Notre sélection de 9 BD engagées
À l’occasion du festival d’Angoulême, qui s’ouvre aujourd’hui, et parce que 2020 est l’année de la BD, nous vous proposons une sélection de neuf bandes dessinées engagées, parfois sans concession, à dévorer absolument.
On l’appelle le neuvième art et, contrairement à la littérature et au marché du livre en général, la BD se porte bien. En 2018, elle pesait ainsi 510 millions d’euros en France, preuve de son incroyable dynamisme. Il faut dire qu’il existe des bandes dessinées sur tout et n’importe quoi et qu’il y en a pour tous les goûts. Et si certaines n’ont d’autre ambition que de vous divertir en vous racontant une histoire bien exécutée, d’autres utilisent leurs vignettes et leurs petites bulles pour changer les représentations mentales, délivrer un message ou dénoncer une situation. Racisme, sexisme, défense de l’environnement, défense des peuples autochtones préoccupent aussi les bédéistes, qui s’emparent de ces sujets pour mieux sensibiliser leurs lecteurs. Alors que s’ouvre aujourd’hui le festival d’Angoulême, la rédaction de Carenews vous propose une sélection de neuf œuvres engagées.
La Ligue des super féministes, Mirion Malle
Après le succès de Commando Culotte, publiée en 2016 chez Ankama, Mirion Malle est revenue en janvier 2019 avec une nouvelle BD, toujours placée sous le signe du féminisme. Mais cette fois, elle s’adresse à la jeunesse. Dans un ton très libre, elle aborde des sujets comme la question de l’identité sexuelle, la notion de genre et ses dérives ou encore l’écriture inclusive. Le but : apprendre aux enfants (garçons et filles) à lutter contre les mécanismes du sexisme, le tout à travers des dessins au trait cartoonesque, parfait pour dédramatiser certains sujets sensibles. Sa nouvelle BD a d’ailleurs été sélectionnée dans la catégorie Jeunesse du festival d’Angoulême.
Ikambere, la maison qui relève les femmes, Annabel Desgrées Du Loû et Jano Dupont
Depuis 1997, l’association Ikambéré accueille dans ses locaux de Saint-Denis les femmes vulnérables malades du Sida. Sa mission : rompre leur isolement mais aussi faciliter leur accès aux soins et à leurs droits sociaux. Publiée aux éditions de l’Atelier, cette bande dessinée s’appuie sur les paroles de ces femmes recueillies et sur les témoignages des professionnels et des bénévoles qui les accompagnent. Avec ses dessins aux couleurs chaudes, le livre retranscrit l’ambiance de ce lieu de refuge, les petits rituels quotidiens et les peines et joies de celles et ceux qui le font vivre.
La Tuerie, Nicolas Otero et Laurent Galandon
Derrière ce titre peu joyeux, se cache un thriller nous plongeant dans les coulisses des abattoirs. Sur les pas de Yannick, parti enquêter sur la mort de son frère Killian, nous découvrons un univers impitoyable, aussi bien pour les animaux que pour les hommes. Cadences de travail infernal, déshumanisation, maltraitance animale… La Tuerie aborde des thèmes durs afin de mieux nous alerter et nous interroger sur la condition ouvrière et la machine capitaliste, si apte à broyer les individus. Une BD politique et noire, qui prend aux tripes.
Crédit photo : Editions Les Arènes
Texaco, Sophie Tardy-Joubert, Pablo Fajardo, Damien Roudeau
En 1993, la compagnie pétrolière américaine Texaco quitte l’Amazonie équatorienne, après avoir exploité à outrance l’or noir de la région et provoqué un désastre tant environnemental qu’humanitaire. Depuis, 30 000 habitants luttent pour obtenir réparation, soutenu par l’avocat Pablo Fajardo. C’est cette histoire et les difficultés rencontrées au cours de ce combat de longue haleine que les trois auteurs, dont le juriste lui-même et la journaliste de la revue XXI, Sophie Tardy-Joubert, ont souhaité raconter en bande dessinée. Une BD reportage édifiante, qui dénonce un véritable écocide et les conséquences néfastes occasionnée par l’exploitation du pétrole. L’œuvre, publiée aux Arènes, fait partie de la sélection officielle du festival d’Angoulême.
