Entretien : la publicité est-elle l’ennemie de la transition écologique ?
La publicité entraîne-t-elle de la surconsommation ou permet-elle de faire évoluer les consommateurs vers des comportements durables ? Interview de Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen.
Mathilde Dupré est codirectrice de l'Institut Veblen, un think-tank spécialisé sur l’étude de la dimension économique de la transition écologique et sociale. Elle est la coautrice d’un rapport nommé « La communication commerciale à l’ère de la sobriété » qui s’intéresse à la responsabilité de la publicité dans la surconsommation.
- La publicité entraîne-t-elle de la croissance et potentiellement de la surconsommation ?
Traditionnellement, l’approche qui prévalait dans la science économique était de dire que la publicité est simplement un vecteur d’informations pour le consommateur pour l’aider à mieux choisir au moment où il a un besoin à satisfaire. Il n’y aurait pas de lien entre dépenses de publicité et volume de consommation. Le seul effet de la publicité serait celui sur la répartition des parts de marché entre les acteurs économiques dans un même secteur.
Ce cadre d’analyse a déjà été remis en cause par des auteurs, notamment Veblen à la fin du XIXe siècle ou J. K. Galbraith dans les années 1960.
La publicité peut avoir un effet persuasif sur le consommateur."
Des études plus récentes, quantitatives, essayent de regarder l’effet de réglementations sur des secteurs spécifiques tels que les médicaments ou l’alcool. Une première transversale menée sur le marché américain sur 30 années s’intéresse aux effets économiques des dépenses de publicité. Elle montre une hausse des dépenses de consommation liées à la hausse de la publicité. Avec ce modèle-là, on estime que la publicité peut avoir un effet persuasif sur le consommateur et coopératif entre les acteurs économiques, c’est-à-dire qu’elle génère des besoins. Une étude assez similaire sur le marché français a montré des résultats assez proches.
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- Que pensez-vous de l’idée selon laquelle la publicité permettrait d’orienter les citoyens vers des produits verts et des bons comportements ?
Cela fait plusieurs années que l’on est passé au-dessus des 30 milliards d’euros par an de communication commerciale, en France. Les premiers annonceurs sont les constructeurs automobiles, la grande distribution, les fast-foods, les vendeurs de boissons. Ce qui domine, ce n’est pas du tout la promotion du vélo et des mobilités douces, de l’agriculture biologique ou des produits en vrac.
Les contrats climat ont été mis en place dans la loi climat et résilience suite à la Convention citoyenne pour le climat. L’idée est que les gros annonceurs doivent avoir des engagements pour diminuer la part de leurs dépenses dans les produits polluants et augmenter la part dans les produits bons pour la transition. Nous observons que les efforts vers la transition augmentent un peu, mais les publicités pour les produits polluants ne diminuent pas, il n’y a pas de réel engagement dans ce domaine là.
- De nombreuses publicités font appel à des arguments écologiques. N’est-ce pas un signe encourageant ?
Les allégations écologiques sont utilisées de façon débridée, car c’est un argument de vente. On a vu des utilisations complètement infondées : il y a quelques mois, une banque vantait sa carte de crédit écologique. Elle parlait de l’encre utilisée pour la fabrication de la carte, mais pas du tout des financements réalisés par la banque.
L'utilisation d'arguments écologiques dans la publicité est insuffisamment encadrée."
L’utilisation d’arguments écologiques est insuffisamment encadrée. Il y a eu des efforts pour mettre fin aux incitations au gaspillage, mais dans des termes encore trop restreints. Puis d’autres efforts pour encadrer certaines allégations écologiques, mais ce n’est pas allé aussi loin que cela aurait pu. Aujourd’hui par exemple, il est autorisé de dire qu’une entreprise est neutre en carbone alors que nous savons que la neutralité carbone n’existe pas à l’échelle d’une entreprise.
- Par quels mécanismes la publicité joue sur la surconsommation à l’échelle de l’individu ?
Nous recevons des milliers de stimulis publicitaires par jour, rien qu’en se déplaçant dans l’espace public. Tout cela, par des mécanismes psychologiques et cognitifs relativement bien documentés, s’imprime durablement dans l’esprit des consommateurs et ressort au moment de l’achat. Cela participe aussi à un sentiment d’insatisfaction par rapport à son propre niveau de consommation : on a envie de consommer plus. Des mécanismes de distinction sociale opèrent également. Une entreprise peut nous faire croire qu’en achetant tel téléphone, nous achetons ainsi un statut social de la communauté de ceux qui détiennent ce téléphone.
- Une polémique a éclaté récemment autour de spots publicitaires de l’Ademe mettant en scène des « dévendeurs » qui désincitent les consommateurs d’acheter. Certains ont critiqué l’impact négatif que cela pourrait avoir sur les commerçants. Comment analysez-vous cela ?
C’est une campagne relativement ambitieuse car elle intervient à un moment emblématique de l’année où on est poussé à consommer. Elle ne s’est pas cantonnée à faire la promotion du réemploi, de la réparation et de la location, mais à insister sur la sobriété. À ce titre, elle est intéressante.
La réaction disproportionnée d’un certain nombre d’acteurs économiques montre à quel point ils prêtent un certain impact à ce type de publicité. Sinon, ils ne seraient pas autant émus.
- Dans le rapport, vous proposez l'instauration d’une taxe sur l’activité publicitaire. En quoi cela permettrait-il de réguler la publicité ?
Aujourd’hui, les dépenses de communication commerciale sont très peu taxées à quelques exceptions près. Ce que nous avons vu avec l'étude réalisée par deux chercheurs, c’est qu’une taxe sur la publicité permettrait de réduire significativement les dépenses de communication commerciale et pourrait avoir un effet macroéconomique sur les volumes de publicité et in fine de consommation.
Mais cela ne devrait pas être le seul instrument à utiliser. Il faut interdire la publicité pour certains types de produits.
- Quels types de produits ?
La liste est à établir de façon démocratique. Évidemment, tous les produits qui dépendent de la consommation d’énergies fossiles comme les voitures polluantes ou les trajets en avion devraient être ciblés en priorité.
- Et interdire totalement la publicité, cela serait-il une solution ?
Nous n’avons pas examiné cette option. Aujourd’hui, légalement, les entreprises disposent de la liberté de communiquer et de faire connaître leurs produits. À priori ce n’est pas une carte dont les pouvoirs publics disposent.
Je ne suis par certaine qu'il faille aller jusqu'à l'interdiction."
Ils peuvent déjà agir sur les volumes, les produits et les messages. Le dernier levier est la réglementation de la publicité dans l’espace public. Nous pourrions réduire drastiquement les espaces dédiés à la publicité dans l’espace public.
L’interdiction de la publicité, en revanche, serait certainement très compliquée à mettre en place dans le monde actuel. De plus, est-ce souhaitable ? Cela doit faire l’objet d’un débat. La publicité peut promouvoir des produits culturels ou vertueux pour la transition écologique. Je ne suis pas certaine qu’il faille aller jusqu’à là.
- Quel serait selon vous le spot publicitaire idéal ?
Il pourrait s’agir d’une affiche pour promouvoir les mobilités douces ou les pratiques de distribution sans emballage dans le but de participer à la construction d’un imaginaire collectif à propos de la transition écologique.
Les créatifs et les professionnels de la publicité pourraient avoir de bonnes idées pour aider à construire cet imaginaire là.
Propos recueillis par Théo Nepipvoda