Déforestation, pesticides interdits, droits sociaux… Pourquoi le traité entre le Mercosur et l’Union européenne inquiète les associations
Les négociations entre la Commission européenne et les pays du Mercosur pour la signature officielle du traité de libre-échange entre les deux régions du monde soulèvent en France les protestations du monde agricole. Leur message est rejoint par celui de nombreuses associations qui alertent sur les risques environnementaux, sanitaires et sociaux induits par l’accord.
Face aux conséquences potentielles d’un nouvel accord de libre-échange entre l’Union européenne et un marché étranger, « les risques pour l’environnement sont majeurs », souffle Éric Moranval, chargé de campagne Forêt chez Greenpeace France.
« La déforestation en Amérique du Sud pourrait augmenter de 5 % par an dès les six premières années de l’accord, et ce, alors que l’Amazonie est déjà en train de perdre son caractère de forêt primaire », détaille-t-il.
Le volet commercial du traité, dont le mandat de négociation a été délivré à la Commission européenne en 1999 et à partir duquel l’Union européenne et le Mercosur sont parvenus à un accord en 2019, prévoit, entre autres dispositions, la suppression de 92 % des droits de douane sur les produits importés depuis les pays du Mercosur, soit le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. En échange, 91 % des taxes imposées aux produits européens sont également supprimées.
Des risques pour le climat et la biodiversité
Ces dispositions entraînent une ouverture plus large du marché européen aux produits agricoles en provenance des pays du Mercosur, notamment la viande de bœuf et de volaille ainsi que le sucre et l’éthanol. Dans une note publiée en mai 2023, l'Institut de l'élevage estime par exemple que les importations de bœuf dans l'UE en provenance du Mercosur pourraient augmenter de 52 % d'ici à 2030 en cas de mise en œuvre complète du traité. Ce dernier fixe à 99 000 tonnes le quota de viande bovine bénéficiant de droits de douane à 7,5 % et à 100 000 tonnes le quota pour les volailles.
Or, « la déforestation est imputable à 90 % à l’agriculture, dont 80 % à l’élevage bovin », rappelle Éric Moranval.
En plus d’une perte de biodiversité inquiétante et d’une pression supplémentaire sur des écosystèmes déjà fragiles, comme la savane brésilienne du Cerrado dont les habitats et la biodiversité se dégradent à une vitesse supérieure de celle de l’Amazonie, la déforestation amenuise la capacité du continent sud-américain à stocker le dioxyde de carbone libéré dans l’atmosphère.
Les émissions de dioxyde de carbone risquent pourtant d’augmenter en même temps que les échanges commerciaux entre les continents, met en avant Éric Moranval. Le rapport de la commission d’évaluation, commandé par la France en 2020 pour évaluer les effets du traité en matière de développement durable, estime ainsi entre 7,8 et 11,5 millions les tonnes de CO2 supplémentaires émises en cas d’application de l’accord, en incluant la déforestation, mais « sans prendre en compte de façon satisfaisante le commerce international ».
« Il y a un volet climatique important », appuie en ce sens le chargé de campagne Forêt de Greenpeace.
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Des risques pour la santé, dénoncés par Foodwatch
L’autre problème pointé du doigt par les associations est celui des pesticides, produits mais interdits d’usage en Europe, et importés en direction des pays du Mercosur, dont les règles sanitaires se situent bien en-deçà de la législation européenne.
Cette situation, en plus d’augmenter les risques pour les populations locales et d’entrainer une distorsion de concurrence à l’égard des agriculteurs européens, fait courir des risques accrus sur la santé des consommateurs de l’Union européenne, met en avant l’association Foodwatch.
« Cet accord, comme le Ceta conclu avec le Canada, met en danger nos normes sanitaires de protection de la santé et de l’environnement », dénonce Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France.
Parmi les inquiétudes de l’association de défense des consommateurs, se trouvent les dizaines de molécules de pesticides interdites en France et autorisées au Brésil, par exemple l’astrazine, susceptibles de se retrouver sous forme de résidus dans les produits alimentaires importés.
S’y ajoutent les viandes provenant d’élevages traités par des antibiotiques activateurs de croissance, interdits d’usage dans l’Union européenne, mais dont le nombre pourrait s’accroître avec la mise en œuvre du traité, estime Foodwatch.
« Les produits des pays du Mercosur ne sont pas traités avec les mêmes normes que nous », appuie Karine Jacquemart, dénonçant « une fuite en avant de ces accords où le commerce est placé au-dessus de tout, sans respect de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation ».
