique. Une manière de réduire les inégalités entre les pros de la technologie informatique et les usagers qui consomment ces outils sans réellement les comprendre. Destiné aux enfants comme aux adultes, le programme propose plusieurs formules adaptées, des ateliers d’initiation aux stages intensifs. L’idée étant de mettre directement les mains dans le cambouis en équipe et de repartir avec un projet digital fini.

Ce programme s’inscrit dans la continuité du projet Bibliothèques sans Frontières qui vise “à renforcer la capacité d’agir des populations à travers l’accès à l’information, l’éducation et la culture en projetant la bibliothèque là où elle n’est pas pour la rendre accessible aux plus fragiles”. Lancé en 2014 dans les bibliothèques de Montreuil, le programme Voyageurs du numérique compte déjà plus de 80 clubs entre la France et la Belgique. Les formations sont dispensées par des professionnels ou de simples amateurs du digital désireux de transmettre et de continuer à apprendre en faisant.

Et pour démocratiser toujours plus les savoirs, Voyageurs du numérique propose à tous les citoyens volontaires de rejoindre le mouvement. Comment ? En créant son propre club près de chez soi. L’association met à disposition sur son site un guide regroupant toutes les informations pratiques, conseils pédagogiques et techniques utiles pour devenir un médiateur du numérique. Et pour sensibiliser l’ensemble du territoire à leur action, le mouvement planche à l’organisation d’un Tour de France des Voyageurs du Numérique.

Voyageurs du Numérique reçoit le soutien de la Fondation FDJ.

 

* REP+ : Réseaux d’Éducation Prioritaire renforcés. Mis en place en 2015 par l’Éducation nationale, ce label permet à l’établissement de concentrer davantage de moyens humains et financiers pour la réussite de tous les élèves.

 

 

Article extrait du Carenews Journal N°10, consacré à l'égalité des chances. Numéro soutenu par la Fondation FDJ  

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