Alan Fustec, l’homme qui veut aller au-delà de la RSE
Fondateur de l’agence Lucie et du cabinet de conseil en développement durable Goodwill management, Alan Fustec est avant tout un militant convaincu de la nécessité, pour les entreprises, d’aller vers des modèles d’affaires plus soutenables. Ce qui demande d’aller au-delà des exigences habituelles de la RSE.
Un avant-gardiste de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : c’est ainsi qu’on pourrait résumer Alan Fustec. La première partie de son parcours professionnel ne l’y prédestinait pourtant pas. Docteur en biologie marine et ingénieur agronome de formation, il travaille dans l’informatique pendant vingt ans. À partir de 1993, il dirige une entreprise de conseil et d’ingénierie informatique, où il décide de développer une démarche de développement durable.
Nous sommes au début des années 2000, à une époque où les pratiques de RSE sont encore très peu développées. Pourquoi cette démarche ? « J’ai toujours eu la conviction que l’économie doit être au service de l’humain, et pas l’inverse, explique Alan Fustec. Mais à l’époque, mon approche était plus sociale qu’environnementale. »
L’expérience lui plaît tellement qu’il décide d’en faire son métier. En 2003, il crée un cabinet de conseil en développement durable, Goodwill management. Puis en 2009, il fonde l’agence Lucie, qui propose un label RSE, Lucie 26 000. Ce label est créé sur la base de la norme ISO 26 000, qui identifie sept dimensions de la RSE : la gouvernance de l’entreprise, le respect des droits humains, les relations et conditions de travail, la protection de la nature, l’éthique des affaires, le respect des consommateurs et les relations avec la société civile.
Lucie 26 000, un des labels RSE les plus reconnus en France
Quinze ans plus tard, le label est l’un des plus reconnus en matière de RSE en France. 1 300 entreprises, de toute taille, l’ont obtenu jusqu’ici. « Mais jusqu’en 2020, nous avons ramé pour nous développer, raconte Alan Fustec. La RSE n’intéressait pas grand monde, mais la donne a changé depuis quatre ans ». Pour lui, cela s’explique par trois facteurs principaux : « D’abord, les défis environnementaux deviennent de plus en plus palpables. Les gens commencent à voir les conséquences concrètes du changement climatique : inondations, feux de forêts, glissements de terrain, etc. ». Deuxième facteur de développement de la RSE, « la crise du Covid a provoqué un électrochoc chez bon nombre d’entre nous : nous nous sommes demandé derrière quoi nous courrions ». Enfin la réglementation liée au Green Deal européen s’impose à beaucoup d’entreprises, avec notamment la mise en œuvre de la CSRD. « À mon sens, c’est ce dernier facteur qui pèse le plus pour expliquer la prise en compte croissante des enjeux RSE », estime Alan Fustec.
S’il se satisfait du succès du label Lucie 26 000, Alan Fustec estime pourtant que ce label ne va pas assez loin. « Avec Goodwill management, nous avons mis au point une méthodologie de mesure d’impact, en travaillant à partir de la notion de limites planétaires ». Le concept de limites planétaires, développé en 2009 par des chercheurs du Stockholm Resilience Centre, désigne des seuils quantitatifs au-dessous desquels l’humanité doit rester pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir vivre durablement dans un écosystème sûr.
Au-delà de la RSE, respecter les limites planétaires
« Nous avons ventilé par pays, puis par secteurs d’activité, les valeurs à ne pas dépasser au niveau mondial pour rester dans les limites planétaires. Cela nous a permis d’attribuer à chaque entreprise, selon sa taille et son secteur, des quotas de limites planétaires, détaille Alan Fustec. Or l’empreinte moyenne des entreprises atteint trois fois leur quota de limites planétaires ». Les entreprises labellisées Lucie 26 000 font un peu mieux – entre 2 et 2,5 fois leur quota –, « mais pour autant, elles ne sont pas dans les clous », regrette le fondateur de l’agence.
Face à ce constat, l’agence a développé un nouveau label, Lucie Positive. Il développe le même cahier des charges que Lucie 26 000, mais impose des niveaux de performance bien plus élevés aux entreprises prétendant au label. « Elles doivent par exemple respecter tous leurs quotas de limites planétaires en matière de consommation d’eau ou de matières premières, de pollution atmosphérique, d’émissions de déchets. Il y a également de fortes exigences sur le volet social, par exemple une politique de formation soutenue, ou un écart nul de rémunération entre les femmes et les hommes. »
Des exigences extrêmement soutenues, que, pour l’instant, peu d’entreprises arrivent à satisfaire. De fait, aucune entreprise n’a obtenu le label pour le moment. « Mais nous lançons notre première promotion d’entreprises Lucie Positive en 2024 », se réjouit Alan Fustec.
Parmi les entreprises qui vont entrer dans la démarche Lucie Positive, Alan Fustec en a lui-même initié une avec son fils, Kerlotec. Implanté en Bretagne, Kerlotec vise à accélérer la transition écologique à travers un bureau d’études, une ferme de maraîchage bio, un centre de formation, ou encore une école dédiée aux low-tech. L’entreprise mène un certain nombre de projets autour de ces sujets. « Par exemple, nous avons fait l’achat d’un four solaire, et nous menons une expérimentation avec une entreprise de torréfaction pour torréfier le café au four solaire, bien moins consommateur d’énergie qu’un four classique », s’enthousiasme Alan Fustec.
Aider les entreprises à devenir réellement soutenables
Son combat aujourd’hui : aider les entreprises à devenir réellement soutenables. « Pour cela, elles ne peuvent pas se contenter de réduire leur impact négatif sur l’environnement, note-t-il. Il faut qu’elles revoient totalement leur modèle économique et fassent évoluer leur activité. Mais cela ne peut pas se faire brutalement. » Il développe ces idées dans La stratégie du Y, un ouvrage à paraître en juin aux éditions Dandelion.
La route est encore longue… « On évoque de plus en plus la RSE, les entreprises à mission, l’économie à impact, note-t-il. Mais selon nos calculs, les entreprises qui ont un label RSE sérieux, ou plusieurs certifications ISO, ou qui sont entreprises à mission, représentent moins de 1 % de l’ensemble des entreprises. La moitié des entreprises, quant à elles, ne savent même pas de quoi on parle ! »
Camille Dorival