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Par Carenews PRO - Publié le 22 octobre 2020 - 08:00 - Mise à jour le 15 septembre 2021 - 10:42
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Alice Barbe : « Les arrivants réfugiés ont souvent fui une guerre et déjà vécu un couvre-feu. Ils font preuve de résilience »

Face au constat, ces dernières semaines, de l’accélération de la pauvreté des populations les plus fragiles, puis des annonces de couvre-feu dans les grandes métropoles françaises, nous avons donné la parole à Alice Barbe, directrice et co-fondatrice de l’association Singa France. Rencontre.

Crédits LP/Jean Nicholas Guillo
Crédits LP/Jean Nicholas Guillo

 

Alice Barbe nous explique comment, depuis le déconfinement, les arrivants réfugiés font preuve de résilience face aux nouvelles mesures annoncées, notamment le couvre-feu. Elle nous livre un état des lieux optimiste malgré la crise sanitaire et économique chez des arrivants qui ont encore plus envie de se sentir utiles et de créer des Singa partout où ils se trouvent. Détails. 

 

  • L’élan de solidarité de la période du confinement chez Singa France a-t-il perduré post-confinement ? Qu'en est-il aujourd'hui ?  

Depuis le déconfinement du printemps, la belle mobilisation qui avait pris forme pendant les deux mois de confinement a perduré, oui. En revanche, côté événements, tous ont été reportés pendant la période estivale, puis annulés récemment avec les dernières annonces du couvre-feu dans certaines régions. Face à cela, nous avons dû nous mobiliser autrement. 

Pendant le confinement, la vague de solidarité a été réelle, l’envie de se mobiliser pour les autres n’a cessé de croître. Nous avons maintenu des événements en ligne pour faire perdurer cette envie de se rencontrer. Malheureusement, ce n’était pas si facile pour les arrivants ou certains locaux. On a constaté qu’ils avaient du mal à se connecter aux réunions à distance, parce qu’il fallait un ordinateur, être derrière un écran, ou encore par pudeur de se dévoiler dans l’intimité de leur appartement. Pour répondre à leurs attentes et à leur fort désir de mobilisation, nous avons décidé de créer la plateforme de matching allomondo.org. Ce lieu digital de rencontre entre locaux et arrivants a rassemblé près de 1 000 personnes, et 700 “matchings” se sont créés, entre réfugiés arrivants et locaux. Ces matchings correspondent à des contacts virtuels sur la plateforme en premier lieu, puis ils se transforment en contacts téléphoniques, et ensuite, en véritables rencontres, quand c'est possible. Je pense que ce succès est à mettre en perspective avec leurs envies de changement pour le monde d’après. 

 

  • Comment les arrivants vivent-ils cette crise sanitaire en France ?  

Les arrivants réfugiés comme les locaux veulent changer les choses. Que cela soit le climat, les croyances, les religions, ils ont bel et bien conscience d’être dans une période d’urgence et veulent se sentir utiles. N’oublions pas que les arrivants ont très souvent fui une guerre ou des persécutions. Le confinement, le couvre-feu, ils connaissent bien ! Cela peut d’ailleurs raviver des traumatismes pour certains d'entre eux. Ils ont pu faire preuve de résilience avec les locaux, qui subissaient, pour la plupart, un confinement pour la première fois.

 

  • Qu'en est-il des entrepreneurs réfugiés que Singa France a accompagnés pendant le confinement ? Comment s'est déroulé le déconfinement pour eux ?  

Les réfugiés entrepreneurs qui avaient un projet ont effectivement réussi à le mener à terme. Nous avions deux incubateurs en France, et sept au total en Europe. Nous allons en ouvrir deux autres l’année prochaine. De nombreux nouveaux arrivants lancent des projets liés à la cuisine : restaurants ou traiteurs, à l’instar de Pizza Bobo à Paris ou Meet my Mama. Or, avec le couvre-feu instauré à 21h, je ne sais pas quel sera l'impact sur leurs petites entreprises. Je pense notamment à Carlos et à sa société de torréfaction de café, Populaire. Il a choisi de réaliser la torréfaction à Montreuil et de livrer son café à vélo, sur un modèle de circuit court. Comment va-t-il vivre l’annonce du couvre-feu ? A suivre...

 

  • La crise de la Covid-19 a-t-elle eu un impact sur la façon dont les associations sont soutenues par le gouvernement ? Comment vivez-vous ce moment ? 

