Aller au contenu principal
Par Impact Track - Publié le 12 mars 2024 - 11:01 - Mise à jour le 12 mars 2024 - 11:01
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Utiliser la mesure d’impact comme outil de plaidoyer : l’exemple de l’association Rhéso

Rhéso est l’une des 4 associations à avoir participé à une expérimentation proposée par Nexem - organisation professionnelle représentant les employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire – visant à mener une démarche de mesure d’impact sectorielle pour la lutte contre les exclusions. Cette démarche visait à définir des indicateurs communs utiles à une stratégie de plaidoyer et à outiller les porteurs de projet du secteur. Retour d’expérience avec Aurélie Lazzaroni, chargée de mission en ingénierie sociale pour Rhéso. 

Utiliser la mesure d’impact comme outil de plaidoyer : l’exemple de l’association Rhéso - Crédit : Impact Track
Utiliser la mesure d’impact comme outil de plaidoyer : l’exemple de l’association Rhéso - Crédit : Impact Track
  • Pouvez-vous nous présenter l’association ?

 

L’association est née en 2007 de la fusion de trois associations sur le territoire du Vaucluse, avec un pôle d’accompagnement pour les femmes victimes de violences et des accompagnements plus classiques. Aujourd’hui, il y a un centre d’hébergement et de réinsertion sociale « Urgence et insertion », trois pensions de famille, un pôle d’accompagnement pour les femmes victimes de violences à l’intérieur duquel il y a des refuges, des logements, des accueils de jour pour les femmes. Il y a également trois accueils de jour classiques inconditionnels, un centre de formation, le dispositif Toit d’abord, des mesures logement, deux chantiers d’insertion (« histoire d’objets », « histoire de services ») et un centre de prise en charge des auteurs de violence. Cela représente une centaine de salariés et s’étend entre milieu urbain et rural.

 

  • Quel projet a fait l’objet d’une démarche de mesure d’impact ?

 

Nous nous sommes demandé quel dispositif mettre en valeur et regarder autrement. On s’est donc penché sur le dispositif « Toit d’abord », qui est un « Un chez soi d’abord » pour les jeunes de 18 à 25 ans vivant avec un trouble psychique. Nous étions à la fin d’un financement d’une expérimentation qui avait débuté en 2021. C’était l’occasion, au bout de 2 ans d’expérimentation, de valoriser cette étude un peu plus qualitative et les critères des accompagnements, en dehors des reportings mensuels et des négociations faites avec les financeurs.

Dans un second temps, parce que ce dispositif ne nous permettait pas d’avoir un échantillon suffisant, nous l’avons décliné sur les jeunes de 18 à 25 ans dans les différents dispositifs de l’association, comme les hébergements de type CHRS (Centre d’Hébergement de Réinsertion Sociale, ndlr).

 

  • Vous avez fait partie d’une expérimentation proposée par Nexem, dont vous êtes adhérents, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

 

Eté 2022, nous avons eu une proposition de Nexem. Je venais d’arriver dans l’association. Sur le centre d’hébergement sur lequel je travaillais auparavant, un référentiel avec été construit avec un questionnaire individuel sur différents domaines de la vie quotidienne qui permettait à la personne accueillie de faire l’évaluation d’elle-même et de son entourage à l’entrée du dispositif. C’était un « Descripteur de Compétences Sociales » qui se répétait tout au long du séjour jusqu’à la fin. Ça permettait d’avoir une continuité et de voir les évolutions en parlant d’activation de compétences, de capacités, de transposition des savoirs, etc. Ça donnait à la personne une sorte de fil conducteur très pragmatique.

Quand j’ai vu la lettre de Nexem, je me suis dit : « Fabuleux ! » Ce n’est plus seulement à titre individuel, c’est aussi permettre aux intervenants sociaux et mêmes aux associations de pouvoir calibrer l’accompagnement et de voir la plus-value de l’intervention sociale sur cette transformation. C’était un peu l’autre versant du volet personnel du développement des compétences.

