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Par Carenews PRO - Publié le 16 juillet 2020 - 09:00 - Mise à jour le 16 juillet 2020 - 09:00
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La relève de l’entrepreneuriat social tunisien

Le Lab’ESS est un des lieux phares de l’économie sociale et solidaire à Tunis. Dans cet incubateur dédié à l’entrepreneuriat social, nous avons rencontré au printemps dernier des entrepreneurs et des entrepreneuses bien déterminé·e·s à faire avancer leur pays. Alors que la Tunisie a adopté au mois de juin sa première loi sur l’économie sociale et solidaire, le mouvement vers un entrepreneuriat plus solidaire et inclusif est-il en marche ? Reportage.

Le Lab'ESS est un incubateur qui forme et accompagne les entrepreneurs sociaux à Tunis. Crédit photo : Lab'ESS.
Le Lab'ESS est un incubateur qui forme et accompagne les entrepreneurs sociaux à Tunis. Crédit photo : Lab'ESS.

« En Tunisie, nous avons une culture de l’emploi stable et avons tendance à survaloriser les jobs de fonctionnaire. Le problème, c’est que l’État ne peut plus grand chose face au chômage. Pour créer de l’emploi, il va falloir entreprendre. » Wafa Kort en est convaincue, l’entrepreneuriat est une des réponses aux problèmes de son pays et une mentalité qu’il faut adopter dès le plus jeune âge. Alors que le taux de chômage y avoisine les 15 %, l’enseignante à l’Institut supérieur de gestion de Tunis a donc décidé de lancer Kid’s Lab, un projet visant à sensibiliser les enfants dès huit ans à l’entrepreneuriat. Son projet ? Former des « coachs », des enseignants-animateurs rémunérés pour intervenir dans des centres aérés destinés aux enfants des classes moyennes et aisées. En plus de créer de l’emploi pour ces intervenants, les revenus générés permettront de financer les mêmes programmes, mais pour les enfants vivant dans des quartiers défavorisés. 

Camerounais d’origine, Paul Laurent Nyobe Lipot est quant à lui venu étudier l'ingénierie à Sfax, la deuxième ville du pays. Problème : « Les étudiants n’ont pas le droit de travailler en Tunisie. Si je n’avais pas eu l’aide de mes parents, je ne sais pas comment j’aurais fait pour vivre. » Il remarque cependant qu’il n’est pas nécessaire d’être en situation régulière pour créer une entreprise. Après s’être engagé bénévolement dans des associations de défense des migrants d’Afrique subsaharienne, Paul a alors décidé de créer Kufanya, un incubateur qui leur est destiné et qui vise à « passer de l’idée à un service ou un produit prototypé ». Soutenu entre autres par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), il a déjà accompagné une trentaine de femmes migrantes, pour beaucoup victimes de traite. « On tente d’aider les migrant·e·s à devenir autonomes, grâce à des initiatives génératrices de revenus », résume-t-il.

Interview avec Paul Laurent Nyobe Lipot, co-fondateur de l'incubateur Kufanya, destiné aux migrant·e·s. Crédit photo : Lab'ESS.
Interview avec Paul Laurent Nyobe Lipot, co-fondateur de l'incubateur Kufanya, destiné aux migrant·e·s. Crédit photo : Lab'ESS.

Une formation de six mois à l’entrepreneuriat social

Wafa et Paul font partie de la dizaine d’entrepreneurs et entrepreneuses accompagné·e·s chaque année au Lab’ESS de Tunis, un incubateur dédié à l’innovation sociale. Dans cette association filiale du groupe SOS, les entrepreneurs — ou plutôt les entrepreneuses (les effectifs étant à 58 % féminins) — bénéficient d’une formation de six mois pendant laquelle ils·elles sont formé·e·s à toutes les composantes de l’entrepreneuriat social : business model, valeurs de l’ESS, communication, juridique… Et ça fonctionne plutôt bien : depuis la création du Lab’ESS en 2012, la moitié des projets incubés aboutissent à la création d’une structure, un taux jugé « satisfaisant » par Rachid Abidi, son directeur. En Tunisie, l'économie sociale et solidaire est en effet embryonnaire. Selon les statistiques, elle représenterait 1 % du PIB (à titre de comparaison, la proportion est de 10 % en France). Mais depuis la Révolution tunisienne de 2010-2011, qui a abouti au renversement du régime de Ben Ali, elle s’est renforcée grâce à la création de nombreuses associations et attire des jeunes désireux de combiner activité économique et recherche de sens. 

C’est le cas d’Ilyes Saidani. À 28 ans, cet ingénieur agronome neveu d’agriculteur a voulu trouver une solution au stress hydrique en Tunisie. Via son entreprise Grow it yourself, il a donc développé un système d’agriculture hors-sol permettant d’économiser « 90 % d’eau et 60 % d’engrais » par rapport à des cultures conventionnelles. Ce qui lui a valu quelques prix et plusieurs invitations à des sommets, dont le Forum Méditerranée du Futur, à Marseille en 2019. Khouloud Kaabi, quant à elle, est passionnée de randonnée et d’outdoor. Avec deux amis, cette diplômée en chimie a lancé Idwey, une « solution technologique pour centraliser les informations touristiques alternatives, les hébergements écologiques et mettre en relation les passionnés de la nature avec des professionnels du tourisme ». Alors que les activités de plein air ne sont pas encore rentrées dans les us et coutumes des Tunisiens, elle souhaite notamment « sécuriser le secteur », en proposant des assurances et des guides pour inciter ses compatriotes à s’éloigner des sentiers battus. L’entreprise se rémunère sur chaque réservation confirmée par les prestataires (propriétaires de maison d’hôte, guides locaux, fermes…)

Une loi sur l’ESS adoptée en juin

Heureux de pouvoir aider ces projets à se développer, le Franco-Tunisien Rachid Abidi regrette néanmoins que l’économie sociale et solidaire manque encore de visibilité en Tunisie : « On doit encore s'approprier le concept d’entrepreneuriat social. J’ai rencontré récemment une jeune femme qui travaillait beaucoup avec des artisanes. Après avoir participé à une de nos réunions, elles s’est rendue compte que sans le savoir, elle faisait du commerce équitable ». Selon lui, le mode de fonctionnement de l’ESS est aussi moins connu que la logique de développement, qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui dans le pays : « Dans beaucoup de régions, on attend l’argent des organisations internationales pour mener des gros projets de développement, au lieu de réfléchir à des modèles économiques plus durables », regrette-t-il.

Le manque de personnes formées et de financements adéquats sont aussi deux points qu’il espère voir changer grâce à l’adoption d’une loi sur l’économie sociale et solidaire, la première du pays. Publiée le 30 juin au Journal Officiel, elle définit le périmètre de l’ESS et prévoit la création d’un « label entreprise de l’économie sociale et solidaire », qui permettra notamment de flécher davantage de financements vers ces structures. Le Lab’ESS a fait partie du collectif #tounessolidaire qui a plaidé pendant le confinement pour l’adoption de cette loi, qui stagnait dans les tuyaux parlementaires depuis plusieurs mois. Une avancée significative, en attendant la publication des décrets d’application qui permettra peut-être aux projets de Wafa, Paul, Ilyes, Khouloud et les autres de changer d’échelle.

Hélène Fargues 

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