Michaël Jérémiasz : « L’innovation sociale est essentielle »
Où en est-on de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail ? Michaël Jérémiasz est athlète de tennis fauteuil, médaillé paralympique et entrepreneur engagé pour l’innovation sociale. Il est l’invité d’honneur de l’événement organisé par Novapec, le programme de soutien financier créé par l’Apec, le 23 janvier prochain. Il livre aujourd’hui son point de vue sur ce sujet qui anime son parcours et son engagement depuis plus de vingt ans.

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Est-ce que les Jeux Paralympiques de Paris, très suivis, ont fait bouger les lignes en matière de regard sur le handicap ?
C’est beaucoup trop tôt pour le dire. C’est en tout cas l’espoir que l’on a et l’une des raisons de mon engagement auprès de Paris 2024. La réalité est qu’il ne s’est rien passé depuis les Jeux Paralympiques, que ce soit politiquement, économiquement, médiatiquement, ou socialement. J’ai malgré tout le sentiment, dans le contact que j’ai avec la société à travers mes différentes activités, qu’il y a une meilleure prise de conscience de la différence, faite grâce au prisme du sport de haut niveau. Je suis un optimiste et j’ai envie de croire que, dans la durée, ces Jeux ont contribué à avoir un regard plus ouvert, plus curieux, plus fraternel envers les personnes handicapées. Mais tant que je ne verrai pas des changements de comportements et des fonctionnements différents, je ne me satisferai pas.
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Selon une récente étude de l’Apec*, plus d’un cadre sur deux estiment que leur entreprise ne recrute pas assez de personnes en situation de handicap, ni ne favorise leur évolution professionnelle. Est-ce que le monde du travail est en train d’évoluer ?
Ce chiffre est le résultat du travail mené auprès des entreprises, par des interventions, des conférences, des séminaires. Nous sommes nombreux à essayer de transformer l’essai. Nous voulons donner envie aux personnes handicapées d’assumer leur statut et de se déclarer comme tel, en particulier pour les personnes dont le handicap est invisible. C’est essentiel de réconcilier les personnes handicapées avec ce qu’elles sont, avec leur identité, avec la communauté à laquelle elles appartiennent. Tout comme il est primordial de garantir leur accès à l’emploi, de leur permettre de faire carrière ou d’être promu. Il faut renforcer encore cette envie de justesse et de justice dans l’entreprise.
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Est-ce que la sensibilisation doit être plus présente en entreprise ?
Notre travail est de convaincre. Cela fait cinquante ans que nous faisons de la sensibilisation au handicap et à la différence. Comment faire pour que le recrutement de personnes en situation de handicap ne soit plus un sujet ? Il faut continuer à intervenir et aider l’entreprise à se transformer de manière concrète. Et pour cela, nous devons toujours plus accompagner les recruteurs dans leur manière d’interagir avec les personnes en situation de handicap, pour que les entretiens se passent de la manière la plus fluide possible.
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Plus de 70 % des cadres en situation de handicap invisible choisissent de le dissimuler de peur d’être stigmatisés*. La culture de la performance en entreprise est-elle un frein à l’inclusion ?
Dans l’inconscient collectif, un cadre est perçu comme performant, dur au mal. Il ne peut pas être malade ou handicapé. Il y a quelque chose de profond à déconstruire sur la représentation du cadre, et plus globalement, sur la représentation de l’être humain et sur notre quête permanente de performance. Quelqu’un qui a des fragilités n’est pas quelqu’un de faible pour autant. Pourquoi une personne handicapée ne serait-elle pas performante ? J’entends tous les jours des personnes inventer des excuses pour cacher leurs séances de soins, de peur d’être mis au placard. C’est une situation très inconfortable. Or ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive. Nous devons transformer nos perceptions et faire en sorte que les cadres puissent assumer et bénéficier pleinement de leurs droits, sans jouer un rôle mensonger. C’est de cette façon qu’ils continueront à travailler dans les meilleures conditions et à s’épanouir.
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Votre parcours est animé par cet engagement fort en faveur d’une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos activités ?
Jusqu’à mes 18 ans, je ne connaissais le handicap qu’à travers le téléthon. Un accident m’a rendu paraplégique et je me suis retrouvé du jour au lendemain parmi une minorité discriminée. En parallèle d’une carrière sportive qui m’a mené à plusieurs titres mondiaux et paralympiques, j’ai souhaité mettre mon expérience au service de cette minorité. J’ai co-fondé et préside l’association Comme les Autres, qui propose un accompagnement social à des personnes handicapées moteur après un accident de la vie. J’ai également co-fondé l’agence Handiamo qui gère la carrière de sportifs de haut niveau handicapés, et qui organise des événements de sensibilisation au handicap par le sport en entreprises ou pour des collectivités. J’ai co-fondé le French Riviera Open, devenu aujourd’hui le plus grand tournoi international de tennis en fauteuil, mais aussi un laboratoire qui mobilise la jeunesse, les collaborateurs d’entreprises et les médias. Et enfin j’ai co-fondé la société de production Les Gros Films, pour raconter des histoires de publics dont on parle peu, pas ou mal. J’anime également l'émission de radio Dis Moi Oui Handi sur So Good Radio qui parle de sexualité, de toutes les sexualités. Au quotidien, je porte un plaidoyer engagé sur le droit des personnes handicapées, à travers notamment des conférences en entreprises.
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C’est important pour vous d’encourager l’innovation sociale, comme le fait Novapec avec son appel à projets ?
On investit déjà beaucoup et depuis très longtemps dans l’innovation technologique. L’innovation sociale répond elle aussi à quelque chose d’essentiel. Quand Novapec m’a proposé d’intervenir, j’ai tout de suite accepté. C’est très cohérent avec tout ce que je fais. Je crois beaucoup à l’innovation sociale, mais aussi à l’engagement individuel et collectif. C’est d’ailleurs ce que je cherche à susciter chez tous ceux que je rencontre.
*Révéler et faire reconnaitre son handicap en entreprise – Apec – novembre 2024
Novapec est un programme de soutien financier créé par l’Apec en septembre 2023 pour soutenir des projets d’innovation sociale sur l’ensemble du territoire. L’événement du 23 janvier sera l’occasion de célébrer la quarantaine de projets soutenus par Novapec en 2024, et de lancer, aux côtés des associations soutenues et de l’écosystème ESS, l’appel à projets 2025.