Je suis aussi très friande de ce type d’études parce qu’on dit souvent que l’accompagnement social c’est une rencontre, une alchimie. Mais que se passe-t-il réellement ? Qu’est-ce qui permet aux personnes d’accrocher ou pas ? De développer ou redévelopper des compétences qu’elles avaient ? C’était le moyen de quantifier ce qui se passe. Le directeur de l’association était d’accord. Tout ce qui peut rendre visible et mettre en valeur les interventions sociales, en dehors des statistiques classiques est à prendre.

 

  • Vous avez travaillé à la création d’indicateurs communs. Quelle est votre vision de cette démarche ? Qu’est-ce que cela vous a apporté derrière ?

 

C’était un gros exercice. L’intérêt de cette mesure était d’avoir d’un côté des indicateurs communs à tous, imposés, sur lesquels nous nous étions mis d’accord au préalable (entre les porteurs de projet faisant partie de l’expérimentation et Nexem, ndlr), pour que derrière ils servent de plaidoyer politique. De l’autre, nous avions des indicateurs personnalisés pour chaque structure. Cela donnait un équilibre entre quelques critères communs et des critères très personnalisés adaptés en fonction de nos différents publics. Quand nous nous relancerons dans la mesure d’impact, nous pourrons modifier ces critères personnalisés. Cela apporte une grande souplesse dans la mesure d’impact. 

Nous avons été accompagnés sur 12 mois avec des temps de travail en groupe en visio et des échanges. Nous pouvions facilement solliciter Impact Track et Nexem. Cela permettait de faire des allers-retours. On ne se sentait pas seul projeté dans une étude. Nous nous étions engagés au départ sur un plus grand nombre de bénéficiaires, mais nous avons pu aisément ajuster sans que cela pose de problème.

C’était très formateur de devoir converger sur certains indicateurs. Le débat était très souple avec un groupe bienveillant. Chacun a sa réalité, mais l’idée, c'était de converger. On a trouvé des moments de consensus très intéressant. Cela oblige aussi à aller vers l’esprit de synthèse, à faire des choix et à définir ensemble ce qui est immuable dans l’accompagnement social.

 

  • Comment vous êtes-vous organisés autour de ce projet ?

 

La première étape pour moi, c’était de me former à la mesure d’impact et construire les indicateurs. À chaque fois, je faisais le lien avec le Codir et les responsables des dispositifs concernés. Une fois qu’on a eu figé ce qu’on voulait mesurer, nous avons présenté aux équipes les indicateurs imposés et les indicateurs personnalisés. Je leur ai demandé que voulaient-ils requalifier dans leur accompagnement, qu’est-ce qui les rendait curieux de questionner. Ensuite, nous avons relu avec eux toutes les questions des questionnaires pour se mettre d’accord sur un langage commun et éviter les reformulations qui pourraient influencer la personne interrogée (les équipes ont choisi de passer des entretiens pour interroger leurs bénéficiaires, ndlr)

 

  • Quels enseignements tirez-vous de vos premiers résultats de mesure d’impact ? ​​​​​​​

 

Quand nous avons créé les questionnaires, nous étions beaucoup axés sur la prise en compte de la santé chez les jeunes puisque, a priori, ces dispositifs visent cet objectif. Nous avons posé beaucoup de questions sur le bien-être, l’accès à un rythme de vie, etc.

Nous avons été surpris de voir que ce ne sont les pas premiers éléments qu’ils aient retenu. Ils ne se sont pas spécialement attardés sur ces questions, bien que ce soit là que nous observons une plus-value dans l’accompagnement. Eux, ce qu’ils voient en premier, là où ils se sont sentis le plus accompagnés, c’est dans toutes les démarches administratives, accès aux droits, accès au logement et la capacité à habiter. 

Nous, nous pensions que c’est parce que nous les accompagnions sur le volet santé qu’ils allaient mieux dans les autres aspects de leur vie. Eux le retransforment en disant que c’est en travaillant sur tous ces aspects de démarches administratives et d’accès aux droits qu’il y a une meilleure prise en compte de leur santé, une amélioration de leur rythme de vie, de leur bien-être et de leur reconnaissance en tant qu’individu dans la société.

L’objectif est rempli, mais ils ne le vivent pas de la même manière. Pour eux, le plus important c’est d’accéder au logement et avoir suffisamment de ressources pour pouvoir vivre. Et en étant soutenu, ils vont pouvoir développer des connaissances et compétences, et ainsi se projeter dans un avenir et trouver leur place. 

