Ces chefs qui mettent la cuisine végétale à l’honneur
Selon une étude récente de Réseau action climat, réduire de 50 % la consommation de viande permettrait d’atteindre les objectifs climatiques de la France tout en améliorant la santé de la population. Conscients que la cuisine doit évoluer avec son temps, de plus en plus de chefs français font le choix de renoncer aux produits carnés au profit d’une cuisine végétale.
En France, malgré une certaine prise de conscience, la consommation moyenne de viande augmente sensiblement chaque année, d’après une étude de Réseau action climat parue le 20 février. Au final, un Français mange deux fois plus de viande que la moyenne mondiale.
Pourtant, de plus en plus de chefs proposent une cuisine sans viande ni poisson. Un mouvement porté par de grands noms, à l'image d'Alain Ducasse qui a fait disparaître la viande de sa carte au Plaza Athénée, ou de Pierre Hermé qui a lancé en novembre 2023 un ouvrage consacré à la pâtisserie végétale, c’est-à-dire sans œuf, sans beurre, sans crème et sans lait.
La cheffe Christel Dhuit a monté Soya cantine bio en 2017, un restaurant végétarien situé dans le 11e arrondissement de Paris qui incarne cette transition. Selon elle, « faire le choix d’une cuisine 100 % végétale dans un pays encore très attaché à ses produits du terroir, c’est une forme de résistance et de militantisme écologique ».
encore beaucoup d'a priori sur le « végé »
Si la viande et le poisson quittent l’assiette, la gourmandise doit rester. « Il faut rompre avec l’idée que l’option végé c’est forcément la salade tristoune ou les pâtes aux légumes », affirme Christel Dhuit.
Les chefs ont ici un rôle majeur à jouer pour inciter les consommateurs à se tourner vers la cuisine végétale. Nombre d’entre eux s’inspirent des cuisines du monde, comme celles d’Asie ou d’Orient.
Tartare d'algues fraîches, houmous au dukkah, caviar de tofu au pesto, nuggets de tempeh relevées à la sauce tamari… la carte de Soya cantine bio met à l’honneur céréales, oléagineux, soja ou épices. « Une cuisine fusion qui s’inspire de plats venus du Liban, d’Italie ou du Japon, tout en prenant la liberté de les revisiter », résume la cheffe, qui a découvert la cuisine végé lorsqu’elle était expatriée en Nouvelle-Zélande.
Alors que près de 80 % de sa clientèle ne se dit pas vegan, Christel Dhuit n’a pas souhaité communiquer autour du fait que sa cuisine était végétale car « il y avait encore beaucoup d’a priori ». Les mots font peur et les chefs ne veulent pas donner l'impression de cibler une clientèle.
« L’idée c’est avant tout de faire découvrir cette cuisine à des gens qui ne la connaissent pas. C’est ça la vraie victoire à mon sens ». Ces dernières années, la cheffe remarque que de plus en plus de gens disent consommer moins de viande et être prêts à adopter un régime au moins flexitarien.
Sensibiliser à travers la cuisine
Myriam Dommange, qui est devenue végétarienne par la rencontre du yoga et la méditation, est à la tête du restaurant Anadata en Bretagne. « J’ai fait cette proposition végétarienne car il n’y avait rien du tout à Saint Malo ». En effet, si les tables végétariennes se multiplient à Paris, plus difficile de trouver des options végé élaborées dans le reste de la France.
Pour la cheffe d'Anadata, qui donne également des formations à la cuisine végétarienne, « l’important c’est d’informer et de sensibiliser les gens à travers la cuisine ». Elle souhaite notamment faire prendre conscience que la protéine animale n’est pas obligatoire dans un menu, et que l’on peut retrouver toute l’énergie nécessaire dans une association de légumineuses et de céréales.
« Beaucoup de gens ont de fausses théories autour des protéines. En réalité, une personne de 65 kg n’a besoin que de 65 grammes de protéines par jour, ce qui peut se trouver facilement dans une alimentation végétarienne variée », explique-t-elle.
A l’inverse, beaucoup de personnes consomment encore trop de viande alors que des études scientifiques font le lien entre cancer colorectal et consommation excessive de viande rouge.
La solution à privilégier pour l’environnement
Si elle est néfaste pour la santé, la viande a également un coût environnemental important lié à son mode de production intensif et industriel. Alors que 22 % de l’empreinte carbone nationale dépend de l’alimentation, la moitié provient de l'élevage selon l’étude de Réseau action climat.
Déforestation, pollution des eaux, émission de méthane… La surconsommation de viande et de produits laitiers participe à intensifier la crise climatique. A l’inverse, la culture de légumes secs par exemple (lentilles ou pois chiches), en plus d’émettre peu de gaz à effet de serre, joue un rôle important dans la fertilisation naturelle des sols.
« En produisant directement des végétaux pour l'alimentation humaine, on libère des terres », explique Christel Dhuit. Or, en libérant des terres, on peut se permettre d'avoir un élevage un peu plus extensif, meilleur du point de vue de la biodiversité ou de la consommation d'eau, ou de développer une agriculture biologique aux rendements plus faibles.
Des lobbies encore puissants
Bien que les initiatives en faveur de l’alimentation végétale progresse dans les restaurants, les chefs restent confrontés à des obstacles, notamment en termes de législation et de subventions.
« Il y a quelques années, on nous a interdit d’utiliser le terme lait pour les boissons à base de soja, cajou, noisette », affirme la cheffe de Soya cantine bio. À l’heure où 70 % de la population mondiale se dit intolérante aux produits laitiers, « l'industrie laitière nous voit comme une menace ».
Autre frein, « l’industrie vegan ou végétale n’est pas subventionnée ». « On vit dans un État encore très conservateur, qui veut préserver son patrimoine culinaire », remarque Christel Dhuit. Selon la cheffe, si les produits végétaliens étaient subventionnés par le gouvernement de la même manière que l’industrie de la viande, l’impact serait phénoménal.
Pour Myriam Domange, il n’est plus question de tarder : « un pays de gastronomie comme la France doit à tout prix prendre le tournant de la cuisine végétale, qui représente l’avenir ».
Félicité Dussel