Les Jeux Olympiques dans nos mémoires collectives
64 médailles remportées par la France aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ! Après Usain Bolt aux JO de Pékin en 2008, qui restera dans la mémoire collective ? Léon Marchand ? Teddy Riner ? Lady Gaga avec « Mon truc en plumes » lors de la cérémonie d'ouverture ? Tom Cruise qui embarque le drapeau olympique au Stade de France et le hisse à Hollywood ?
Depuis 130 ans, les Jeux Olympiques qui se produisent tous les 4 ans agissent comme une caisse de résonance des bouleversements géopolitiques et des évolutions de la société. Comment s’inscrivent-ils dans nos mémoires collectives et inspirent-ils nos mémoires du futur ? Entretien avec Yvan Gastaut, historien, maitre de conférences à l’Université de Nice et commissaire de l’exposition « Olympisme, une histoire du monde », à Paris.
- En quoi les JO capturent-ils une époque et ses préoccupations géopolitiques et sociales ?
Les JO renvoient à des éléments incontournables qui se jouent en toile de fond. Le contexte dans lequel s’inscrivent ces compétitions influe la manière d’être et de se comporter des athlètes. Certains d’entre eux ont posés des gestes symboliques forts, comme les Nords-Américains Tommie Smith et John Carlos, les poings gantés de noir dressés vers le ciel, sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico à l'issue de la finale du 200m. C’était en 1968, à une époque où la lutte pour les droits civiques faisait rage aux États-Unis. Un autre moment marquant des olympiades fut le tour d’honneur de la coureuse de fond éthiopienne, Derartu Tulu, médaillée d’or, qui a été rejointe sur la piste par la coureuse Sud-africaine, Elana Meyer. L’accolade fraternelle de ces deux athlètes célébrait la fin de l’Apartheid qui avait entraîné 30 ans de boycott de l’Afrique du Sud par le Comité International Olympique (CIO).
Les Olympiades rejouent ainsi l’histoire du monde, elles captent l’air du temps et constitue un excellent observatoire du 20ème et 21ème siècle. Au-delà, elles peuvent contribuer à certaines avancées, grâce à leur portée symbolique.
- Quelle empreinte laissent les JO dans la mémoire collective d’une nation ?
laissée est triple : nationale, familiale et territoriale. En effet, même si les JO sont avant tout un évènement international, avec la volonté que le monde se rencontre, ils fortifient les nations, à travers leurs hymnes et leurs « héros nationaux ». Chaque pays suit ses athlètes : dans les media, on retransmet surtout les sports où le pays brille. L’impact de la nation en majesté derrière ses médaillés d’or est tellement fort qu’il s’imprime et reste dans l’histoire, comme Usain Bolt pour la Jamaïque, par exemple. Les athlètes médaillés rentrent dans le club fermé des demi-dieux, inoubliables. Il est possible de retrouver leur performance des années après et de les remettre sur le devant de la scène, à travers des commémorations ou l’art. Le sculpteur Pierre Larauza a ainsi rendu hommage à Surya Bonaly, une grande patineuse française, en immortalisant le geste de son salto arrière. Les JO font aussi partie de la mémoire familiale : les grands-parents, les parents partagent leurs souvenirs selon le sport qui intéresse le plus la famille. Enfin, les JO laissent des traces physiques dans l’architecture des villes. C’est le cas à Grenoble où des installations sportives des JO d’hiver de 1968 servent encore à la population grenobloise ou à Colombes, cité ouvrière située au nord-ouest de la capitale qui a vécu son heure de gloire en accueillant les premiers JO d’été en France. Au-delà, ils contribuent à façonner l’image d’une ville et de son pays, comme les jeux de Séoul en 1988, révélant au monde une ville moderne. Le pays, la ville, qui accueille, ne sont jamais totalement les mêmes après les jeux.
Stéphanie, une habitante de Colombes témoigne :
Le stade mythique des Jeux Olympiques de 1924 existe toujours et il a été réhabilité pour 2024, pour accueillir les épreuves de hockey sur gazon. Le stade représente beaucoup pour la population, toutes générations confondues, c'est un symbole qui a traversé les époques.
La ville de Colombes a beaucoup communiqué sur les JO 100 ans après (1924 - 2024) et a voulu insuffler un nouvel air olympique à la ville. Plusieurs associations locales se sont mobilisées, une chanson « Portons la flamme » a été créée et chorégraphiée et apprise dans les écoles élémentaires de la ville. Elle a aussi fait le tour de France car elle a été reprise dans plusieurs journaux (TV, presse écrite...) et sur les réseaux sociaux. Une parade olympique a déambulé dans tous les quartiers de la ville jusqu'au stade Yves du Manoir le 22 juin dernier.
Il y a une vraie volonté de créer une mémoire collective territoriale autour des JO et aussi une mémoire individuelle. Nos enfants, nos parents, tous les habitants... s'en souviendront !
- Les JO sont-ils générateurs de souvenirs individuels forts, qui alimentent à leur tour les mémoires collectives ?
Les JO suscitent des passions et des émotions qui se transmettent génération après génération. Ces moments forts vécus par les téléspectateurs, ou à travers la radio et la presse, constituent un réservoir de souvenirs communs qui donnent le sentiment de participer à un évènement historique.
Sur le plan individuel, que l’on soit amateur de sport ou pas, la mémoire peut se cristalliser autour de performances sportives ou d’évènements extra-sportifs, notamment les cérémonies d’ouverture et de clôture, comme à Londres avec l’arrivée de la Reine Elisabeth II. C’est un processus vécu intensément, qui tisse une mémoire collective et rassemble des individus, avec une certaine magie, même au-delà des nations. Ainsi, les exploits de la très jeune gymnaste roumaine Nadia Comaneci en 1976 ont fait vibrer le monde entier.
- En quoi cet évènement récurrent est-il amené à évoluer et nous questionne sur l’avenir ?
Depuis 1896, les JO se sont toujours déroulés au jour prévu, hormis pendant les 2 guerres et la pandémie de Covid. Ils sont pourtant « fragiles » : ainsi, à l’origine, ils étaient organisés en même temps que d’autres manifestations, de peur de ne pas intéresser suffisamment le public. Pendant les dictatures, puis la guerre froide avec les nombreux boycotts, leur existence a été remise en cause. De nos jours, de nombreuses questions se posent quant à l’impact environnemental de ces méga-évènements. Au diapason des interrogations qui traversent la société, les JO soulèvent aussi des questions de ressources, de politique et de genre… Les JO ont évolué, par rapport à la discrimination des minorités, la parité homme/femme ; en 2016 aux JO de Rio a été créée la 1re équipe de réfugiés. Le CIO et les villes qui accueilleront les jeux dans le futur devront prendre en compte l’aspect énergivore et les risques d’écocides, et s’adapter. En définitive, les JO suscitent des passions hors du commun, comme on a pu le voir avec le passage de la flamme en France, et restent vécus par la plupart des populations du monde comme un évènement qui compte.
Exposition : « Olympisme, une histoire du Monde », Palais de la porte Dorée, du 26 avril au 8 septembre 2024.
Catalogue de l'exposition : Olympisme, Une histoire du monde. Des premiers jeux olympiques d’Athènes 1896 aux jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Éditions de La Martinière, 576 pages.
Vidéo : Tulu et Meyer, l'Afrique réconciliée Lors du 10 000 m féminin à Barcelone en 1992, l'Ethiopienne Derartu Tulu, première noire africaine à remporter un titre olympique, fait un tour d'honneur avec Elena Meyer venue d'une Afrique du Sud à peine sortie de l'apartheid.
Vidéo : Tommie SMITH et John CARLOS Sur le podium des Jeux Olympiques de Mexico, à l'issue de la finale du 200m, remportée par Tommie SMITH, les athlètes noirs Tommie SMITH et John CARLOS, deux des trois gagnants, brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol. Ils font ainsi du podium des Jeux olympiques une tribune politique, alors que la lutte pour les droits civiques fait rage aux Etats-Unis.
Vidéo : JO de Londres en 2012, arrivée de la Reine Elisabeth à la cérémonie d’ouverture
Vidéo : Première équipe olympique de réfugiés
Vidéo : Sculpture de Pierre Larauza en hommage à Surya Bonaly