C’est plus sage finalement comme façon de voir les choses, à mon sens. Peut-être qu’à plus long terme, ça aura plus d’impact que de soigner juste un symptôme, comme peut le faire l’action sociale. La mesure d’impact permet de se projeter plus loin et ça remet l’accompagnement social à sa bonne place.

 

  • Quels sont vos prochains défis ?

​​​​​​​

Il va falloir d’abord communiquer sur la mesure d’impact auprès des équipes et des jeunes qui ont répondu aux questionnaires pour terminer l’échange. Cela permet de relancer une dynamique et de voir avec eux comment doit, ou pas, évoluer l’accompagnement. Il va falloir aussi communiquer auprès de l’ensemble de l’association pour susciter de la curiosité.

Et ensuite, probablement réfléchir ensemble à quels dispositifs nous souhaitons interroger via la mesure d’impact. Est-ce qu’il y a un dispositif qui a besoin d’être boosté ou sur lequel nous avons moins le temps de réfléchir ?

 

  • Avez-vous un conseil pour les porteurs de projet qui hésitent à se lancer dans une démarche de mesure d’impact ?

​​​​​​​

De ne pas hésiter. Les moments où on peut se poser pour réfléchir à la qualité de l’accompagnement qu’on veut mettre en place sont rares. Sur le coup, oui, on a le sentiment que cela fait du travail en plus. Mais comme on pouvait se poser la question du travailler avec au lieu du travailler pour, c’est le même questionnement.

Je pense que la théorisation de l’accompagnement social et les temps de coordination en équipe sont tout aussi importants que les moments où l’on accompagne. Privilégier ces temps-là, c’est faire de la qualité dans les accompagnements. Il faudrait qu’on s’autorise à construire ces moments-là. En ayant trois angles de vue — les statistiques, les évaluations individuelles et l’évaluation de l’impact de l’accompagnement — cela nous permettrait d’avoir une évaluation complète de ce qu’est l’intervention sociale. On reprendrait un peu de pouvoir sur ce qu’on fait. Cela paraît évident ce que fait un travailleur social, mais non, même pour les équipes. Dire ce qu’on fait, comment et pourquoi on le fait nous permettrait de pouvoir mieux négocier avec un financeur par exemple.

Finalement, à l’échelle d’une vie, 24 mois d’accompagnement, ce n’est rien. Prendre 24 mois pour accompagner quelqu’un, oui cela peut coûter 8 000 euros pour de l’urgence, voire 15 000 euros en insertion, mais ce n’est rien par rapport au gain en santé, en cohésion sociale, etc., pour la société

 

  • J’entends beaucoup d’arguments qui pourraient servir à une stratégie de plaidoyer, auprès des pouvoirs publics et/ou des financeurs. Est-ce l’objectif derrière, d’utiliser ces chiffres en vue d’un plaidoyer politique ?

​​​​​​​

Oui. Là, par exemple, nous allons avoir un dialogue de gestion et si nous arrivons à développer [la mesure d’impact] sur d’autres dispositifs, nous pourrons argumenter. Une réflexion est engagée sur le dispositif Toit d’abord pour voir comment on peut le faire évoluer et les financeurs ont besoin de cette étude. L’État a demandé à voir les résultats d’impact pour avoir un langage commun et voir le ressenti des jeunes. Ça leur permet d’avoir un autre regard sur ce qui est fait au-delà des chiffres bruts.

 

  • Avez-vous un mot à ajouter ?

​​​​​​​

​​​​​​​​​​​​​​La mesure d’impact est un bon moyen de valoriser ses équipes. Le retour des personnes accompagnées est positif. C’est un bon moyen de se redonner un cap et du sens même quand on a la tête dans le guidon. Dans le quotidien, on peut facilement croire que les choses ne changent pas. Quand on se pose sur du long-terme, on se rend compte que si, ça avance ! La mesure d’impact sert à beaucoup de niveaux, c’est très complet. Les jeunes se sont sentis écoutés et ça nous a fait changer de posture : être celui qui attend le feu vert de la personne et pas celui qui prodigue le soin.

​​​​​​​

Pour aller plus loin
Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer