Traité mondial contre la pollution plastique : les pays ambitieux doivent reprendre la main !
Professeure de Négociation Internationale à l’IÉSEG School of Management, Hayley WALKER a vécu de l’intérieur les négociations du Traité Mondial sur la Pollution plastique, qui se sont déroulées à Genève entre les représentants de 185 pays. Elle nous livre sa vision de cet événement, et ce qui doit être mis en place pour éviter un nouvel échec dans les prochaines années.

Lors de la dernière soirée concluant le round de négociation de deux semaines, au Palais des Nations à Genève, une ambiance presque festive régnait, alors que les délégués attendaient avec excitation la publication du texte de compromis censé déboucher sur un traité mondial tant attendu pour lutter contre la pollution plastique.
Les plastiques sont fabriqués à partir d’un mélange de combustibles fossiles et de produits chimiques. Ils ne se dégradent pas, mais se fragmentent en « micro-plastiques » qui contaminent aujourd’hui chaque recoin de la planète, des plus hauts sommets aux abysses. On les retrouve même désormais dans le sang humain, voire dans les placentas, empoisonnant ainsi les nouvelles générations avant même leur naissance.
Mais à mesure que les heures passaient et que la réunion finale était constamment repoussée : d’abord 18h, puis 19h, 20h, 21h, pour finalement être annoncée à 23h30. L’enthousiasme laissait place à la nervosité. Peu avant 23h30, il était clair que quelque chose allait se passer. Les chefs négociateurs ont réapparu des petites salles où ils étaient enfermés toute la journée. Les hôtes suisses, généreux, avaient prévu sandwichs, café et viennoiseries - sans doute pour adoucir l’annonce d’un compromis difficile à avaler ?
Dans la grandiose Salle des Assemblées, les délégués prenaient encore place lorsque le président équatorien ouvrit la séance à 23h36. Mais il annonça immédiatement l’ajournement de la réunion, reportée au lendemain matin sans heure précisée. Des soupirs choqués se firent entendre dans la salle. Les négociations devaient se terminer à 18h ! Il était clair que le temps était écoulé. Bien que les chefs négociateurs aient lutté toute la nuit pour sauver un accord, la session se conclut peu après 9h sans deal.
Les ingrédients du succès : politique, process et personnes
Face à la baisse de la demande en combustibles fossiles dans un monde en transition vers un avenir décarboné, l’industrie pétrolière voit dans la production croissante de plastiques un « plan B » crucial pour maintenir ses profits. Durant les négociations du Traité mondial contre la pollution plastique, un groupe d’États producteurs de pétrole, mené par l’Arabie Saoudite, a tenté de limiter la portée du traité à la gestion des déchets, évitant ainsi d’imposer des limites à la production. Ils ont également eu recours à des tactiques procédurales pour ralentir et bloquer toute avancée.
Initialement, les négociations devaient déjà aboutir à un Traité mondial l’année dernière, en Corée du Sud. Depuis, le contexte mondial, déjà marqué par des conflits persistants et des divisions géopolitiques profondes, s’est encore durci avec la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et son slogan « drill, baby, drill » pour relancer la production pétrolière américaine.
La politique est l’un des trois principaux facteurs qui influencent l’issue des négociations multilatérales. Le deuxième est le processus de négociation lui-même. Le troisième, ce sont les négociateurs et leur capacité à trouver des solutions acceptables pour tous. Lors de l’adoption de l’Accord de Paris sur le Climat en 2015, ces trois facteurs – politique, processus, personnes – étaient alignés. L’accord fut négocié par des esprits brillants, dans un processus méticuleusement organisé par la présidence française, dans un contexte mondial relativement stable et marqué par une volonté politique sans précédent, notamment grâce à une entente USA-Chine.
Aujourd’hui, nous vivons une époque troublée. Nombreux sont ceux qui rejettent les valeurs de protection de l’environnement et de coopération multilatérale, au profit d’une logique de « la force prime le droit ». Malheureusement, le processus suivi à Genève – comme durant ces trois dernières années de préparation du Traité – n’a pas permis d’aboutir à un accord. Trop de temps a été consacré à répéter des positions bien connues en séances ouvertes. Les discussions sur les intérêts réels des pays, plus productives, n’ont eu lieu que dans les derniers jours, à huis clos – trop tardivement. Bien que la transparence et l’inclusivité soient importantes pour la légitimité du processus, en réalité, scrutées par les médias et les ONG, les gouvernements ne partagent pas ce type d’informations sensibles.
Ce manque de volonté politique contrastait fortement avec l’engagement sincère des négociateurs présents à Genève, qui ont travaillé ensemble comme des professionnels et des êtres humains déterminés à faire avancer les choses, au-delà des positions nationales. Pendant un moment, on a pu croire que cette « volonté personnelle » allait suffire pour aboutir à un accord. Peut-être qu’avec un autre processus, cela aurait été possible.
La voie à suivre : une Coalition des Volontaires
Bien que les gouvernements aient accepté de poursuivre les négociations, rien ne garantit que cela se fera – ni quand. L’ONU traverse une crise budgétaire, accentuée par le gel des financements par la nouvelle administration américaine, et il faudra peut-être attendre longtemps avant qu’un nouveau cycle de négociations puisse avoir lieu. Mais le problème est plus profond : les traités de l’ONU doivent être adoptés par consensus. Cela signifie qu’un seul pays peut bloquer l’ensemble du processus avec un simple « non », ce qui donne un pouvoir démesuré aux pays les moins ambitieux. À l’inverse, les pays souhaitant des mesures ambitieuses doivent convaincre tous les autres.
Directive européenne RSE : vers un recul du devoir de vigilance ?
Dans les années 1990, face aux blocages des États-Unis et de la Russie dans les négociations sur l’interdiction des mines antipersonnel, certains pays ont décidé de lancer un processus parallèle, plus rapide, en dehors du cadre onusien. Ce processus reposait sur des positions communes que les gouvernements étaient libres d’accepter ou non, sans contrainte de consensus. Le Traité d’Ottawa, qui interdit totalement la production, le transfert et l’utilisation des mines antipersonnel, fut signé par 125 pays. Pour ne pas perdre la face, les États-Unis annoncèrent par la suite qu’ils cesseraient unilatéralement d’en utiliser.
Etant donné le blocage actuel, pourquoi ne pas faire pareil ? Si les pays les plus ambitieux – dont, potentiellement, la Chine – adoptaient des mesures fortes ciblant les plastiques à usage unique ou contenant des substances nocives, cela transformera radicalement la donne et cela contraindra les producteurs à s’adapter – quelque soit leurs positions politiques. Ce serait également un signal fort : l’intérêt public mondial ne peut plus être pris en otage par les intérêts privés d’une industrie qui continue à prospérer au détriment de notre planète et de notre santé.