Confinement : la double peine pour les sans-abri ?
Depuis mardi midi, le pays doit se plier à des mesures de confinement inédites pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. Une situation qui met en lumière la vulnérabilité des personnes à la rue. Christian Page, sans domicile fixe parisien, nous raconte les difficultés croissantes qu’ils rencontrent.
Rues désertes, parcs et jardins publics fermés, villes à l’arrêt… Depuis mardi midi, les Français sont confinés chez eux à la suite des mesures drastiques annoncées par Emmanuel Macron lors de son allocution. Pour pouvoir rester chez soi, encore faut-il disposer d’un toit. Le président Emmanuel Macron avait alors assuré lundi : « Pour les plus précaires, pour les plus démunis, pour les personnes isolées, nous ferons en sorte, avec les grandes associations, avec aussi les collectivités locales et leurs services, qu’ils puissent être nourris, protégés, que les services que nous leur devons soient assurés. »
Une épidémie qui aggrave les difficultés des sans-abri
Christian Page vivait à la rue depuis 2015. Il bénéficie aujourd’hui d’un hébergement gratuit dans une chambre d’hôtel à Paris grâce à l’association Emmaüs Solidarité et a obtenu une attestation dérogatoire pour se déplacer, délivrée par l’association Mission Évangélique parmi les Sans Logis. Pour lui, les conséquences des annonces du gouvernement se sont rapidement fait sentir : « Les accueils de jour, les douches et les toilettes municipaux sont fermés. Comment fait-on pour aller aux toilettes, pour se laver les mains ? Depuis trois jours, nous n’avons plus la possibilité de nous laver. Beaucoup d’associations ont aussi arrêté les distributions alimentaires de rue. Les Restos du cœur, par exemple, y ont mis fin pour éviter les rassemblements. Sans compter que leurs bénévoles sont aussi confinés chez eux. »
En entraînant la fermeture des bars et des associations, les mesures de confinement aggravent les difficultés que les sans-abri rencontrent déjà quotidiennement. La situation actuelle s’apparente à celle ayant suivi les attentats de novembre 2015. De nombreux commerces et restaurants avaient baissé leurs rideaux et les rues de Paris s’étaient vidées de leurs passants. « Mais là, c’est pire », juge Christian Page. Pour les sans-abri, la crainte de contracter le Covid-19 ne constitue alors pas le sujet d’inquiétude premier. « Quand on vit dans la rue, on doit régler 15 problèmes par jour : l’accès à l’hygiène, la nourriture, les vêtements propres… Le coronavirus arrive en 16e position », explique-t-il. D’après lui, ce sont surtout les maladies de peau, comme la gale ou l’apparition de champignons, que craignent les sans-abri et qui pourraient se développer en raison du manque d’hygiène.
Des pouvoirs publics jugés inefficaces
Les sans-abri ont toutefois été informés des mesures barrières à suivre pour limiter les cas d’infection. « Nous avons vu passer le message du gouvernement, mais nous n’en avions pas réellement besoin. Dans la rue, on fait attention à sa santé. Alors nous avons déjà intégré ces gestes » , relate ainsi Christian Page qui observe tout de même quelques changements : « Nous ne nous serrons plus la main, nous ne faisons plus la bise. Mais c’est une question de bon sens, avant tout ».
Dans certains quartiers, la solidarité s’organise. Les particuliers, notamment, n’hésitent pas à apporter nourriture et flacons de gel hydroalcoolique aux plus démunis, là où les pouvoirs publics tardent à agir. « À l’heure actuelle, je n’ai eu connaissance d’aucune mesure prise à Paris par les pouvoirs publics pour protéger les sans-abri, leur distribuer de la nourriture ou du gel hydroalcoolique, ni pour leur permettre d’avoir accès à l’hygiène », relève-t-il. « Ils ont annoncé qu’ils mettraient des gymnases à disposition des sans-abri mais, jusque là, rien n’a été fait. Mais peut-être réfléchissent-ils simplement à la façon de les ouvrir tout en appliquant les mesures d’hygiène. »
Afin d’éviter les remises à la rue et de maintenir l’accueil dans les centres d’hébergement, l’exécutif a toutefois repoussé la fin de la trêve hivernale, fixée au 31 mars, jusqu’au 31 mai. En tout, la ville de Paris compte actuellement plus de 3 500 sans-abri et la France, près de 160 000.
Audrey Parvais