Les antibiotiques activateurs de croissance font l’objet d’une interdiction d’usage dans l’Union européenne depuis 2006 dans le cadre d’un plan de lutte contre la résistance aux antibiotiques. En 2022, l’Union européenne a étendu cette mesure aux produits importés dans l’Union européenne par des pays tiers en prévoyant son entrée en vigueur pour 2026, mais sans avoir mis en place les mesures pour s’assurer de son effectivité, dénonçait en janvier 2024 l’Institut Veblen. Depuis 2022, les viandes ayant reçu des antibiotiques activateurs de croissance sont également interdites d’importation en France.
Les inquiétudes de Foodwatch ont également été renforcées par un récent audit de la Commission européenne. Ce dernier montre que les autorités brésiliennes sont dans l’incapacité de garantir que la viande rouge exportée en Europe n’a pas été dopée à l’œstradiol 17-β, une hormone de croissance reconnue comme cancérigène et interdite en Europe depuis des décennies, mais autorisée au Brésil. « Plus le volume de viandes importées s’accroît, plus le risque de fraude est grand », dénonce Karine Jacquemart.
Un enjeu démocratique
La directrice générale de Foodwatch France rappelle également que la déforestation et l’élevage intensif bafouent les droits sociaux d’une partie de la société civile d’Amérique du Sud, également opposée au traité, et dont les différentes industries pourraient être mises en péril par des importations massives venues d’Europe, en particulier de voitures et de médicaments.
« C’est la moindre des choses de protéger les personnes et la planète. Toutes les associations sont contre le traité de libre-échange. Il n’y a que les lobbies et les multinationales des voitures et des pesticides qui ont envie de ce genre d’accord et les responsables politiques s’en rendent complices », dénonce-t-elle. Karine Jacquemart estime « que le coût politique d’un passage en force par les décideurs européens serait très élevé ».
Pour Éric Moranval, le traité bénéficie d’abord aux grosses industries agrochimiques, en particulier le groupe Bayer-Monsanto, au détriment des agriculteurs européens. « C’est un non-sens alors que nous avons besoin d’une agriculture résiliente face au changement climatique », critique-t-il.
Le déficit démocratique dans la négociation du traité est également décrié par Maxime Combes, économiste engagé dans le mouvement altermondialiste et co-animateur du collectif Stop UE-Ceta-Mercosur, qui regroupe un large panel d’associations. La semaine dernière, 38 organisations de la société civile ont publié sous la direction du collectif une lettre ouverte au président de la République et au Premier ministre pour demander l’abandon de l’accord.
Des négociations jugées opaques
« La logique de ce traité est celle des années 1980 et 1990 où l’on pensait que générer plus d’échanges et donc de la concurrence entrainerait une baisse des prix. En réalité, cela construit une éviction des plus faibles et de ceux qui ne peuvent pas s’aligner ou se protéger », dénonce Maxime Combes.
Selon le co-animateur du collectif Stop UE-Ceta-Mercosur, les accords de libre-échange défendent une vision particulière du commerce international en supprimant les marchés nationaux et en transférant de facto la charge de l’organiser aux grandes firmes commerciales. « Cela entraîne une pression à la baisse sur les prix et sur les normes, en plus de pousser à la concentration des industries », analyse-t-il.
Dans le cas du traité avec le Mercosur, Maxime Combes pointe également l’opacité des négociations menées par la Commission européenne, qui ne publie pas les documents de négociations, malgré les critiques de plus en plus présentes sur la mondialisation.
« La Commission considère que, comme les traités lui ont donné un mandat, le texte n’est pas de l’ordre du débat public tant qu’il n’a pas été présenté aux États. C’est problématique au niveau de la transparence et pour comprendre à qui bénéficie cet accord », dénonce-t-il.
Avant d’entrer en application, le traité devra être présenté par la Commission européenne aux États membres afin d’obtenir leur validation. En fonction de la méthode employée, le traité devra recueillir soit une majorité absolue, soit une majorité qualifiée constituée d’au moins quinze pays représentant 65 % de la population européenne.
Pour convaincre les États, une annexe au traité est également en cours de négociation, dont le but est d’assurer des garanties, explique Maxime Combes. « Nous sommes dans les derniers 150 mètres de l’accord. Quoi qu’on ajoute, cela n’en modifiera pas l’économie générale et ne permettra pas de réelles garanties. Le plus simple serait de s’arrêter maintenant », argumente-t-il.
Élisabeth Crépin-Leblond