Algues vertes, l’histoire interdite, Inès Léraud et Pierre Van Hove
Également sélectionnée au festival d’Angoulême, ce BD reportage paru aux éditions Delcourt s’attaque à un scandale aussi bien environnemental que sanitaire : la gestion des algues vertes, responsables de la mort de trois hommes et quarante animaux sur les plages bretonnes. Ici, tout est vrai, des témoignages recueillis au récit des pressions politiques exercées pour maintenir la loi du silence. Au sein de cette enquête fleuve, scientifiques, lanceurs d’alerte et agriculteurs se succèdent pour évoquer un demi-siècle de mensonges et de dissimulation. Une BD à la fois politique et pédagogique, qui permet de mieux comprendre les enjeux liés à cette pollution d’une autre nature.
Algues vertes, l'histoire interdite. Crédit photo : Editions Delcourt
Yao, Visa refusé, Didier Viodé
Yao est un artiste autodidacte africain, qui rêve d’être exposé et de vendre ses œuvres. Seulement voilà, en Afrique, l’art se vend peu, voire pas du tout. Alors Yao se lance dans l’infernale suite de démarches pour obtenir un visa et pouvoir voyager en Europe. Un chemin qui s’annonce plus que semé d’embûches. Dans un style léger et plein d’humour, Didier Viodé, originaire de Côte d’Ivoire, suit les pas de son héros naïf et toujours plein d’optimisme dans son combat pour réaliser son rêve. Il en profite pour traiter des thèmes comme l’immigration, la difficulté d’être un artiste ou encore la liberté, parfois contrariée, d’être soi.
Un autre regard sur le climat, Emma
L’illustratrice Emma est d’abord connue pour avoir mis des mots sur le concept de charge mentale. Mais sa nouvelle BD s’écarte des problématiques féministes pour se pencher sur un autre combat primordial : la lutte contre le réchauffement climatique. Par le biais de ses dessins simples au style très reconnaissable, elle explique les enjeux climatiques et tire à boulets rouges sur le système capitaliste qui régit notre société, grand responsable de la dégradation du climat et malheureusement peu contré par nos engagements de citoyens. Bien référencé, ce petit guide pédagogique n’est certes pas très réjouissant, mais il permet de nourrir notre réflexion sur notre façon de consommer et nos modes de production.
Payer la Terre, Joe Sacco
Le journaliste et auteur américain Joe Sacco est célèbre pour ses bandes dessinées documentaire sans concession. Après notamment Palestine, une nation occupée (1993) et Gaza 1956 (2010), il revient donc avec Payer la Terre, un reportage commandé par la revue XXI et qui s’intéresse au peuple canadien des Dénès. Ce récit à hauteur d’hommes multiplie les témoignages sur les ravages humains et environnementaux provoqués par la colonisation et l’exploitation de l’or et du pétrole dans le Grand Nord. Joe Sacco n’hésite pas à se mettre en scène pour expliquer sa démarche de journaliste, le tout dans un noir et blanc aussi incisif que détaillé.
Payer la Terre, une bande dessinée sans concession. Crédit photo : Futuropolis
Hshouma, Zainab Fasiki
Zainab Fasiki est une bédéiste marocaine qui a fait de la défense des droits des femmes et de la lutte contre le sexisme son cheval de bataille. Afin de briser les tabous et dénoncer les violences sexistes, elle se fait d’abord connaître sur Instagram, où elle poste ses dessins de femmes nues. Dans la même lignée, Hshouma (« honte » en marocain ), sa première bande-dessinée, se veut mi-œuvre militante mi-projet pédagogique. En y exposant le corps féminins, Zainab Fasiki s’attaque aux tabous liés au genre, à l’éducation sexuelle et aux violences faites aux femmes, qui prédominent encore dans la société marocaine.
Audrey Parvais