Rappelons que l’objectif de Singa France est de disparaître un jour. Je le dis souvent, nous sommes là, à un moment, pour permettre à chacun, sans distinction d’origine, de s’épanouir où qu’il soit. Mais quand la société n’aura plus besoin de notre association, nous aurons réussi notre mission et nous n’aurons plus de raison d’être. Réussir l’inclusion des personnes réfugiés dans la société, c’est un travail sur le long terme. Nous sommes amenés à travailler avec l'Etat, les collectivités très régulièrement. Avec la situation de crise actuelle, l’Etat est dans une démarche de gestion de l’urgence, ce qui est compréhensible. Et encore, en France, on a beaucoup de la chance. Quand je vois la situation de Singa en Italie ou en Espagne, le soutien des gouvernements n’est pas du tout le même qu’ici concernant la question des réfugiés. Chez Singa France, nous continuons à mener des missions de conseil auprès des entreprises afin qu'elles puissent dépasser certaines questions, par exemple sur les préjugés racistes, et ce afin de travailler avec un maximum de partenaires et de diversifier nos revenus.

  • Rêvons un peu, quel serait le monde d'après idéal d’après vous, si vous aviez une baguette magique pour changer les choses en profondeur ? 

Tout d’abord, je pense qu’il serait nécessaire que l’inclusion se fasse sur du long terme, pour que les personnes réfugiées puissent accéder à un statut qui leur permettent de s’épanouir, d’avoir des amis, un travail…

N'oublions pas que les crises en général, cette crise sanitaire en particulier, creusent encore plus les inégalités. Une pandémie, ce n’est pas rien. Les derniers chiffres publiés par Oxfam démontrent que 32 des plus grandes entreprises ont enregistré une hausse spectaculaire de leurs bénéfices, bien davantage que la moyenne habituelle, en pleine pandémie. Il faudra bien qu’à un moment on puisse mettre sur la table le sujet du Plan de relance et de ses conséquences. Comment vont s’articuler des sujets comme le nombre de réfugiés qui augmente avec la crise climatique, les guerres et les plans de relance économique des pays ? Il faut une éco-continuité dans la relance. Et des modèles de solidarité sur le long terme surtout. Nous devrons continuer à lever un drapeau rouge pour alerter sur des situations humaines catastrophiques. Nous avons besoin des ressources pour tous les acteurs de l'économie sociale et solidaire, pour faire du modèle de l’inclusion, un modèle d’intérêt général et nécessaire pour notre société. 

  • Quels sont les projets à venir chez Singa France pour 2021 ? 

Oui, les projets enclenchés pour 2021 arrivent à leur terme, nous sommes présents dans 22 villes de dix pays. Nous sommes heureux de lancer une nouvelle structure Singa Global. Cette entité sera donc plus globale et locale à la fois. Des structures de Singa existeront dans différentes villes du monde, essentiellement en Europe. Nous recevons de nombreuses demandes de jeunes réfugiés qui souhaitent créer leur Singa dans la ville où ils ont été accueillis. Je pense notamment à la Suède, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni. La mobilisation est partout et Singa peut être partout. Les jeunes générations d’aujourd’hui ont bien compris qu’elles n'avaient pas d’autre choix que d’être mobilisées, pour exister et changer les choses. 

 

  • Enfin, comment se passent les relations avec les autres membres de la Fondation Obama en cette période ?

Cela fait maintenant un an et demi que mon cursus à la Fondation Obama a pris fin. Je trouve cela intéressant d’être en contact avec tous les autres membres du monde entier. Nous échangeons quotidiennement sur l’actualité et donc sur la crise actuelle. Cela me permet d’être au fait de ce qui se passe à Hong Kong, ou encore en Inde. Nous sommes comme une grande famille, composée d’une centaine d’activistes, et nous parlons solidarité. Je constate que beaucoup de personnes se battent, partout, et encore plus qu’avant d’ailleurs. Quand il y a eu la tragique explosion au Liban cet été, nous avons tout de suite su qu’un élan solidaire s’était mis en place en très peu de temps. En tout cas, ce genre d’événements, la pandémie, les crises majeures d’aujourd’hui, sont de véritables déclencheurs de mobilisation. Nous sommes tous sur le pont. La mobilisation citoyenne est intacte et encore plus présente je dirais. Les liens se sont d’autant plus resserrés, l’envie de changer le monde est encore plus présente. On est tous plein d'espoir et déterminés ! Nous savons que des milliers de personnes veulent se mobiliser encore plus. Et ça compte !

 

Christina Diego 

 

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